Nice-Matin (Cannes)

« Il y a un véritable creuset djihadiste dans la région »

L’expert Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme, décrypte ce nouveau coup de filet antiterror­iste sur la Côte d’Azur. Pour lui, la lutte contre ces cellules passe par la décentrali­sation

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

L’expert Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme à Paris (un think tank au statut d’associatio­n loi 1901), décrypte le coup de filet antiterror­iste qui a conduit à dix interpella­tions, hier, en France et en Suisse. Pour Nice-Matin, il précise notamment la place de la Côte d’Azur : une région qu’il connaît bien pour y avoir grandi, mais surtout pour ses nombreuses affaires de radicalisa­tion.

Ce nouveau coup de filet antiterror­iste est-il plutôt surprenant ou prévisible ?

Nous avons connu depuis  un certain nombre d’opérations de ce type : des individus qui interagiss­ent sur des messagerie­s cryptées – en particulie­r Telegram – et échangent des intentions, voire des projets d’actes terroriste­s. Si on décide de les interpelle­r, c’est qu’on estime le projet mature, avec des éléments matériels permettant de penser que les individus vont passer à l’acte. Bien avant l’émergence de l’État islamique, cet ennemi terroriste n°1 qui menace la France, la Côte d’Azur a été la proie des djihadiste­s. Base arrière logistique, terrain de recrutemen­t et cible parfois de projets d’attentats.

Opération « Bazar» à Menton en  Une menace des plus sérieuses avait donné lieu, il y a quinze ans déjà, à l’opération « Bazar ». Tel était le nom de code du vaste coup de filet mené par plusieurs services de police européens à l’automne 2002. Des « objectifs » en Italie, à Malte, en Angleterre et, déjà, sur la Côte d’Azur. A Menton, précisémen­t, où l’un des membres de cette cellule affiliée à al-Qaida se servait d’un cybercafé pour envoyer des messages cryptés à son organisati­on. Un an après l’attentat contre le World Trade Center, ces disciples de Ben Laden préparaien­t une action en Europe, sans doute en France et peut-être même sur la Côte d’Azur, où plusieurs membres du groupe se rendaient régulièrem­ent. En repérage ? Les policiers italiens auraient fait une découverte particuliè­rement inquiétant­e au cours de l’opération « Bazar » : outre une importante somme en liquide, quantité de faux papiers, des tenues de camouflage et des lunettes de vision nocturne, les terroriste­s

Faut-il s’inquiéter de voir prospérer de telles cellules, ou se réjouir de l’efficacité des services de renseignem­ent ?

Les deux ! L’efficacité des services tient à leur expérience, qui leur permet aujourd’hui d’appréhende­r ce phénomène et de déjouer ces projets. Parallèlem­ent, de tels projets se multiplien­t. L’affaibliss­ement de l’Etat islamique sur le terrain ne signfiie pas la disparitio­n de la menace, bien au contraire : on la voit proliférer ! En l’occurrence, la cible évoquée par certains médias semblerait être Nice. Et il y a un véritable creuset djihadiste dans la région niçoise.

Après la filière Diaby, la cellule Cannes-Torcy, ces interpella­tions confirment-elles que les AlpesMarit­imes offrent un terreau fertile au djihadisme ?

Mais l’activité des services [antiterror­istes, ndlr] dans cette région n’a jamais cessé ! Chaque semaine s’ouvrent de nouveaux dossiers terroriste­s à Nice et dans sa région. La menace est avaient aussi en leur possession les plans du parking du palais de justice de Nice.

Les filières irakiennes Outre ce potentiel projet d’attentat dont la matérialit­é n’a jamais pu être démontrée judiciaire­ment, ce sont surtout des réseaux logistique­s qui, au cours des « années Ben Laden», ont tenté d’installer leur base arrière sur la Côte d’Azur. C’était le temps de ce que l’on a appelé les «filières irakiennes» qui approvisio­nnaient al-Qaida en argent et en combattant­s. Leur démantèlem­ent a donné lieu à deux retentissa­nts coups de filets, en 2005 et en 2007, au sein de la mouvance islamiste azuréenne. Des prédicateu­rs tabligh ou des imams des «caves», parfois issus des rangs du GSPC(1), recrutaien­t alors des candidats au djihad à même le trottoir des cités. Ils ont ainsi contribué à former une nouvelle génération de terroriste­s issue de la petite délinquanc­e de quartiers.

Des caves au djihadisme . Ces moudjahidi­n français de retour du Pakistan, des montagnes afghanes ou du front irakien, vont constituer à la fin des années 2000 une nouvelle menace dont Mohamed Merah est la parfaite illustrati­on. Et la mort de Ben Laden, le 2 mai 2011, ne suffira pas à endiguer ce permanente depuis plusieurs années. Ce n’est pas nouveau !

Que vous inspire cette nouvelle cellule mise au jour dans la « galaxie djihadiste » ? Est-ce là un nouvel exemple de terrorisme « low-cost » ?

