Nice-Matin (Cannes)

Il ne manquait finalement que lui

- À PARIS, ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

Il y a ce sosie, orphelin de luimême, qui erre comme une âme en peine sur les Champs-Élysées. Ce couple qui promène en laisse un perroquet blanc. Il y a aussi cette femme, emmitouflé­e dans une couverture de survie. Elle a passé la nuit sur le parvis de la Madeleine. A 6 heures du matin, lorsqu’André a débarqué du Var par le train de nuit, ils étaient déjà nombreux à attendre de pouvoir dire adieu à leur Johnny. Et à mesure que monte dans le ciel de la capitale un pâle soleil d’hiver, la foule ne fait que grossir. Elle devient peu à peu immense. Il y a là les « Johnny Gavroche ». Mais aussi les Johnny « de gloire et de grâce ». Il y a les biens mis et les biens nés qui côtoient les enfants de la balle, ceux qui auraient pu grandir dans le même caniveau que leur idole. En 1943, comme lui. Ou beaucoup plus récemment. Il y a les fans inconditio­nnels comme René, ce Vençois de 67 ans, et son gendre Olivier. Mais il y a aussi ceux qui comme Ornella, cette Cannoise d’à peine 26 ans, ont attrapé le virus plus tard, à la faveur d’un concert à Boston, même si son enfance a été «bercée par les chansons de Johnny ».

Dans le coeur pétrifié de Paris En fait, il y a la France entière réunie dans le coeur de Paris, pétrifié par le froid et une même tristesse. Presque anesthésié­e, elle attend dans un silence religieux. Massée contre les barrières qui encadrent les Champs, de l’Arc de Triomphe jusqu’à l’obélisque de la Concorde. La rue Royale par laquelle le « King » français doit faire son entrée dans l’église de la Madeleine est depuis longtemps inaccessib­le. Ornella a «cru mourir» à son tour en pensant pouvoir s’y faufiler. John, un autre Cannois, a même tenté de négocier avec le sacristain, «une connaissan­ce d’une connaissan­ce», un accès en backstage. En vain. Le voici de retour au milieu de ce peuple bigarré qui constitue le public de Johnny. Un public étonnammen­t calme. Comme écrasé par le poids de cet événement qu’il attend et redoute à la fois. Il faut dire que dans le ciel il y a désormais cet hélicoptèr­e de la police qui tourne comme un oiseau de mauvais augure au-dessus du cortège funéraire que l’on devine arriver au loin. Il y a cette noria de gyrophares qui scintillen­t au pied de l’Arc de Triomphe. Et cette forêt de hautparleu­rs qui commence à cracher ses premières notes. Toute la musique que j’aime. En version acoustique. Déjà, on se rend bien compte qu’il y a… quelque chose qui manque. Mais les motards font diversion. Il y a ce convoi funéraire qui lentement maintenant glisse sur le pavé des Champs-Élysées. Et ce cercueil blanc, ce « cercueil d’enfant » qui «choque un peu» Danielle, de Besse-sur-Issole. Suivent les berlines sombres.

Quand la musique reprend ses droits On reconnaît Jimmy, le fidèle garde du corps de la star, assis côté passager. On pourrait presque imaginer que Johnny est installé à l’arrière. Mais on sait que les vitres tintées ne masquent que les larmes de Laeticia. Il y a la douleur. Celle des proches. On aperçoit les visages fermés de Jean-Jacques Debout, Line Renaud ou encore Patrick Bruel. Il y a la tristesse du deuil qui commence à perler sur les joues de milliers d’anonymes. Et puis… Et puis, il y a la musique ! Les haut-parleurs continuent d’égrainer des airs que tout le monde connaît par choeur. Gabrielle, Quelque chose de Tennessee. Les larmes continuent à couler, mais les corps sortent peu à peu de leur torpeur. Impercepti­blement, la foule commence à vibrer. Jusqu’à ce que les rifs rocks d’un Allumer le feu ne la libèrent enfin. Comme à un concert, une forêt de portables se tend en mode appareil photo. Les bikers qui par centaines se sont engouffrés sur les Champs-Élysées descendent même de leurs Harley pour battre de leurs santiags le pavé parisien. Des cris s’échappent de la foule. Elle applaudit. Il y a cette voix qui l’y invite d’ailleurs. Celle d’Emmanuel Macron. Pas celle de Johnny Hallyday. Au final, il y a cette réalité qui rattrape tout le monde. Et renvoie John, le Cannois, «sept ans en arrière»: « lorsque j’ai perdu mon père… » Il y a qu’il n’est tout simplement plus là.

Bercée par les chansons de Johnny ”

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