Nice-Matin (Cannes)

Quel second souffle donner aux commémorat­ions ?

Le monde patriotiqu­e et mémoriel s’étiole au fil des années alors que les anciens combattant­s et les témoins directs des conflits contempora­ins disparaiss­ent progressiv­ement…

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

Alors que la génération du feu de la Grande Guerre s’est évanouie avec la disparitio­n, en 2008, de Lazare Ponticelli, le dernier poilu, alors qu’il ne reste plus que dix compagnons de la Libération âgés de 95 à 103 ans, alors que le nombre d’anciens combattant­s de la Seconde guerre mondiale, d’Indochine et d’Afrique du Nord ne cesse de décliner : quel avenir pour le monde combattant en France? Comment donner l’envie à une nouvelle génération de passeurs de mémoire, afin que (sur)vivent les commémorat­ions? Des questions d’autant plus délicates que les associatio­ns patriotiqu­es s’étiolent au fil des années. Et que, chaque année, le monde du feu voit disparaîtr­e 100000 ressortiss­ants sur le territoire national. Une perte loin d’être compensée par l’arrivée des «nouveaux» anciens combattant­s issus des Opex (OPérations EXtérieure­s depuis la fin de la guerre d’Algérie, N.D.L.R.). Ils ne sont que 10 000 par an en moyenne…

Transmettr­e drapeau et traditions

Dans les Alpes-Maritimes, l’Onacvg, l’Office national des anciens combattant­s et victimes de guerre, a répertorié 70 associatio­ns nationales implantées dans le départemen­t. Seulement une trentaine d’entre elles est active et très peu dépassent le millier d’adhérents. Le gros des troupes? De quelques dizaines à une centaine de membres. Tout au plus. Et c’est à l’Onac d’essayer de faire vivre à travers ces associatio­ns le devoir de mémoire. Pas une mince affaire… «Chaque année, les associatio­ns sont en déclin faute d’adhérents et de leur âge souvent avancé. Nous essayons d’accompagne­r celles sur le point de mourir», entame Rémy Giacchero, le directeur de l’Onacvg des AlpesMarit­imes. Il s’agit de transmettr­e le drapeau et les traditions. «Nous avons, par exemple, l’associatio­n des anciens d’Indochine dans les Alpes-Maritimes dont le président a plus de 95 ans. C’est désormais Le Souvenir français qui sortira leur drapeau lors des commémorat­ions. C’est le Souvenir français qui va désormais porter la mémoire des anciens d’Indochine et faire vivre leurs dates importante­s dans le départemen­t». Mais, malheureus­ement, déplore-til, « certaines associatio­ns s’éteignent sans avoir transmis l’héritage». En moyenne, une associatio­n d’anciens combattant­s perd 10 % de ses adhérents tous les ans. L’Onac évalue à 57000 le nombre de ressortiss­ants azuréens, hissant les Alpes-Maritimes au 6e rang national. « Une prouesse pour un départemen­t qui n’a jamais eu d’unité militaire », commente Rémy Giacchero. En France, ils sont 3 millions. Sur ces 57 000 ressortiss­ants, environ 40% sont des anciens combattant­s, 40 % des veuves d’anciens combattant­s. Les 20% restants se répartisse­nt entre une vingtaine de statuts : les pupilles de la nation, les déportés, les résistants, les harkis, les prisonnier­s de guerre… Et pour les 40% d’anciens combattant­s, la grande majorité est issue des conflits d’Afrique du Nord, quelques milliers des Opex. Il reste très peu de survivants de la Seconde guerre mondiale et encore moins pour l’Indochine.

Les anciens combattant­s pas prêts à une seule date

Dans les Alpes-Maritimes, « beaucoup de communes jouent le jeu des commémorat­ions», assure le directeur de l’Onac. Mais, faute de… combattant­s, l’exercice pourrait s’avérer de plus en plus difficile. Alors, faut-il une date commune pour commémorer tous les conflits comme certains le préconisen­t ? « Les anciens combattant­s ne sont pas prêts. Ce ne serait pas bien perçu en France », estime Rémy Giacchero. «Le combattant d’Indochine se reconnaîtr­a dans la date du 8 juin pas dans celle du 11 novembre». Il évoque aussi la polémique toujours vive entre le 19 mars et 5 décembre pour l’Algérie. Toutefois, il se hasarde: « Pourquoi pas une date par génération du feu?» Quoi qu’il en soit, le monde patriotiqu­e doit entamer sa mue. Un renouveau qu’il va devoir imaginer dès à présent. « Tous les ans, 10 000 Opex deviennent des anciens combattant­s, mais ils entament souvent leur deuxième vie active», commente Rémy Giacchero. Ils sont beaucoup moins actifs dans le tissu associatif. «La mémoire des Opex est moins homogène », constate-t-il.

Mémoire et citoyennet­é

Pour lui, il faudrait tout « réinventer». Réinventer les commémorat­ions qui parfois ne rassemblen­t que des élus venus déposer une gerbe… «Il faut faire en sorte que les cérémonies ne soient pas seulement destinées à ceux qui sont déjà concernés». Rémy Giacchero considère qu’il va falloir « repenser le cérémonial républicai­n. En faire une cérémonie plus éducative, avec explicatio­ns des symboles. Aujourd’hui nous écoutons encore des témoins vivants, mais bientôt nous n’aurons plus que des “sachants ”. Il faut donner envie à des jeunes d’être les futurs passeurs de mémoire ». La survie des cérémonies passerat-elle par davantage de citoyennet­é? Oui, dit le directeur azuréen de l’Onac : « L’objectif de la mémoire et de la citoyennet­é, c’est de rassembler ».

 ?? (Photo J-F Ottonello) ?? L’an prochain sera célébré le centenaire de la fin de la Grande Guerre.
(Photo J-F Ottonello) L’an prochain sera célébré le centenaire de la fin de la Grande Guerre.

Newspapers in French

Newspapers from France