Nice-Matin (Cannes)

Quatre mariages et un assassinat

- ANDRÉ PEYREGNE

Au début du mois de janvier 1348, la reine Jeanne se trouve à Nice. C’est du moins ce qu’affirment les historiens niçois des XVIIe et XVIIIe siècles, Gioffredo et Durante, ainsi que le poète Mistral qui a écrit une pièce sur la « Reino Jano ». « Me voici, peuple de Nice, me voici, aspire moi, bois moi, fait dire Mistral à la Reine Jeanne ! Il m’est doux d’être tienne et doux de t’agréer. Et tu peux, amoureux, bouche bée, admirer celle qui est ta reine ! » Mais les historiens modernes situent en août et non en janvier le séjour à Nice de la reine. Ce qui est sûr c’est que la Reine Jeanne a fait halte à la mijanvier au fort de Brégançon dans le Var. Pour récompense­r le capitaine marseillai­s Gaubert de l’avoir aidée, Généreuse à Hyères, Jeanne lui fait don de ce château ainsi Lorgues, Pierrefeu et Utelle que des îles du Cap Roux et de PortCros. Au long de son trajet, elle attribue une Elle logea ensuite au château série d’avantages aussi divers que variés d’Hyères, avant de poursuivre à Marseille à plusieurs villes de notre région où elle arriva le 20 janvier, y recevant : droit de pêche aux Hyérois sur l’ « un accueil triomphal. Le 2 février, Étanglong » delapresqu’îledeGiens, elle passe par Aix où elle est séquestrée droit de pâturage et d’exploitati­on forestière un temps des Maures pour les habitants dans le château de Pierrefeu, institutio­n en « viguerie des comtes de » (cité autonome) du village Provence par les de Lorgues - dont la tour de la citadelle nobles qui la détestent. Elle se rend ensuite à Avignon. Là, elle rencontre le pape Clément VI. Elle souhaite qu’il l’innocente de l’assassinat de son premier mari La reine Jeanne, ci-dessus sculptée en la et officialis­e basilique de Saint-Maximin, est si populaire son qu’elle figure parmi les santons.

second mariage avec Louis de Tarente. L’éloquence et le charme de la jeune reine, et surtout le fait qu’elle accepte de « vendre » pour 80 000 florins la cité d’Avignon au pape Clément VI et qu’elle offre en plus le château d’Hyères au frère du pape, Guillaume Roger, arrangent sérieuseme­nt sa situation ! Le pape finit par la déclarer non coupable et officialis­e son second mariage. Il ne lui reste qu’à rentrer à Naples. Elle est à Marseille du 24 au 28 juillet, fait escale le 30 dans le port de Sanary, s’arrête au fort de Brégançon le 31, puis, cette fois-ci, séjourne à Nice.

est aussi appelée « tour de la reine Jeanne »-,autorisati­onauxhabit­ants d’Utelle, dans les Alpes-Maritimes, « de porter à la ceinture de longs couteaux pour se défendre ». Les habitants d’Utelle y gagneront le surnom de « couteliers ». Quant aux habitants de Guillaumes, toujours dans les AlpesMarit­imes, la Reine Jeanne leur accorde le droit d’utiliser dans leur blason ses propres couleurs rouge et or. On trouve à Guillaumes un « château de la Reine Jeanne » - où, vraisembla­blement, elle n’est jamais allée. Étant rentrée à Naples en août 1348, la Reine Jeanne n’est jamais revenue en Provence. Elle est donc restée moins de huit mois dans notre région. Mais sa personnali­té est si forte que son souvenirde­meureparto­utprésent :onne compte plus les châteaux, rues, ponts, aqueducs, lieux divers qui portent son nom. Même rentrée à Naples, elle continua à s’intéresser au sort de la Provence. C’est ainsi qu’en 1367, elle signe la charte fixant les nouvelles institutio­ns de la ville de Toulon : un conseil municipal, trois syndics élus au suffrage universel, des « officiers de la ville » ainsirépar­tis :greffier,trésorier,auditeur des bans, estimateur­s, préposés de la boucherie, de la boulangeri­e, de la poissonner­ie, gardiens du port, vérificate­urs des poids et mesures. En 1365, fidèle au culte de Marie-Madeleine, elle demande que soit construite à l’intention des pèlerins, une porte spéciale dans les remparts de SaintMaxim­in. À part cela, jusqu’en 1382, elle ne put empêcher que la Provence ne soit victime de grands désordres. 1382 est l’année où la reine Jeanne fut assassinée. Deux heures de marche sont nécessaire­s pour atteindre aujourd’hui les ruines du hameau de Rocca Sparviera. L’accès ne se fait qu’à pied, au départ de Coaraze. Après avoir traversé plusieurs vallons au-dessus des gorges du Paillon, il faut s’élever jusqu’au col Saint-Michel ( m), poursuivre l’ascension jusqu’à la chapelle Saint-Michel (  m) qui est encore debout, pour aboutir aux ruines de Rocca Sparvièra (  m). La Reine Jeanne est née vers  à Naples, capitale d’un royaume dont le roi est son grandpère Robert, dit Robert-leSage. Elle est la fille du duc Charles de Calabre et de Marie de Valois, soeur du roi de France Philippe VI. Sa famille lui fait épouser… à l’âge de  ans le prince André de Hongrie, avec lequel elle a été fiancée à l’âge de  ans sans l’avoir rencontré!

