Nice-Matin (Cannes)

Le retour à Barcelonne­tte des aventurier­s du Mexique

- ANDRÉ PEYREGNE

Barcelonne­tte est belle avec ses maisons d’autrefois et son charme XIXe siècle. Elle étale sa douceur de vivre au creux des Alpesde-Haute-Provence, dans la vallée de l’Ubaye. En venant de la Côte, on l’atteint après avoir franchi la barrière des monts du Mercantour. Savez-vous comment s’appellent ses habitants ? Les Barcelonne­ttes ! Les Barcelonne­ttes ont longtemps partagé le destin des Provençaux. Leur cité a en effet été fondée au XIIIe siècle par le comte de Provence Raimond-Béranger V qui était également comte de Barcelonne – d’où le nom de la ville. Disputée au cours des siècles par les comtes de Provence et les ducs de Savoie, elle fut aux XVIIe et XVIIIe, l’une des préfecture­s dépendant du Sénat de Nice. À la Révolution, elle fut intégrée au départemen­t des Basses-Alpes devenu Alpes-de-Haute-Provence en 1970. Mais les Barcelonne­ttes n’étaient pas des gens comme les autres. Au lieu de commercer depuis leurs montagnes avec la Côte ou l’Italie, ils eurent de créer un lien avec le Mexique !

Premier départ en 

Ils furent quelque sept mille à émigrer vers ce pays, entre 1850 et 1950. Au retour, pour affirmer leur richesse, ils ont construit des maisons cossues qui existent toujours et donnent de la noblesse à la cité. Tout a commencé en 1805 avec Jacques Arnaud, originaire de Jausiers, ville voisine de Barcelonne­tte. Fils de négociants en soie, il décide de partir pour la Louisiane en Amérique. Il s’y marie et fait venir ses deux frères, Marc-Antoine et Dominique, ainsi qu’une poignée d’employés. Ensemble, ils fondent la cité d’Arnaudvill­e – qui existe toujours aux États-Unis. En 1821, les frères Arnaud déménagent au Mexique. Ils créent le magasin El Cajon de Ropa, la « Boîte aux vêtements ». Le succès dépasse toute espérance, malgré l’assassinat de Jacques Arnaud en 1828. Les émigrés de Barcelonne­tte arrivent de plus en plus nombreux. Les paysans quittent la vallée de l’Ubaye se rendent à Digne à cheval, puis en diligence à Bordeaux. Ils font deux mois de traversée en bateau à voile jusqu’à Vera Cruz et puis vingt jours de marche harassante vers Mexico, guidés par des muletiers. Les magasins des « Barcelonne­ttes » se multiplien­t dans la capitale mexicaine. Pendant la Guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865), le blocus des états sudistes, producteur­s de coton, leur permet de prendre le relais et de fournir en tissus l’armée américaine. Ils feront de même avec l’armée française de Napoléon III venue soutenir l’empereur Maximilien au Mexique, de 1862 à 1867.

De retour, les poches remplies d’or

En 1888, les Barcelonne­ttes ouvrent le premier grand magasin du Mexique, à l’instar des grands magasins parisiens, le Palacio de Hierro, le « Palais de Fer ». C’est l’apogée des Barcelonne­ttes ! Ceux qui reviennent au pays ont les poches remplies d’or. Ils se mettent à construire des maisons luxueuses entourées de parcs, sans rapport avec l’architectu­re montagnard­e ou mexicaine, mais qui imposent leur supériorit­é. Certaines ont été classées Monuments historique­s. L’une d’elles, la Sapinière, abrite le musée de la ville. Le plus spectacula­ire est, bien sûr, l’ahurissant château des Magnans, à Jausiers, avec ses clochetons, ses tourelles, ses créneaux et fenêtres de décor d’opéra, qui impose sa masse blanche à flanc de montagne. Il a été construit en 1903 par Louis Fortoul, ex-manufactur­ier de la soie parti faire fortune au Mexique. Le nom de Magnan (« ver à soie ») rappelle ses origines profession­nelles. Aujourd’hui Barcelonne­tte n’a pas oublié ses lointains aventurier­s du Mexique, pas plus que le Mexique ses Barcelonne­ttes de jadis. Au début du XXIe siècle, leurs descendant­s étaient près de soixante mille dans ce pays, fiers de leurs ancêtres.

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(musée de Barcelonne­tte) En , les Barcelonne­ttes ouvrent le premier grand magasin du Mexique : le Palais de Fer. (DR) Le château des Magnans, à Jausiers, ahurissant­e masse blanche construite à flanc de montagne, témoigne d’une époque fastueuse pour les Barcelonne­ttes de...
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