Nice-Matin (Cannes)

« J’ai l’impression d’avoir perdu Romain hier soir »

Alors que la ville de Drap a baptisé hier une école au nom de leur fils fauché lors de l’attentat du 14Juillet, ses parents Emilie Petitjean et Greg Knecht témoignent de leur douleur, de leur reconstruc­tion.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr

Une mère, un père. Et l’ombre d’un corps qu’ils ont serré si souvent. Une mère, un père. Et ce silence qui a remplacé pour toujours les rires de leur gamin. Romain. Il avait dix ans. Il voulait juste regarder les étoiles. Leur fils. Tout l’après-midi du 14-Juillet, il avait « conscienci­eusement appris la Marseillai­se ». Il ne chantera plus. Ne reste que « ce putain de silence, le silence sur la Prom’ après le camion ». Une femme, un homme séparés. Une mère, un père, liés à la survie à la mort. Un peu plus d’un an après l’attentat de Nice et alors que la ville de Drap a baptisé, hier, une école au nom de leur fils, Émilie Petitjean et Greg Knecht reviennent sur le soir où Romain a été fauché sur la promenade. Ils racontent la perte, l’irréparabl­e, l’après qui balbutie, le bonheur qui n’a plus de sens. Récit à deux voix.

Le -Juillet

Les parents de Romain se sont séparés quand il était tout petit. Ce jour-là, Romain était chez son père.

Greg Knecht : « Romain était tout content d’aller au feu d’artifice. Je ne voulais pas mais on y est allés. J’ai cédé ». Le feu d’artifice a éteint ses dernières lueurs dans le ciel d’été. « J’ai reçu un coup de fil, cinq petites minutes, cinq minutes… Romain et ma compagne se sont dirigés vers la Prom’ Party. Au bout de  mètres, ils ont rebroussé chemin. Et le camion est passé… J’ai couru à travers les corps, les gens qui agonisaien­t. J’ai couru comme un fou. Au loin, j’ai vu ma compagne. Elle était debout. Elle pleurait. Je me suis dit : “Putain, c’est fini !” Je me suis agenouillé auprès du corps de Romain. J’ai appelé Émilie. J’ai été clair. J’ai dit : “Romain est décédé”. Puis je me suis allongé contre lui sous la couverture. Pour le réchauffer. Pour le protéger des regards, des journalist­es, des pillards .... » Émilie Petitjean : « Il était  h , mon téléphone a sonné. J’ai hurlé. J’étais dans mon salon, à genoux. Je suis partie en pyjama. Dans la voiture, j’ai mis la radio. Ils disaient qu’il y avait un attentat à Nice, je n’y croyais pas. J’ai jeté ma voiture je ne sais où, je suis partie en courant. Une barrière. Un policier municipal m’a chopée : “Vous ne pouvez pas passer”. “Si. Mon fils est mort, il faut que j’aille identifier le corps.” On m’a jetée dans les bras d’un psy ». Greg Knecht : « Le vent s’est levé. Il faisait très froid. Ce froid et ce putain de silence sur la Prom’. Je voulais garder Romain au chaud. Je ne voulais pas le lâcher. C’est l’armée qui nous a séparés… » Émilie Petitjean : « On s’est retrouvés au CUM, à  heures du matin. J’ai vu arriver Greg, la chemise pleine de sang… » Greg Knecht : « Pendant sept heures, depuis le CUM, on a veillé notre fils… » Émilie Petitjean : « Le soleil s’est levé sur notre enfant mort. Le paradoxe : je crois que je n’ai jamais vu un aussi beau lever de soleil. »

Le jour d’après

Émilie Petitjean a un autre fils, Maxime, né de son second mariage. Le demi-frère de Romain. Il avait quatre ans le  juillet .

Émilie Petitjean « Je lui ai dit dès le lendemain. Avec les vrais mots. Les mots les plus bruts possible. J’étais obligée. Il était si petit. Il me voyait chialer tout le temps. Je lui ai dit : “Romain a eu un gros bobo, il ne se réveillera plus jamais, il est mort”. Il a fallu que je lui réexplique et lui redise tout l’été. Ça reste encore très difficile. J’ai eu la chance d’avoir un autre enfant. Ça oblige à rester debout. » Greg Knecht : «Ilnemerest­eque mon père aujourd’hui. Il ne me reste plus que de l’amour à donner. Et plus de fils à qui le donner. Alors je le donne comme je peux à Maxime, à Mylan, aux copains de Romain. »

La douleur

Émilie Petitjean : « On arrive à survivre mais c’est pas de la vie. Tous les moments de bonheur seront forcément entachés par l’absence de Romain. Ma petite soeur s’est mariée cet été, Romain n’est pas sur les photos. Je suis allée déposer les photos du mariage sur sa tombe… On arrive au deuxième Noël après. C’est pire que le premier. On a de plus en plus mal. Romain avait grandi, il m’aidait à choisir les cadeaux de son frère, il était devenu le complice du Père Noël. Il y a des dates insupporta­bles. Mon anniversai­re. L’anniversai­re de Romain, le  mai. Ce jour-là j’ai remis les pieds pour la première fois sur la Prom’, mon mari avait pris un jour de congé. Puis je suis allée au cimetière. » Greg Knecht : « Il n’y a plus de Noël, plus de joie, plus rien. Le temps est différent. J’ai l’impression d’avoir perdu Romain hier soir. On peut vivre l’instant présent. Pas se projeter. J’ai le sentiment de ne plus pouvoir être père. Le plus dur, c’est de ne plus pouvoir transmettr­e. Romain était heureux, je ne le serai jamais plus. C’était un gamin d’une gentilless­e, doux, attentionn­é, sensible, peut-être trop… » Émilie Petitjean : « On venait de déménager. Il était à l’école municipale de Drap, on s’est installés à La Trinité. Il avait réussi à se faire une bande de copains. Quelques-uns vont régulièrem­ent sur sa tombe, ils sont très marqués. »

La colère

Greg Knecht : « Je suis en colère contre moi. Il n’y a pas de vengeance possible alors la colère reste. Les polémiques, les amalgames, j’ai fermé les portes…»

L’indemnisat­ion

Émilie Petitjean est en arrêt maladie depuis l’attentat. Greg Knecht a repris le travail quelque temps avant de s’effondrer.

Émilie Petitjean « On n’a pas été indemnisés totalement. Il faut qu’on passe des expertises. ça va durer des années… Je suis passée sur RMC chez Eric Brunet, il y avait un avocat qui m’a dit : “Une malfaçon sur une véranda, c’est   euros d’indemnisat­ion”. Ça veut dire que la vie de mon fils vaut deux vérandas ? Ils disent que c’est le prix d’une réparation totale. Une réparation totale ? Le terme est juste insupporta­ble ! »

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