Nice-Matin (Cannes)

Questions pour un champion

- Par CLAUDE WEILL

À Monsieur Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse. Les urnes ont parlé. Pour la liste de coalition nationalis­te que vous conduisez, c’est un triomphe. Ce succès, bien plus large qu’attendu, fait de vous le champion incontesté de la cause corse. Vous voici en position de force pour négocier avec Paris le nouveau statut d’autonomie que vous appelez de vos voeux. Mais cette position oblige. Tant de sujets sont ici en jeu, qui portent sur des points essentiels du pacte républicai­n, que la plus grande clarté s’impose, sur vos objectifs comme sur les moyens de les atteindre. « La question de l’indépendan­ce, dites-vous, n’est pas posée aujourd’hui. » L’objectif pour lequel vous vous battez « c’est celui d’une autonomie de plein droit et de plein exercice. Et cette autonomie n’est pas aujourd’hui une rupture avec la France ». Par cet « aujourd’hui », faut-il entendre que la question pourrait se poser demain? L’interrogat­ion est légitime, puisque l’indépendan­ce reste l’objectif de l’autre composante de votre future majorité. Certes, comme vous le soulignez, « les indépendan­tistes aujourd’hui [encore!, décidément...] inscrivent leur action dans un cadre exclusivem­ent démocratiq­ue. Si les Corses ne veulent pas d’indépendan­ce, il n’y aura pas d’indépendan­ce ». Mais le juriste que vous êtes n’ignore pas que « cadre démocratiq­ue » et « cadre légal » sont deux notions distinctes. Les indépendan­tistes catalans estiment que les Catalans, consultés par référendum, ont « voulu » l’indépendan­ce, mais ils l’ont fait hors du cadre de la légalité espagnole – qu’ils récusent. Pensez-vous, pour votre part, que si la Corse doit un jour aller vers l’indépendan­ce, ce ne peut être que dans le cadre de la légalité institutio­nnelle française? C’est à préciser. De même, il conviendra­it que vous clarifiez ce que vous entendez par « les Corses » ou le « peuple corse » (la constituti­on Paoli de  parlait, elle, de « peuple de Corse », la nuance est importante). Cela désigne-t-il les personnes d’ascendance corse? Les personnes vivant en Corse, quelle que soit leur origine? Cela englobe-t-il les Corses de la diaspora? Faites-vous vôtre la définition de votre père, et père du nationalis­me corse contempora­in, Edmond Simeoni : « Le peuple corse est formé par les Corses d’origine et tous ceux qui ont la volonté loyale de s’intégrer à nous. C’est une communauté fondée sur le sang et le coeur » ? Lyrique, mais flou. Comment mesure-t-on la loyauté? Quid des nombreux continenta­ux installés dans l’île, des retraités, des fonctionna­ires en poste, des immigrés, bref de tous ceux qui ne peuvent revendique­r ni ascendance corse, ni naissance dans l’île? Si le peuple corse est appelé à prendre son destin en mains, il est essentiel de tirer cela au clair. Car beaucoup en dépend. Ainsi du statut de résident corse que vous réclamez. Pour pouvoir acquérir un bien immobilier, il faudrait pouvoir justifier « de l’occupation effective et continue d’une résidence principale en Corse, durant une période minimale de cinq ans ». Votée par l’Assemblée de Corse en , cette réforme, a été bloquée par Valls. Il considérai­t que c’était une atteinte au principe d’égalité, donc contraire à la République. L’argument ne mérite-t-il pas considérat­ion? Vous voulez aussi faire reconnaîtr­e le corse comme langue officielle, à égalité avec le français. À cette fin, un texte (déjà voté, lui aussi) imposerait à tous les fonctionna­ires, notamment aux enseignant­s, une « certificat­ion » en langue corse; mieux, pour être embauché dans les médias publics, « un niveau de corsophoni­e de niveau B » serait exigé. Ce qui aboutirait, de fait, à réserver ces emplois aux corses corsisants. Pas sûr que la neutralité de l’administra­tion et des médias y gagne... Ces questions ne sont pas théoriques. Elles sont politiques et interrogen­t, au-delà des débats institutio­nnels, sur ce qu’est au fond votre projet, Monsieur de président : une Corse diverse et ouverte; ou une Corse pour les Corses.

« Pensez-vous que si la Corse doit un jour aller vers l’indépendan­ce, ce ne peut être que dans le cadre de la légalité institutio­nnelle française? »

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