Signé Roselyne
Lundi ,% des voix : le succès aux élections territoriales de Corse de la liste nationaliste menée par Gilles Simeoni est éclatant et nul doute qu’il sera confirmé au second tour. Il est classique d’expliquer ce mouvement par les spécificités de l’Île de Beauté fondées sur une identité culturelle forte. Il est tentant de minimiser la démarche politique en pointant les contradictions patentes entre les autonomistes et les indépendantistes. Il est légitime de stigmatiser des revendications inacceptables comme celles qui consistent à amnistier l’assassin du préfet Erignac ou à réserver les emplois de l’île à ses natifs. Il est recevable de faire remarquer que l’économie insulaire profite largement de la solidarité nationale et renvoyer ses acteurs à leurs propres turpitudes largement documentées par moult rapports et enquêtes. Tout cela est juste. Mais il est tout aussi pertinent mutatis mutandis d’expliquer les résultats d’hier par des mouvements de fond qui secouent l’ensemble du paysage politique national. Tout d’abord, le premier parti – en Corse comme ailleurs – devient celui de l’abstention, la participation chutant encore de points par rapport au dernier scrutin territorial et relativisant la légitimité des gagnants à imposer leurs points de vue. Comme à la présidentielle, nous assistons à une vague de dégagisme dont fait les frais toute la classe politique traditionnelle minée par la concussion en notant là aussi que la fessée est un peu moins rude pour la droite que pour la gauche qui tombe dans le schéol du désamour. La République en marche, le parti d’Emmanuel Macron est en échec, montrant, comme aux sénatoriales de septembre dernier, son incapacité à répondre aux réalités du terrain local. Le Front national, en tête au premier tour de la présidentielle avec , % des suffrages, subit un échec cuisant en tombant à ,%. Loin d’être analysé comme un particularisme, cette banqueroute est plutôt une préfiguration des effets délétères de la grotesque performance de Marine Le Pen lors du débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle. Enfin, partout, en Corse comme ailleurs, montent une xénophobie qui va jusqu’au racisme et des revendications identitaires couplées aux exigences d’une vraie décentralisation. Décidément, les Corses sont bien plus Français que ne le laissent croire les nationalistes de tout poil…
Mardi
Jean d’Ormesson s’est éteint cette nuit et son regard bleu n’illuminera plus les dîners amicaux où c’était délice d’entendre un des plus brillants causeurs qu’on puisse imaginer. Jean avait ce don superbe de vous regarder comme si vous étiez la plus belle femme du monde et
de vous parler comme si vous en étiez la plus intelligente. C’était délice aussi pour les médias de l’inviter sur un plateau de télévision ou de radio : jamais à court d’anecdotes amusantes ou de digressions étincelantes, il considérait une starlette de la téléréalité comme si elle était la reine d’Angleterre et un chanteur de rap comme un Prix Nobel. Il avait cette politesse aristocratique où la bienveillance est la forme suprême de l’indifférence que l’on porte aux autres. La courtoisie était chez lui un art de vivre qui exigeait de répondre de façon manuscrite aux lettres, fussent-elles envoyées par des inconnus ou de dédicacer longuement un de ses livres à chaque lecteur qui le souhaitait. L’Académie française, la Pléiade et ses millions de lecteurs ont consacré ce séducteur impénitent, pur produit d’un monde qui disparaît, englouti sous les torrents de boue de la pornographie et de la vulgarité. Je retiendrai surtout de Jean d’Ormesson qu’il était profondément Français mais il avait de la France une vision très éloignée des ratiocinations xénophobes. Pour lui, les racines de notre pays étaient mésopotamiennes, grecques, latines, africaines, juives, chrétiennes, musulmanes, aucune ne l’emportant sur les autres. Il était Français mais dans sa conception universaliste et ouverte. C’est sans doute le plus bel héritage qu’il nous laisse.
Mercredi
Le cher Jean d’Ormesson a échappé de peu au triste sort de Jean Cocteau dont la mort avait été totalement éclipsée par sa concomitance avec celle d’Édith Piaf. Johnny Hallyday
l’a donc rejoint cette nuit dans l’empyrée de nos amours défuntes. Autant il est facile de tresser les couronnes du panégyrique et de l’éloge funèbre pour l’académicien, autant les exigences du dithyrambe post mortem sollicitent durement l’éditorialiste quand il s’agit du chanteur. Mais si ce n’était pas là finalement la force de Johnny ? Jean d’Ormesson nous parle de lui et Jean-Philippe Smet nous parle de nous. Un môme abandonné par son père et sa mère, menant une enfance de saltimbanque aux côtés de ses parents nourriciers, artistes miteux qui ne se donnent pas la peine de la scolariser, un adolescent immature que le succès brûle comme de la poix, un adulte qui à travers ses chansons, ses amours, ses addictions, refuse de lâcher la main de l’enfant qu’il a été.
Jeudi
Donald Trump reconnaît Jérusalem comme capitale de l’état d’Israël. Les défenseurs de cette annonce, légèrement gênés aux entournures, assurent que cela ne changera pas grand-chose au fonctionnement de l’état hébreu, que Trump ne fait que respecter ses accords de campagne et même disent y voir une opportunité de dialogue entre les parties… L’ambassadrice d’Israël, reprenant ce matin les éléments de langage de Benjamin Netanyahu, assène que Jérusalem est la capitale de son pays depuis trois mille ans, mythe biblique taillé en pièces y compris par les historiens israéliens. La vérité est bien plus simple et elle est toute entière inscrite dans l’analyse du très sérieux quotidien israélien Haaretz qui souligne que Trump n’a pas tué le processus de paix mais simplement annoncé sa mort. De même, les journaux américains, en général très favorables à Israël, montrent la même inquiétude, tel le New York Times qui soutient que Trump a placé le Moyen Orient au bord de l’explosion. Pour ce qui nous concerne, quand on sait à quel point l’importation du conflit israélo-palestinien pourrit la paix civile dans certains quartiers et certains secteurs de l’opinion publique, il est certain que, quelles que soient par ailleurs nos sympathies, nous n’avons aucune raison de nous réjouir de la dernière foucade du boutefeu de la Maison blanche.
Samedi
Le contraste est saisissant entre les cérémonies d’hommage qui se sont déroulées hier vendredi pour Jean d’Ormesson et ce samedi, pour Johnny Hallyday. Dans la grisaille venteuse de la Cour d’honneur des Invalides, l’hommage national à Jean d’Ormesson suintait d’une tristesse digne et infinie. Le cérémonial parfaitement rôdé ne laissait que peu de place aux sentiments et le discours du président de la République, truffé de citations littéraires, sentait le bon faiseur d’une plume normalienne. Les chaînes d’info cueillaient les témoignages d’une assistance bourgeoise et parfaitement au fait des usages. Pour Johnny, nous passions sur une autre planète ! Cet hommage populaire fut une fête, un vrai moment d’émotion et d’union nationale d’une simplicité et d’une dignité exemplaires. Ceux et celles qui se demandaient encore si on n’en faisait pas trop pour notre idole ont reçu leur réponse : l’amour, décidément, ça ne s’explique pas, cela se vit. Johnny, nous t’aimons…
« Jean d’Ormesson nous parle de lui et Jean-Philippe Smet nous parle de nous. »