« Il y a un véritable creuset djihadiste dans la région »
L’expert Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme, décrypte ce nouveau coup de filet antiterroriste sur la Côte d’Azur. Pour lui, la lutte contre ces cellules passe par la décentralisation
L’expert Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme à Paris (un think tank au statut d’association loi 1901), décrypte le coup de filet antiterroriste qui a conduit à dix interpellations, hier, en France et en Suisse. Pour Nice-Matin, il précise notamment la place de la Côte d’Azur : une région qu’il connaît bien pour y avoir grandi, mais surtout pour ses nombreuses affaires de radicalisation.
Ce nouveau coup de filet antiterroriste est-il plutôt surprenant ou prévisible ?
Nous avons connu depuis un certain nombre d’opérations de ce type : des individus qui interagissent sur des messageries cryptées – en particulier Telegram – et échangent des intentions, voire des projets d’actes terroristes. Si on décide de les interpeller, c’est qu’on estime le projet mature, avec des éléments matériels permettant de penser que les individus vont passer à l’acte. Bien avant l’émergence de l’État islamique, cet ennemi terroriste n°1 qui menace la France, la Côte d’Azur a été la proie des djihadistes. Base arrière logistique, terrain de recrutement et cible parfois de projets d’attentats.
Opération « Bazar» à Menton en Une menace des plus sérieuses avait donné lieu, il y a quinze ans déjà, à l’opération « Bazar ». Tel était le nom de code du vaste coup de filet mené par plusieurs services de police européens à l’automne 2002. Des « objectifs » en Italie, à Malte, en Angleterre et, déjà, sur la Côte d’Azur. A Menton, précisément, où l’un des membres de cette cellule affiliée à al-Qaida se servait d’un cybercafé pour envoyer des messages cryptés à son organisation. Un an après l’attentat contre le World Trade Center, ces disciples de Ben Laden préparaient une action en Europe, sans doute en France et peut-être même sur la Côte d’Azur, où plusieurs membres du groupe se rendaient régulièrement. En repérage ? Les policiers italiens auraient fait une découverte particulièrement inquiétante au cours de l’opération « Bazar » : outre une importante somme en liquide, quantité de faux papiers, des tenues de camouflage et des lunettes de vision nocturne, les terroristes
Faut-il s’inquiéter de voir prospérer de telles cellules, ou se réjouir de l’efficacité des services de renseignement ?
Les deux ! L’efficacité des services tient à leur expérience, qui leur permet aujourd’hui d’appréhender ce phénomène et de déjouer ces projets. Parallèlement, de tels projets se multiplient. L’affaiblissement de l’Etat islamique sur le terrain ne signfiie pas la disparition de la menace, bien au contraire : on la voit proliférer ! En l’occurrence, la cible évoquée par certains médias semblerait être Nice. Et il y a un véritable creuset djihadiste dans la région niçoise.
Après la filière Diaby, la cellule Cannes-Torcy, ces interpellations confirment-elles que les AlpesMaritimes offrent un terreau fertile au djihadisme ?
Mais l’activité des services [antiterroristes, ndlr] dans cette région n’a jamais cessé ! Chaque semaine s’ouvrent de nouveaux dossiers terroristes à Nice et dans sa région. La menace est avaient aussi en leur possession les plans du parking du palais de justice de Nice.
Les filières irakiennes Outre ce potentiel projet d’attentat dont la matérialité n’a jamais pu être démontrée judiciairement, ce sont surtout des réseaux logistiques qui, au cours des « années Ben Laden», ont tenté d’installer leur base arrière sur la Côte d’Azur. C’était le temps de ce que l’on a appelé les «filières irakiennes» qui approvisionnaient al-Qaida en argent et en combattants. Leur démantèlement a donné lieu à deux retentissants coups de filets, en 2005 et en 2007, au sein de la mouvance islamiste azuréenne. Des prédicateurs tabligh ou des imams des «caves», parfois issus des rangs du GSPC(1), recrutaient alors des candidats au djihad à même le trottoir des cités. Ils ont ainsi contribué à former une nouvelle génération de terroristes issue de la petite délinquance de quartiers.
Des caves au djihadisme . Ces moudjahidin français de retour du Pakistan, des montagnes afghanes ou du front irakien, vont constituer à la fin des années 2000 une nouvelle menace dont Mohamed Merah est la parfaite illustration. Et la mort de Ben Laden, le 2 mai 2011, ne suffira pas à endiguer ce permanente depuis plusieurs années. Ce n’est pas nouveau !
Que vous inspire cette nouvelle cellule mise au jour dans la « galaxie djihadiste » ? Est-ce là un nouvel exemple de terrorisme « low-cost » ?
