Gloaguen : « L’indépendance d’esprit, c’est un vrai combat »
Si le guide de voyage célèbre ses 50 millions d’exemplaires vendus, sa philosophie n’a pas bougé d’un pouce plus de quarante ans après sa création. Rencontre avec son cofondateur
Il y a cette même faim insatiable d’horizon infini, cette même soif intarissable de découverte. À entendre Philippe Gloaguen évoquer l’exploration de la planète, on voit dans son oeil le pétillement du minot qu’il était, à filer seul sur les routes d’Inde pour sa première pige. Cofondateur du guide mythique du Routard, il célèbre les cinquante millions d’exemplaires vendus. Une collection de poids qui, depuis 1973, trace la bonne route à ses lecteurs. Présent il y a quelques jours à Antibes pour une conférence, l’auteur n’est pas seulement revenu sur l’histoire de l’ouvrage, mais également sur celle avec un grand H qui a influencé la première (voir notre édition d’Antibes-Juan-les-Pins du 23 novembre). Pétri du plaisir d’offrir des réponses aux globetrotters curieux, le vadrouilleur n’a pas lésiné sur les délicieuses anecdotes…
À quoi ressemble Le Routard ?
C’est sûr, depuis il a beaucoup évolué ! Si au début il était destiné aux jeunes un peu fauchés, il a vieilli avec eux. Et a donc élargi son éventail. En plus des auberges de jeunesse, les lecteurs cherchent aussi des chambres d’hôtes de charme.
Si on vous avait dit il y a quarante ans de ça que vous vendriez cinquante millions d’exemplaires, vous l’auriez cru ?
Oh, j’en étais bien loin… Surtout qu’avant d’être publié, dix-neuf maisons d’édition nous ont envoyé un refus. On ne peut qu’être surpris !
Difficile de ne pas vous le demander… Quelle est votre destination préférée ?
Je vais vous le dire : le vrai voyage réussi c’est celui que l’on fait avec la personne que l’on aime. On peut partir n’importe où, même dans des endroits vraiment pas terribles, on en gardera toujours de bons souvenirs en partageant cette expérience avec cette personnelà.
Antibes en tant que site touristique : ça vaut quoi ?
Très joli ! J’ai visité le musée Picasso en juillet dernier d’ailleurs, magnifique : c’est la Côte d’Azur que j’aime. Et puis… [il jette un oeil par la baie vitrée] regardez le temps !
Vous devez avoir un oeil aiguisé au fil du temps…
Oui c’est sûr… Mais vous savez, le bonheur réside dans le fait de découvrir une adresse et de pouvoir la partager. C’est aussi défendre des petits endroits qui grâce au Routard n’ont pas mis la clé sous la porte. Je pense notamment à un établissement de plage que j’ai découvert à Anse Noire en Martinique. C’est une adresse fabuleuse qui n’était pas assez connue des touristes. Être recommandée dans le guide l’a sauvée. Ce sont des histoires humaines, des familles, des couples, des vies…
Parmi les valeurs du guide, vous défendez notamment l’indépendance d’esprit : c’est un combat ?
Oui, continuel. Il ne faut jamais perdre de vue que nos patrons ce ne sont ni les hôteliers, ni les restaurateurs, ni les commerçants. Nous payons toutes les notes, toutes les additions : nous ne nous faisons jamais inviter. C’est aussi ça notre indépendance. Ceux qui nous font vivre ce sont nos lecteurs, c’est comme pour vous, les journalistes. À l’heure où tout le monde est ultrainformé, il faut être très pointu dans ce que l’on propose.
Où en est le guide Hello ()?
Oh, c’est drôle que vous me parliez de ça [sourire]. C’est assez confidentiel puisque nous les avons édités gratuitement pour les sept cents centres accueillant les réfugiés. Nous allons en rééditer puisque la demande est là. D’ailleurs, il est disponible en téléchargement sur Internet et je donne gratuitement le copyright à tous les journaux qui le souhaitent pour qu’ils puissent l’imprimer s’ils le souhaitent. 1. En septembre 2015, face au drame humain vécu par les migrants, Philippe Gloaguen décide d’éditer un guide composé de dessins à leur destination. Il permet de se faire comprendre en balayant la barrière de la langue. Le but ? Communiquer sur des choses essentielles allant de l’hébergement à la nourriture en passant par la santé et l’hygiène.