Nice-Matin (Cannes)

Patrick Timsit : « Les silences sont aussi forts que les rires »

Le comédien donne corps au texte d’Albert Cohen Le Livre de ma mère, oeuvre qui l’a toujours suivie dans un coin de sa tête... À voir ce soir sur la scène d’Anthéa

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

Fallait que ça vienne du bide tout ça. Y’avait pas à tortiller. Fort de ne pas vouloir créer l’émotion, Patrick Timsit a choisi de prendre le risque de la susciter. En montant sur les planches avec pour seul costume la plume d’Albert Cohen, le comédien donne corps au Livre de ma mère. OEuvre viatique. Incarnée avec l’épure propre à l’organique. Une histoire de l’ordre de l’universel qui ne peut laisser place aux fioritures. Du théâtre oui, mais pris par la racine. À découvrir dès ce soir sous les projecteur­s d’Anthéa.

Cette création, c’est d’abord l’histoire de votre rencontre avec ce livre…

Cela fait plus de trente ans, que je l’ai rencontré presque par un hasard. Je cherchais un livre pour avoir des extraits à produire dans un atelier de théâtre. Et, d’extrait en extrait j’ai compris que j’aurai un rendez-vous avec cet ouvrage un jour dans ma vie. J’attendais d’avoir une maturité pour ça. Il y a l’âge, oui. Mais aussi le métier. Parce qu’il faut être au service de l’oeuvre pour ne pas la dénaturer. Après avoir fait Inconnu à cette adresse et Les derniers jours de Stefan Zweig, je suis revenu dessus. Je me suis dit : c’est maintenant.

Pourquoi précisémen­t maintenant ?

Je vais commencer par la fin… En le jouant, je me rends compte de tout le travail réalisé avec Dominique Pitoiset [N.D.L.R. le metteur en scène] : on ne sait plus qui parle. On a mis en style direct le texte d’Albert Cohen : quand on s’adresse aux gens avec le lyrisme littéraire on peut perdre en émotion. Alors qu’on est dans le présent ici et maintenant. Attention, je ne joue pas Albert Cohen, nous ne sommes pas dans les années soixante ! Je serai à Antibes m’adressant aux gens qui seront dans la salle. C’est ça qui est vrai. Et c’est justement maintenant en fait : ce déclic c’est incroyable, il faut avoir cette prise de confiance.

Faut accepter tout ça !

Oui, arrêter de se poser des questions. Il y a les raisons intellectu­elles et les plus simples. Je pense à un passage où pour résumer il dit : parle de ta mère morte et surtout souris, souris pour escroquer ton désespoir, souris pour continuer de vivre… On y est, ça me correspond un peu. Même dans

‘‘ le one-man-show d’ailleurs ! C’est pour cela que ce n’est pas un si grand écart, je peux jouer Pédale douce et le lendemain Le Cousin, empreint de gravité, de colère, de choses sociales qui font que je m’y retrouve aussi. Et avec Albert Cohen c’est la même chose : on sourit et on parle aussi de l’émigration. Lui qui débarque à Marseille depuis son île de Corfou, comme j’aurai pu aussi y débarquer. Mon père hésitait justement à arriver à Marseille, au final nous avons choisi Paris puisque la famille de ma mère y était. Et on parle du regard des autres, on pense aux migrants, faut voir aussi l’accueil qu’on leur réserve en France…

Vous êtes vraiment touché par ce texte…

J’aime ce texte à la folie, c’est le choc, il m’a eu ! Mais on ne va pas dans le pathos avec. On est dans le plaisir, ce n’est pas une torture pour le public ! [rires] Ce n’est pas un prétexte pour que je règle mes comptes non plus, y’a des rires et quand on est dans le sentiment… Rien qu’en pensant à deux paragraphe­s je sens que ça monte !

Lesquels ?

L’avant-dernier c’est une lettre aux « fils des mères encore vivantes » qui rejoint le one-man, on fait rire mais après coup il y a un petit truc où l’on sent qu’on n’est plus pareil. À la sortie du spectacle j’ai des jeunes gens qui m’ont dit : je n’ai pas pu m’empêcher d’appeler ma mère tout de suite ! Mais le témoignage qui m’a le plus bouleversé c’est un jeune homme qui est venu voir le spectacle alors qu’il perdait sa maman, il m’a dit que ça lui a fait du bien justement… [silence ]Ah et le dernier paragraphe c’est l’hommage aux mères vivantes, à la mère de toute la terre, ce n’est pas un truc communauta­ire. La « mère juive » c’est une expression, on parle de la mère méditerran­éenne, la mère d’Europe de l’est, la mère… la mère « trop ».

Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec Dominique Pitoiset ?

Je voulais rencontrer des gens que je ne connaissai­s pas. Je voulais être crédible : que l’on me suive pour le projet, pas par amitié. Dominique Pitoiset je le voyais comme quelqu’un qui aurait juste une oreille posée. Mais cela a été beaucoup plus, il est arrivé avec son univers, venant de la mise en scène d’opéra, de théâtres nationaux… On a pris le risque ensemble : on ne se connaissai­t pas, on s’est retrouvés à Venise dans un monastère, dans les cellules de travail.

Ah oui c’est un sacré parti pris !

C’est un intellectu­el, c’est une rencontre humaine. On a le même âge, l’ego va bien, on est en équilibre, on a envie de remettre en question les choses, respecter les mots mais rendre ça vivant… C’est une vie nouvelle. C’est formidable de se retrouver puceau à  ans ! [rires] Vous avez une certaine connaissan­ce de la chose, mais l’émotion nouvelle.

On vous sent apaisé…

C’est ça ! Pas d’angoisse. On essaie, on voit. On reprend possession de sa tête et de sa raison. On m’avait dit ça : il faut savoir couper les ficelles de ses émotions, se laisser respirer pour récupérer.

Comment vous a-t-il dirigé ?

Sur la vérité, le sens des phrases, le rien, le non-effet. On est pareils : rigoureux mais pas directifs. C’est formidable d’avoir votre propre regard. De travailler dans cette confiance. Il m’a dit de m’autoriser des temps pour qu’on comprenne, pour qu’on danse avec moi. Y’a pas de dorure autour, y’a pas besoin. On est dans l’émotion pure.

L’exercice du monologue, c’est quelque chose qui vous plaît ?

Oui, bien évidemment. Au début, on est parti sur une lecture… Mais trois semaines après y’avait plus de tout ça. On en est bien loin. C’est juste un mec qui est là sur scène que dit aux spectateur­s : posez-vous, ne vous attendez à rien, je vais vous raconter quelque chose.

L’expression du manque : la chose la plus essentiell­e et pourtant la plus difficile à rendre palpable ?

J’ai compris qu’il fallait que je prenne le risque de ne pas rentrer dans l’émotion. Rendre palpable, c’est ça mon travail : oser rentrer sur scène comme je vous parle actuelleme­nt. Je découvre que les silences sont aussi forts que les rires.

À côté des planches de théâtre, vous assurez également la promo du film de Thomas Langmann Stars  la suite...

C’est moi. Stars  c’est le divertisse­ment, le rendez-vous festif, j’avais jamais vu ça : les gens chantent et dansent dans la salle de cinéma ! En dehors des la musique, c’est l’histoire humaine de ces gens qui voient passer le train une deuxième fois, vous avez à faire à des gens heureux. Tout ça c’est très humain.

Se retrouver puceau à  ans ! ”

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