Nice-Matin (Cannes)

L’horreur d’un double infanticid­e jugé à Nice

- CHRISTOPHE PERRIN

Pape Gueye semble trôner au centre du box des accusés de la cour d’assises. Bras croisés, hiératique, crâne rasé, il reste imperturba­ble à l’écoute de l’effroyable récit de son double infanticid­e et de sa tentative de suicide. Son calme apparent contraste avec le chaos qui régnait le 27 mars 2014, vers 18h30 rue Rouget-de-l’Isle, au centre de Nice. Son flegme tranche avec l’émotion des policiers de la brigade des mineurs, qui ont eu à enquêter sur une affaire qui les a profondéme­nt marqués. « C’était la panique, se souvient un infirmier des sapeurs-pompiers. Un enfant était sur le trottoir en arrêt cardio-respiratoi­re. Une personne était en train de faire un massage cardiaque. Je pensais alors qu’il s’agissait d’une défenestra­tion. » Des témoins venaient de composer le 17 alors qu’un jeune homme hurlait « les enfants sont morts », « les enfants sont morts»! Le jeune homme c’est Jean (*), le demi-frère de Mahomet et Mansour, 5 ans et 2 ans. C’est lui qui, le premier, a soulevé les draps, linceuls de fortune qui recouvraie­nt le visage des petits. Depuis la veille, Jean avait un mauvais pressentim­ent. Son père avait agressé Zahra (*), sa jeune épouse qui souhaitait divorcer. Il lui avait brisé deux dents. La police était intervenue. Contre toute attente, Pape Gueye n’avait pas été placé en garde à vue. Le problème de la surveillan­ce des deux garçonnets se posait. Sa femme hospitalis­ée, la lèvre tuméfiée, le crâne fracturé, ne s’était pas opposée à ce que les enfants restent à la maison. Jamais, elle n’aurait pu penser qu’ils étaient en danger. Une gardienne de la paix avoue, les larmes aux yeux, qu’elle n’avait pas compris la décision de sa hiérarchie de ne pas embarquer le mari violent.

Le courage d’un grand frère

Jean, le grand frère, lui, tient bon et livre pendant près de deux heures un récit presque clinique, suffocant, du drame qui a détruit sa vie. « Dans la chambre j’ai découvert le corps de mon père et celui de Mansour, avec des coussins sur le visage. J’ai pris Mahomet et je suis sorti par la fenêtre. Je l’ai posé sur le trottoir. J’ai fait un massage cardiaque et du boucheà-bouche. » Les enfants étaient en réalité morts depuis plus de six heures selon le légiste. Par empoisonne­ment et asphyxie. Psychiatre et psychologu­e ont maintenu Jean en survie tant bien que mal. Lui tente de maintenir à distance l’indicible horreur. Après des études supérieure­s interrompu­es, au gré des dépression­s et des hospitalis­ations, il vient de les terminer. Il rêve de travailler en Australie, loin de Nice. La Cour présidée par Patrick Véron et les jurés sont suspendus à ses lèvres. « Je suis venu pour vous dire combien mon père était néfaste, pathologiq­ue, pour mes frères. » Alors que Zahra venait d’être agressée, le jeune homme aux larges épaules se débrouilla­it pour payer les soins, rencontrer une assistante sociale, se rendre au commissari­at. «Cela faisait 24 heures que j’essayais de sensibilis­er tout le monde au danger que représenta­it mon père», raconte le témoin clef de cette affaire. Le procès doit se terminer vendredi. Pape Gueye, amnésique, encourt la perpétuité : « Les experts ont constaté que j’avais laissé mes empreintes sur les enfants mais moi, je ne me rappelle de rien », déclare-t-il, désarmant de tranquilli­té.

(*) prénoms d’emprunt

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