L’horreur d’un double infanticide jugé à Nice
Pape Gueye semble trôner au centre du box des accusés de la cour d’assises. Bras croisés, hiératique, crâne rasé, il reste imperturbable à l’écoute de l’effroyable récit de son double infanticide et de sa tentative de suicide. Son calme apparent contraste avec le chaos qui régnait le 27 mars 2014, vers 18h30 rue Rouget-de-l’Isle, au centre de Nice. Son flegme tranche avec l’émotion des policiers de la brigade des mineurs, qui ont eu à enquêter sur une affaire qui les a profondément marqués. « C’était la panique, se souvient un infirmier des sapeurs-pompiers. Un enfant était sur le trottoir en arrêt cardio-respiratoire. Une personne était en train de faire un massage cardiaque. Je pensais alors qu’il s’agissait d’une défenestration. » Des témoins venaient de composer le 17 alors qu’un jeune homme hurlait « les enfants sont morts », « les enfants sont morts»! Le jeune homme c’est Jean (*), le demi-frère de Mahomet et Mansour, 5 ans et 2 ans. C’est lui qui, le premier, a soulevé les draps, linceuls de fortune qui recouvraient le visage des petits. Depuis la veille, Jean avait un mauvais pressentiment. Son père avait agressé Zahra (*), sa jeune épouse qui souhaitait divorcer. Il lui avait brisé deux dents. La police était intervenue. Contre toute attente, Pape Gueye n’avait pas été placé en garde à vue. Le problème de la surveillance des deux garçonnets se posait. Sa femme hospitalisée, la lèvre tuméfiée, le crâne fracturé, ne s’était pas opposée à ce que les enfants restent à la maison. Jamais, elle n’aurait pu penser qu’ils étaient en danger. Une gardienne de la paix avoue, les larmes aux yeux, qu’elle n’avait pas compris la décision de sa hiérarchie de ne pas embarquer le mari violent.
Le courage d’un grand frère
Jean, le grand frère, lui, tient bon et livre pendant près de deux heures un récit presque clinique, suffocant, du drame qui a détruit sa vie. « Dans la chambre j’ai découvert le corps de mon père et celui de Mansour, avec des coussins sur le visage. J’ai pris Mahomet et je suis sorti par la fenêtre. Je l’ai posé sur le trottoir. J’ai fait un massage cardiaque et du boucheà-bouche. » Les enfants étaient en réalité morts depuis plus de six heures selon le légiste. Par empoisonnement et asphyxie. Psychiatre et psychologue ont maintenu Jean en survie tant bien que mal. Lui tente de maintenir à distance l’indicible horreur. Après des études supérieures interrompues, au gré des dépressions et des hospitalisations, il vient de les terminer. Il rêve de travailler en Australie, loin de Nice. La Cour présidée par Patrick Véron et les jurés sont suspendus à ses lèvres. « Je suis venu pour vous dire combien mon père était néfaste, pathologique, pour mes frères. » Alors que Zahra venait d’être agressée, le jeune homme aux larges épaules se débrouillait pour payer les soins, rencontrer une assistante sociale, se rendre au commissariat. «Cela faisait 24 heures que j’essayais de sensibiliser tout le monde au danger que représentait mon père», raconte le témoin clef de cette affaire. Le procès doit se terminer vendredi. Pape Gueye, amnésique, encourt la perpétuité : « Les experts ont constaté que j’avais laissé mes empreintes sur les enfants mais moi, je ne me rappelle de rien », déclare-t-il, désarmant de tranquillité.
(*) prénoms d’emprunt