Quel second souffle donner aux commémorations ?
Le monde patriotique et mémoriel s’étiole au fil des années alors que les anciens combattants et les témoins directs des conflits contemporains disparaissent progressivement…
Alors que la génération du feu de la Grande Guerre s’est évanouie avec la disparition, en 2008, de Lazare Ponticelli, le dernier poilu, alors qu’il ne reste plus que dix compagnons de la Libération âgés de 95 à 103 ans, alors que le nombre d’anciens combattants de la Seconde guerre mondiale, d’Indochine et d’Afrique du Nord ne cesse de décliner : quel avenir pour le monde combattant en France? Comment donner l’envie à une nouvelle génération de passeurs de mémoire, afin que (sur)vivent les commémorations? Des questions d’autant plus délicates que les associations patriotiques s’étiolent au fil des années. Et que, chaque année, le monde du feu voit disparaître 100000 ressortissants sur le territoire national. Une perte loin d’être compensée par l’arrivée des «nouveaux» anciens combattants issus des Opex (OPérations EXtérieures depuis la fin de la guerre d’Algérie, N.D.L.R.). Ils ne sont que 10 000 par an en moyenne…
Transmettre drapeau et traditions
Dans les Alpes-Maritimes, l’Onacvg, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, a répertorié 70 associations nationales implantées dans le département. Seulement une trentaine d’entre elles est active et très peu dépassent le millier d’adhérents. Le gros des troupes? De quelques dizaines à une centaine de membres. Tout au plus. Et c’est à l’Onac d’essayer de faire vivre à travers ces associations le devoir de mémoire. Pas une mince affaire… «Chaque année, les associations sont en déclin faute d’adhérents et de leur âge souvent avancé. Nous essayons d’accompagner celles sur le point de mourir», entame Rémy Giacchero, le directeur de l’Onacvg des AlpesMaritimes. Il s’agit de transmettre le drapeau et les traditions. «Nous avons, par exemple, l’association des anciens d’Indochine dans les Alpes-Maritimes dont le président a plus de 95 ans. C’est désormais Le Souvenir français qui sortira leur drapeau lors des commémorations. C’est le Souvenir français qui va désormais porter la mémoire des anciens d’Indochine et faire vivre leurs dates importantes dans le département». Mais, malheureusement, déplore-til, « certaines associations s’éteignent sans avoir transmis l’héritage». En moyenne, une association d’anciens combattants perd 10 % de ses adhérents tous les ans. L’Onac évalue à 57000 le nombre de ressortissants azuréens, hissant les Alpes-Maritimes au 6e rang national. « Une prouesse pour un département qui n’a jamais eu d’unité militaire », commente Rémy Giacchero. En France, ils sont 3 millions. Sur ces 57 000 ressortissants, environ 40% sont des anciens combattants, 40 % des veuves d’anciens combattants. Les 20% restants se répartissent entre une vingtaine de statuts : les pupilles de la nation, les déportés, les résistants, les harkis, les prisonniers de guerre… Et pour les 40% d’anciens combattants, la grande majorité est issue des conflits d’Afrique du Nord, quelques milliers des Opex. Il reste très peu de survivants de la Seconde guerre mondiale et encore moins pour l’Indochine.
Les anciens combattants pas prêts à une seule date
Dans les Alpes-Maritimes, « beaucoup de communes jouent le jeu des commémorations», assure le directeur de l’Onac. Mais, faute de… combattants, l’exercice pourrait s’avérer de plus en plus difficile. Alors, faut-il une date commune pour commémorer tous les conflits comme certains le préconisent ? « Les anciens combattants ne sont pas prêts. Ce ne serait pas bien perçu en France », estime Rémy Giacchero. «Le combattant d’Indochine se reconnaîtra dans la date du 8 juin pas dans celle du 11 novembre». Il évoque aussi la polémique toujours vive entre le 19 mars et 5 décembre pour l’Algérie. Toutefois, il se hasarde: « Pourquoi pas une date par génération du feu?» Quoi qu’il en soit, le monde patriotique doit entamer sa mue. Un renouveau qu’il va devoir imaginer dès à présent. « Tous les ans, 10 000 Opex deviennent des anciens combattants, mais ils entament souvent leur deuxième vie active», commente Rémy Giacchero. Ils sont beaucoup moins actifs dans le tissu associatif. «La mémoire des Opex est moins homogène », constate-t-il.
Mémoire et citoyenneté
Pour lui, il faudrait tout « réinventer». Réinventer les commémorations qui parfois ne rassemblent que des élus venus déposer une gerbe… «Il faut faire en sorte que les cérémonies ne soient pas seulement destinées à ceux qui sont déjà concernés». Rémy Giacchero considère qu’il va falloir « repenser le cérémonial républicain. En faire une cérémonie plus éducative, avec explications des symboles. Aujourd’hui nous écoutons encore des témoins vivants, mais bientôt nous n’aurons plus que des “sachants ”. Il faut donner envie à des jeunes d’être les futurs passeurs de mémoire ». La survie des cérémonies passerat-elle par davantage de citoyenneté? Oui, dit le directeur azuréen de l’Onac : « L’objectif de la mémoire et de la citoyenneté, c’est de rassembler ».