Nice-Matin (Cannes)

«Quartier» du mâle ?

Le harcèlemen­t sexuel de rue dans les cités: plus qu’ailleurs? Pas si simple. Sexisme ordinaire banalisé ? Là, c’est une autre histoire. Paroles d’habitants de L’Ariane

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Le harcèlemen­t sexuel débridé dans les quartiers dit difficiles ? « Lorsqu’on porte plainte, ça prend des mois et des mois et c’est souvent classé sans suite parce que c’est dans les quartiers les plus difficiles où nos magistrats ont déjà énormément à faire. » Raccourci, maladresse du président Macron lors de son entretien télévisé du 15 octobre dernier ? Ou réalité des cités ? Pas si simple… « Ici, je trouve que c’est très masculin », marmonne Nahed sur la défensive. La jeune femme attend une copine au pied d’un immeuble défraîchi du boulevard de L’Ariane. « Je ne sais pas comment expliquer. Mais regardez autour de vous : les hommes, on les voit toute la journée, les femmes non. Il y a des heures où elles sont presque invisibles. » Elle ajoute : «Et puis, écoutez : toutes les voix qu’on entend sont celles d’hommes. Les femmes sont silencieus­es. Inconsciem­ment, la rue est à eux ». Nahed est arrivée à L’Ariane il y a dix ans. À 26 ans, elle est aujourd’hui maman de deux enfants. « Et mariée », ajoute-t-elle. C’est important. «Le harcèlemen­t dans la rue, je ne connais pas », dit-elle. Avant de se reprendre : « Je connais plus... Tout le monde sait dans le quartier que je suis rangée avec des gosses. Mais j’ai des amies qui ont mon âge, pas casées, et qui sont souvent regardées comme du bétail. Et parfois, c’est plus que des regards». Mais du harcèlemen­t sexuel ? « Je sais pas si on peut aller jusque-là. »

« Elle va pas crier au harcèlemen­t sexuel »

« On est des hommes, ça fait pas de mal de regarder. » Assis à la table d’un petit café rue du Comte-Vert, quatre Arianencs pouffent, gênés. «La drague, c’est pas du harcèlemen­t sexuel », assène, sûr de lui, le plus hardi de la tablée de « trentenair­es». Un autre fait la grimace: « Mais nous, on fait plus ça, on a des familles, on respecte nos femmes. Allez voir les jeunes. » Compris. Discussion close. Nelson parle fort avec des potes au coin de la rue. Le grand échalas est le petit malin de la bande. Harcèlemen­t sexuel ? Ça le fait mourir de rire. « Quand la meuf elle a un collant ou tu lui vois tout, c’est pour montrer son cul et si tu lui dis qu’elle a un beau cul elle le prend pas mal, c’est un compliment. Je peux lui demander si elle veut qu’on fasse un truc tous les deux, ça va », assène le grand ado, crânement. Il rit : « Elle va pas crier au harcèlemen­t sexuel...» Un de ses copains souffle : « Tu viens au collège et tu vois la différence direct, y’a celles qui cherchent et celles qui cherchent pas. Celles-là, on ne les emmerde pas ». Deux copines passent. Deux adolescent­es ordinaires. Elles s’esclaffent : « Mais il n’y a pas de viols dans le quartier». Agressions sexuelles, viols, harcèlemen­t... Il faut expliquer la différence, les mots déplacés, les demandes appuyées... « C’est ça le harcèlemen­t sexuel? Ben si alors, c’est tous les jours. C’est pas grave. Mais le pire c’est sur Facebook. Y’a des filles qui se font piquer leurs photos et les mecs l’affichent en mettant qu’elle a une bouche de suceuse. Mais elles viennent au collège quand même, elles s’en fichent », lâche la plus bavarde.

« Je n’y fais plus attention »

Absa a 17 ans. Elle sort de l’épicerie. « Je n’y fais plus attention, c’est l’habitude. Quand je sens que ça peut déraper, qu’il y a des mots, je prends mon téléphone et je fais comme si je parlais à mon père. Genre : Ah oui papa je te vois, j’arrive. Ça calme les petits cons. Ils se prennent pour des caïds quand ils parlent de sexe. Mais, ils ont peur des hommes, peur des adultes. »

 ?? (Photo Franck Fernandes) ?? L’Ariane, ce quartier sensible de l’est de Nice, au sexisme ordinaire vécu par les femmes qui ne sont ni des filles, ni des mamans. Les quartiers, un monde d’hommes, inconsciem­ment.
(Photo Franck Fernandes) L’Ariane, ce quartier sensible de l’est de Nice, au sexisme ordinaire vécu par les femmes qui ne sont ni des filles, ni des mamans. Les quartiers, un monde d’hommes, inconsciem­ment.

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