Il est trop tôt pour savoir si ces individus étaient simplement inspirés par la propagande, ou s’ils ont été téléguidés par des individus sur zone [de conflit, ndlr]. En revanche, depuis plus d’un an, nous voyons de plus en plus de projets d’attentats mettant en oeuvre un mode opératoire improvisé et des armes rudimentaires. Dans bien des cas, le passage à l’acte n’est pas nécessairement dicté par une organisation, mais plutôt par un phénomène de groupe, physique ou via des messageries cryptées. Il semblerait que l’on soit là typiquement dans ce schéma opérationnel. Mais l’enquête ne fait que commencer et le déterminera.
La première cible visée serait
nouveau péril intérieur. Il ne fait même que croître à mesure que la Syrie s’enlise dans une guerre qui va légitimer le recrutement de nouveaux combattants. Dans les cités azuréennes les prédicateurs ont repris leur oeuvre. A l’image d’Omar Diaby, l’ancien braqueur des quartiers Est, qui s’est fait un surnom sur le Net, «Omsen», en réécrivant l’histoire de l’humanité. On est passé de «l’islam des caves » au djihadisme 2.0.
Plus de radicalisés Daesh a très vite compris l’intérêt de ces nouveaux outils de communication pour rallier à distance une foule d’adeptes. À ce jour plus de 800 Azuréens ayant fait l’objet d’un signalement pour radicalisation sont inscrits sur les fichiers des services de renseignement. Nombre d’entre eux sont issus de ce un policier : de telles attaques contre les forces de l’ordre sont récurrentes... Oui, les forces de l’ordre représentent la grande majorité des cibles choisies par les terroristes en France. Elles sont la cible n° désignée comme telle par processus d’autoconversion express par Internet. Certains sont encore mineurs. Car contrairement à al-Qaida, cette organisation terroriste islamiste ne sélectionne guère ses « soldats ». Surtout, elle appelle dans sa propagande à frapper directement la France. À deux reprises déjà Nice l’a été. En février 2015 lorsque Moussa Coulibaly a attaqué des militaires au couteau sur la place Masséna et, bien sûr, le 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais. D’autres projets terroristes en lien avec la Côte d’Azur, ou la visant, ont, en outre, été déjoués.
Projets déjoués Même si, là encore, cela n’a pu être démontré judiciairement, il semblerait qu’un membre de la cellule Cannes-Torcy en possession d’explosifs visait le Carnaval. Pendant le porte-parole de l’EI en . Par la suite, son message a été de dire : « Vous pouvez tuer soit des représentants de l’Etat – militaires, policiers... –, soit des civils. »
Fait-on tout ce qui est possible pour parer la menace ?
Non, on ne fait pas tout... Tout simplement parce que l’Etat ne peut pas tout ! % des individus qui ont frappé en France depuis étaient inconnus des services de renseignement. Pas même fichés. La logique n’est plus aux services centralisés. C’est pourquoi je crois beaucoup au rôle des municipalités, en première ligne de ce combat contre la radicalisation. Elles disposent de nombreux capteurs (sociaux, éducatifs, religieux...) et pourraient très bien collaborer avec l’Etat pour mieux identifier ces cas de basculement dans la radicalisation, voire de projet d’attentat. La Grande-Bretagne ou l’Allemagne le font déjà depuis plusieurs années. la dernière présidentielle, Clément Baur, un Niçois de 22 ans converti auprès de la communauté tchétchène, visait, avec son complice marseillais, une cible politique. Eux aussi issus de la communauté tchétchène de la Côte d’Azur, les frères Bagaïev ont également fait l’objet d’une procédure du parquet antiterroriste pour avoir tenté d’enrôler de très jeunes Azuréens. Jeunes, les deux adolescentes interpellées en avril 2017 à Levens et à l’Ariane l’étaient particulièrement : 14 et 17 ans. Via la messagerie Telegram, le djihadiste Rachid Kassim les incitait néanmoins à commettre un attentat. Tout comme deux autres Niçoises à peine plus âgées, 17 et 19 ans, arrêtées il y a un an. Et ce n’est là que la partie visible de cette guerre intérieure que mènent les services de renseignement contre une nébuleuse radicale susceptible de passer à l’action à tout moment. Comme ce père de famille arrêté juste avant les commémorations du 14-Juillet en possession de manuels de pilotage d’hélicoptère. Ou encore ce fiché S cannois dont le coffre de la voiture a révélé, il y a quelques mois, des traces d’explosif à l’occasion d’un banal contrôle routier...