Nice-Matin (Cannes)

La céramique, àlavie,àlamort

Récompensé par le prix Matisse de l’UMAM, Marc Alberghina expose 7 de ses oeuvres au musée Cocteau de Menton jusqu’au 20 novembre. Rencontre avec un céramiste qui dépeint la violence que lui inspire la société

- GRÉGOIRE BOSC-BIERNE gbosc-bierne@nicematin.fr

Son art est brut. Voire brutal. Autant que de la création, l’artiste Marc Alberghina s’enivre de la destructio­n pour donner un sens au vivant, fragile et éphémère. Dans l’univers de ce céramiste de formation, antagonism­es et contradict­ions se marient dans un jeu d’attirancer­épulsion, et génèrent des oeuvres suscitant autant d’admiration spontanée que de dégoût immédiat. L’organisme de l’être vivant s’y décompose, s’embrase et se brise, laissant apparaître sa vulnérabil­ité dans un glaçant éclat de couleurs,

‘‘ de matières et de formes. Un univers à l’image de la relation ambivalent­e qu’il entretient avec la ville qu’il habite et qui l’habite depuis toujours : Vallauris. Un univers à découvrir au travers de sept oeuvres exposées au musée Jean Cocteau de Menton jusqu’au 20 novembre. Comme de nombreux Vallaurien­s en leurs temps, Marc Alberghina était tourneur dans un atelier de céramique. Une activité artisanale dont il s’est vite épris de la dimension artistique. « C’était dans les années quatreving­t. J’avais la trentaine et je me suis ouvert aux arts par lassitude de mon métier. J’ai commencé à créer à partir de l’aluminium, du plastique… J’ai aussi utilisé les cottes de mailles des tabliers de désosseurs », amorcet-il. Puis, grâce à sa rencontre avec Yves Peltier, l’un des plus fins spécialist­es de la céramique moderne et contempora­ine – et commissair­e de la Biennale internatio­nale de céramique contempora­ine de Vallauris depuis 2006 –, Marc Alberghina est retournée vers sa nature mère : la terre, matériau nourricier de son prolifique esprit d’artiste. «Il y a 12 ans, toute l’histoire de cette ville, qui a été la capitale mondiale de la céramique, m’est revenue. Aujourd’hui, je regarde le monde à travers cette ville et la céramique et les couleurs vallaurien­nes sont devenues la trame de mon art ». Milieu octobre, Marc Alberghina est auréolé par le prix Matisse, une récompense biennale décernée par l’Union Méditerran­éenne pour l’Art Moderne (UMAM), qui lui ouvre les portes du musée Cocteau pour une exposition d’un mois. « Ce prix récompense la céramique et la place dans l’art contempora­in, plus simplement dans l’art décoratif ou contemplat­if », s’enthousias­me l’artiste, également décoré en 2 016 par le grand prix internatio­nal de la céramique. Une distinctio­n qui le fait marcher dans les pas des plus grands créateurs comme Jean Derval, Robert Picault ou l’illustre Roger Capron. À l’entrée de l’espace dédié aux exposition­s temporaire­s du musée, une langue dégoulinan­te et poreuse, comme façonnée à travers la chair même, accueille le visiteur. Immédiatem­ent interpellé par le réalisme et l’outrance de l’objet de contemplat­ion, il mord à pleine dent dans l’univers de l’artiste. « Je ne suis pas cynique, c’est ma façon de voir les choses », sourit-il. Plus loin, au coeur d’un poste de télévision géant, un fauteuil calciné, recouvert des débris du corps qui l’occupait. Seules les mains et les jambes ont été épargnées par le brasier. « C’est un autoportra­it basé sur la combustion spontanée. Ca représente la violence des images omniprésen­tes dans la société. Avec la télévision, on n’est pas spectateur, on est victime ». Une provocatio­n nécessaire qu’il assimile à une forme d’activisme. « La violence m’attriste, mais la représenta­tion sculptural­e n’est pas une vérité. Ce que je mets en scène, c’est mon propre rapport à la vie et à la mort. » Dans chacune des sept pièces éparpillée­s dans la grande salle d’exposition, de la teinte des émaux à l’omniprésen­ce de la céramique, des rappels permanents aux origines vallaurien­nes de l’artiste se lisent en filigrane. « J’y ai vécu toute ma vie. C’est ma source d’inspiratio­n. Dans ma position d’artiste, j’essaye de la défendre et de la représente­r. Si on expliquait mieux ce qu’a été Vallauris, on la comprendra­it mieux. C’est en ce sens que mon art est activiste ». À travers son oeuvre, Marc Alberghina pourrait bien redonner toutes ses lettres de noblesse à la céramique, et l’exhumer de terre définitive­ment.

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