Nice-Matin (Cannes)

«Ces pratiques coûtent des milliards aux États»

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON

Sénateur communiste du Nord, Eric Bocquet s’est surtout fait connaître en publiant en 2016, avec son frère Alain, alors député, Sans domicile fisc (éditions du Cherche-Midi), ouvrage qui démontait les mécanismes de la fraude fiscale à grande échelle. À l’invitation des Amis de la liberté, les deux hommes donneront justement une conférence sur le sujet, ce jeudi 9 novembre à Nice, à 18 h 30 à la Maison des associatio­ns de la place Garibaldi. Les nouvelles révélation­s des «Paradise Papers » sont évidemment tout sauf une surprise pour Eric Bocquet.

Rien qui vous surprenne vraiment dans les mécanismes d’optimisati­on fiscale actuelleme­nt dévoilés…

Hélas, non. On est bientôt au rythme d’un scandale par an. On peut rappeler la liste HSBC, la banque suisse UBS, les « Panama Papers », etc. Le système est profondéme­nt ancré dans l’économie mondialisé­e.

À combien chiffrez-vous le coût annuel de la fraude et de l’évasion fiscales pour notre seul pays ? Nous avons conduit deux commission­s d’enquête sur le sujet en  et  et nous étions arrivés à une fourchette comprise pour la France entre soixante et quatre-vingts milliards d’euros chaque année, en cumulant la fraude des particulie­rs et surtout celle des grands groupes, des banques et des multinatio­nales.

Optimisati­on fiscale, fraude fiscale, difficile d’y voir clair dans le maquis des diverses tricheries…

J’entends depuis lundi certains dire que l’optimisati­on est légale. Mais justement, si elle est légale, au regard de ce qu’elle coûte aux États, il faut changer les lois. Et par ailleurs, si elle est légale, pourquoi tant d’opacité, de discrétion et de dissimulat­ion dans les processus : sociétés écrans, prêtenoms, paradis fiscaux qui ne communique­nt pas… Ces pratiques coûtent des dizaines de milliards aux États et elles mettent en péril les services publics, la démocratie et y compris au bout du compte la souveraine­té des États.

Quelle réponse politique peut-on apporter pour les contrecarr­er ?

Il faut envisager les choses à l’échelon européen, au moins, d’abord pour lutter contre les paradis fiscaux qui existent au sein même de l’Union européenne. Le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande pratiquent le dumping fiscal pour attirer chez eux des multinatio­nales et des grands comptes. Il faudrait déjà oeuvrer de ce côtélà. Deuxième chantier à ouvrir, celui de l’harmonisat­ion fiscale. Elle ne se fera pas du jour au lendemain, il faut être lucide. On aurait dû la mettre en oeuvre dès les débuts de l’Europe. Troisième chose, il faut exiger la transparen­ce des grands groupes qui doivent expliquer ce qu’ils font, où ils sont, quels bénéfices ils réalisent, quels impôts ils paient. Il faut que les entreprise­s rendent des comptes, pays par pays, pour donner une visibilité globale de la situation des groupes internatio­naux. II faut, enfin, une vraie volonté politique, ce ne sont plus les multinatio­nales qui doivent dicter la loi fiscale, les États doivent reprendre la main. La finance a pris le pouvoir dans trop de secteurs de notre société aujourd’hui.

Au plan strictemen­t national, quelle serait la première mesure à prendre pour lutter contre la fraude ?

Supprimer ce qu’on appelle le verrou de Bercy. Seul le ministre du Budget est habilité à ester en justice contre les fraudeurs fiscaux. La justice ne peut s’autosaisir sans une plainte préalable de l’administra­tion fiscale. En clair, seul Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, aurait pu poursuivre Cahuzac Jérôme pour fraude fiscale. Des amendement­s pour faire sauter ce verrou ont été votés au Sénat, mais retoqués à l’Assemblée. Il faudrait que la justice puisse s’autosaisir des affaires de fraude et d’évasion fiscales.

En transforma­nt l’ISF en impôt sur la seule fortune immobilièr­e, le gouverneme­nt a plaidé que l’ISF concourait à l’évasion fiscale…

Pas du tout. Même les pays où l’ISF n’existe pas ont leurs évadés fiscaux. Tous les États européens sont touchés par ce phénomène. L’évasion fiscale coûte mille milliards d’euros chaque année à l’Union européenne, c’est six fois son budget et ça montre bien que tous les pays sont frappés. L’ISF, en France, concerne   foyers et avec les mesures de la loi de Finances , on va avoir un scandale des scandales, dans la mesure où certaines personnes qui étaient assujettie­s à l’ISF vont recevoir en retour de l’administra­tion fiscale un chèque de , million d’euros, supérieur à l’ISF qu’elles payaient. Il est clair que M. Macron ne va pas mener la lutte contre la finance.

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