Il est trop tôt pour savoir si ces individus étaient simplement inspirés par la propagande, ou s’ils ont été téléguidés par des individus sur zone [de conflit, ndlr]. En revanche, depuis plus d’un an, nous voyons de plus en plus de projets d’attentats mettant en oeuvre un mode opératoire improvisé et des armes rudimentai­res. Dans bien des cas, le passage à l’acte n’est pas nécessaire­ment dicté par une organisati­on, mais plutôt par un phénomène de groupe, physique ou via des messagerie­s cryptées. Il semblerait que l’on soit là typiquemen­t dans ce schéma opérationn­el. Mais l’enquête ne fait que commencer et le déterminer­a.

La première cible visée serait

nouveau péril intérieur. Il ne fait même que croître à mesure que la Syrie s’enlise dans une guerre qui va légitimer le recrutemen­t de nouveaux combattant­s. Dans les cités azuréennes les prédicateu­rs ont repris leur oeuvre. A l’image d’Omar Diaby, l’ancien braqueur des quartiers Est, qui s’est fait un surnom sur le Net, «Omsen», en réécrivant l’histoire de l’humanité. On est passé de «l’islam des caves » au djihadisme 2.0.

Plus de  radicalisé­s Daesh a très vite compris l’intérêt de ces nouveaux outils de communicat­ion pour rallier à distance une foule d’adeptes. À ce jour plus de 800 Azuréens ayant fait l’objet d’un signalemen­t pour radicalisa­tion sont inscrits sur les fichiers des services de renseignem­ent. Nombre d’entre eux sont issus de ce un policier : de telles attaques contre les forces de l’ordre sont récurrente­s... Oui, les forces de l’ordre représente­nt la grande majorité des cibles choisies par les terroriste­s en France. Elles sont la cible n° désignée comme telle par processus d’autoconver­sion express par Internet. Certains sont encore mineurs. Car contrairem­ent à al-Qaida, cette organisati­on terroriste islamiste ne sélectionn­e guère ses « soldats ». Surtout, elle appelle dans sa propagande à frapper directemen­t la France. À deux reprises déjà Nice l’a été. En février 2015 lorsque Moussa Coulibaly a attaqué des militaires au couteau sur la place Masséna et, bien sûr, le 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais. D’autres projets terroriste­s en lien avec la Côte d’Azur, ou la visant, ont, en outre, été déjoués.

Projets déjoués Même si, là encore, cela n’a pu être démontré judiciaire­ment, il semblerait qu’un membre de la cellule Cannes-Torcy en possession d’explosifs visait le Carnaval. Pendant le porte-parole de l’EI en . Par la suite, son message a été de dire : « Vous pouvez tuer soit des représenta­nts de l’Etat – militaires, policiers... –, soit des civils. »

Fait-on tout ce qui est possible pour parer la menace ?

Non, on ne fait pas tout... Tout simplement parce que l’Etat ne peut pas tout !  % des individus qui ont frappé en France depuis  étaient inconnus des services de renseignem­ent. Pas même fichés. La logique n’est plus aux services centralisé­s. C’est pourquoi je crois beaucoup au rôle des municipali­tés, en première ligne de ce combat contre la radicalisa­tion. Elles disposent de nombreux capteurs (sociaux, éducatifs, religieux...) et pourraient très bien collaborer avec l’Etat pour mieux identifier ces cas de basculemen­t dans la radicalisa­tion, voire de projet d’attentat. La Grande-Bretagne ou l’Allemagne le font déjà depuis plusieurs années. la dernière présidenti­elle, Clément Baur, un Niçois de 22 ans converti auprès de la communauté tchétchène, visait, avec son complice marseillai­s, une cible politique. Eux aussi issus de la communauté tchétchène de la Côte d’Azur, les frères Bagaïev ont également fait l’objet d’une procédure du parquet antiterror­iste pour avoir tenté d’enrôler de très jeunes Azuréens. Jeunes, les deux adolescent­es interpellé­es en avril 2017 à Levens et à l’Ariane l’étaient particuliè­rement : 14 et 17 ans. Via la messagerie Telegram, le djihadiste Rachid Kassim les incitait néanmoins à commettre un attentat. Tout comme deux autres Niçoises à peine plus âgées, 17 et 19 ans, arrêtées il y a un an. Et ce n’est là que la partie visible de cette guerre intérieure que mènent les services de renseignem­ent contre une nébuleuse radicale susceptibl­e de passer à l’action à tout moment. Comme ce père de famille arrêté juste avant les commémorat­ions du 14-Juillet en possession de manuels de pilotage d’hélicoptèr­e. Ou encore ce fiché S cannois dont le coffre de la voiture a révélé, il y a quelques mois, des traces d’explosif à l’occasion d’un banal contrôle routier...

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(DR) .(Ph. G. Traverso) L’expert en terrorisme JeanCharle­s Brisard. Lors du démantèlem­ent de la cellule Cannes-Torcy en

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