Jean d’Ormesson s’en est
Le doyen de l’Académie française s’est éteint dans la nuit de lundi à mardi à l’âge de 92 ans, à Neuilly-sur-Seine. Retour sur le parcours d’un Immortel, dont tous reconnaissent l’oeuvre et l’aura
Les amoureux des belles lettres se délectaient de son écriture ciselée, tous ou presque étaient sous le charme de son regard azur, pétillant d’intelligence et de malice. Voix haut perchée, érudition infaillible, élégance naturelle, Jean d’Ormesson s’en est allé, dans la nuit de lundi à mardi, emporté par une crise cardiaque. Sans avoir tout dit, comme il l’écrivait en 2013 dans l’un de ses derniers romans, dont le titre contenait cette constatation. Il était âgé de 92 ans. De L’amour est un plaisir, son premier roman paru en 1956, au Guide des égarés, publié en 2016, en passant par Mon dernier rêve sera pour vous, Au plaisir de Dieu, La douane de mer ou Histoire du juif errant, il menait depuis six décennies une carrière d’écrivain qui avait fait du doyen de l’Académie française l’une des personnalités préférées des Français, régulièrement invitée sur les plateaux de télévision.
Heureux de revenir à Nice
« Un être solaire », comme l’avait qualifié Julien Doré, qui l’admirait au point de se faire tatouer son nom sur l’épaule. « Jean d’O », un personnage lumineux, comme l’avaient fortement ressenti aussi Raoul Mille et Franz-Olivier Giesbert, lors de sa venue à Nice, en 2012, pour présider le festival du livre, dixit l’un des organisateurs : « Il avait immédiatement accepté et s’était montré d’une implication dans le projet et d’une disponibilité avec le public vraiment rares ». Un retour aux sources, pour Jean d’Ormesson, qui nous avait confié se réjouir tout particulièrement de présider cet événement niçois. « J’y ai passé une petite partie de ma jeunesse, entre 1941 et 1942 », s’était remémoré cet ancien élève du lycée Masséna. Nice, encore, où un lieu pourrait être prochainement rebaptisé en son honneur, comme l’a tweeté hier Christian Estrosi. Aristocrate de haute lignée, le comte Jean Bruno Wladimir François-de-Paule Le Fèvre d’Ormesson, né le 16 juin 1925 à Paris, comptait parmi ses ancêtres un membre du conseil de régence sous la minorité de Louis XV et quatre ambassadeurs de France, dont son père André d’Ormesson, ami de Léon Blum. Normalien et agrégé de philosophie, il avait intégré plusieurs cabinets ministériels avant de devenir haut fonctionnaire à l’Unesco et de collaborer à différents médias. Devenu, du propre aveu de ce grand séducteur, adepte de l’amour courtois, « écrivain pour plaire à une fille », c’est en 1971 qu’a explosé sa carrière littéraire avec La gloire de l’Empire, grand prix du roman de l’Académie française. Il sera élu le 18 octobre 1973 à l’Académie française, dont il est à l’époque le cadet. Directeur général du Figaro, de 1974 à 1977, cet « homme de droite avec beaucoup d’idées de gauche », avait aussi fait campagne, sans être pour autant féministe, pour l’entrée de la première femme sous la Coupole, Marguerite Yourcenar, en 1980.
Un débutant de 87 printemps
« La condition humaine est sombre, il faut la prendre avec le plus de gaîté possible », conseillait l’auteur de Presque rien sur presque tout à la nouvelle génération, sur laquelle il portait un regard bienveillant, voire admiratif. Éternel jeune homme dans l’âme, Jean d’O avait fait ses débuts au cinéma à 87 ans dans Les saveurs du palais, de Christian Vincent. Il y incarnait François Mitterrand, par lequel il était d’ailleurs régulièrement invité à l’Élysée. Maintes fois honoré et distingué, c’est en 2015 que Jean d’Ormesson recevra la récompense suprême pour tout romancier, la publication de son oeuvre dans la collection la Pléiade des éditions Gallimard. Ultime clin d’oeil de celui qui dès 2003, anticipait sa mort en écrivant J’ai beaucoup aimé ce passage dans notre monde : la parution, prévue en février 2018, de son ultime ouvrage intitulé... Et moi, je vis toujours. Assurément, cher Immortel.