Nice-Matin (Cannes)

Trente ans de réclusion pour le père infanticid­e

La dernière journée de procès devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes a été marquée par les larmes de l’avocate générale lors d’une bouleversa­nte plaidoirie de la partie civile

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Pape Gueye eut été une statue, personne ne se serait ému de le voir aussi immobile à l’énoncé du verdict : trente années de réclusion criminelle prononcées par la cour d’assises des Alpes-Maritimes. La perpétuité avait été requise. Mais Pape Gueye, 58 ans, n’est pas une statue. C’est un homme, de chair et d’os. Qui a tué ses deux garçons de 2 et 5 ans, Mansour et Doudou Mahomet, le 27 mars 2014 rue Rougetde-L’Isle à Nice. Deux garçonnets empoisonné­s et étouffés. Trente ans. Et pourtant Pape Gueye n’a pas cillé. Une apparente absence d’affect qui a certaineme­nt pesé dans l’esprit des jurés malgré des excuses tardives adressées à sa femme, à son fils. Cette dernière journée de procès a donné lieu à un moment rarissime dans une cour d’assises. Les larmes ont coulé sur les joues de l’avocate générale. La plaidoirie en partie civile de Me Sandrine Reboul, pour l’associatio­n « Enfance et partage » venait, il est vrai, d’emporter émotionnel­lement l’auditoire. «Que leur avez-vous dit en les tuant ? Par lequel avez-vous commencé ? Est-ce que Mansour jouait avec son camion ? [...] A-t-il eu le temps de crier ? Vous avez pensé à quoi pendant ces trois, quatre, cinq minutes, durant lesquelles vous l’étouffez avec le coussin ? Et celui de cinq ans ? Est-il allé se cacher ? A-t-il compris ce qu’il allait se passer ? Lui avez-vous dit qu’ils perdaient la vie parce que leur maman les aimait trop?»

« Colère, douleur, incompréhe­nsion »

Secondes suspendues. Le silence engloutit la salle d’audience. L’avocate générale, Emilie Taligault, pleure. Des jurés pleurent. D’autres ont le coeur à marée basse, tête baissée. Des yeux se tournent vers le box, en quête de réponses. Mais Pape Gueye, figé, continue à incarner le rôle d’imperturba­ble statue qu’il s’est composé. Terrible contraste. « La vie a un sens si on veut bien lui en donner un», écrivait Sartre. Dans cette salle, à cet instant, on cherche un début de sens dans la moindre particule de cette étouffante atmosphère. « Mon visage ne montre rien mais dans mon coeur il y a une énorme douleur », avait-il quand même lâché plus tôt dans la journée avec difficulté. Comme si le micro lui brûlait les mains, pressé qu’il était de questions sur son attitude. C’est tout C’est peu. L’avocate de la famille, Me Alexandra Morel, a raconté le calvaire que les proches endurent depuis le drame. « Cela fait trois ans que j’assiste ces rescapés, trois ans de souffrance, de colère, de douleur, d’incompréhe­nsion. »

« Pseudo amnésie »

Affirmant qu’il se cache derrière une « pseudo amnésie », l’avocate décrit un homme parfaiteme­nt conscient de ce qu’il prépare le jour du crime après avoir envoyé sa femme à l’hôpital, dents cassées. «Vous avez tué votre famille M. Gueye. Avec sang-froid et méthode.» Elle égrène ses fêtes devenues vides de sens : anniversai­res, Fête des mères, Noël. Me Julie Dupy, avocate de Pape Gueye, implorera les jurés de ne pas se laisser emporter par l’effroi qu’inspire ce geste terrible. Elle évoque « une haine réciproque » entre la mère et le père. Et affirme qu’il n’était pas conscient de ce qu’il faisait. Selon elle, l’accusé a été victime au moment des crimes « d’une rupture, une altération tellement profonde qu’elle est encore présente ». Après une courte délibérati­on de 1h45, et le verdict, Pape Gueye s’en est allé, encadré par les policiers. Mais était-il vraiment entré dans ce box ?

 ??  ?? Pour cette ultime journée de procès, l’émotion était à son paroxysme hier après-midi, au palais de justice de Nice. L’avocate de la partie civile, Me Sandrine Reboul, par sa plaidoirie poignante, a su emporter l’auditoire. (Photo François Vignola)
Pour cette ultime journée de procès, l’émotion était à son paroxysme hier après-midi, au palais de justice de Nice. L’avocate de la partie civile, Me Sandrine Reboul, par sa plaidoirie poignante, a su emporter l’auditoire. (Photo François Vignola)

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