À la mort de son grand-père Robert, Jeanne hérite du trône de Naples. Jusqu’à ses  ans, elle sera assistée d’un Conseil de régence composé de fonctionna­ires présidé par sa mère Sancia. Cela suscite la jalousie des trois frères du roi défunt, Charles de Hongrie, Philippe de Tarente, et Jean Duras. Jeanne tombe amoureuse de Louis, fils de Philippe de Tarente, qui est accusé de l’assassinat de son mari et qu’elle épouse aussitôt après la mort de ce dernier. En représaill­es, le roi de Hongrie lance ses troupes vers Naples aux trousses de la Reine Jeanne. Faute d’avoir pu la capturer, il fait exécuter le mari de soeur sur le lieu-même où André a été assassiné. À la suite d’une bronchite causée par un bain froid, Louis de Tarente meurt le  mai . Le  décembre, Jeanne se remarie pour la troisième fois avec un prince plus jeune qu’elle de dix ans, Jacques IV de Majorque. Cet être psychologi­quement instable ayant été emprisonné pendant quatorze ans par son oncle le roi d’Aragon Pierre IV repart en guerre en Espagne, est à nouveau emprisonné et meurt en . Après une période de grands troubles en Provence et d’agitation dans le royaume de Naples, le pape Grégoire XI incite la Reine Jeanne à épouser en  le capitaine Othon de Brunswick, censé la protéger. Hélas, il ne peut rien contre les troupes ennemies, essentiell­ement composées de soldats hongrois, rassemblée­s par le neveu de la Reine Jeanne, Charles Duras. La reine capitule le  août  et est emprisonné­e. Charles Duras fait assassiner la reine Jeanne le  juillet par étouffemen­t sous des oreillers dans son lit afin de faire croire à une mort naturelle. Son décès ouvre une guerre de succession en Provence entre les partisans de Charles Duras et ceux de Louis Ier d’Anjou. Charles Duras est empoisonné. Face à tous ces désordres, Nice décidera de quitter la Provence et de se donner à la Savoie : c’est la « dédition de Nice » datant de , si lourde de conséquenc­es sur l’avenir de la ville désormais à l’écart de la France.

 ?? (Photo DR) ?? La reine Jeanne et son deuxième mari, Louis de Tarente, avec lequel elle eut deux enfants. Jacques IV de Majorque, ème mari de la Reine Jeanne. (DR) Robert le sage, grand-père de Jeanne, roi de Naples. (DR) Charles Duras, assassin de la Reine Jeanne....
(Photo DR) La reine Jeanne et son deuxième mari, Louis de Tarente, avec lequel elle eut deux enfants. Jacques IV de Majorque, ème mari de la Reine Jeanne. (DR) Robert le sage, grand-père de Jeanne, roi de Naples. (DR) Charles Duras, assassin de la Reine Jeanne....
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