Nice-Matin (Cannes)

Les mystères de Noël décryptés par Franck Ferrand

Chroniqueu­r sur Europe 1, Franck Ferrand présente un spectacle consacré aux grandes énigmes de l’Histoire. Si Noël garde une part de mystère, alors cette interview est pour vous

- Mais il existe ? Oui, bien sûr ! PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

ÀMonaco cette semaine, il s’est prêté au théâtre Princesse-Grace à un exercice original qu’il renouvelle jusqu’au 30 décembre à Paris. Franck Ferrand dans l’Histoire . Où le public est invité à tirer au sort trois sujets parmi quinze grandes énigmes historique­s. Ce qui lui permet de donner libre cours à son talent de conteur, tout en évitant la routine et en donnant peut-être envie de revoir le spectacle. Mais l’énigme à laquelle ce chroniqueu­r de la radio Europe 1 apporte ici des réponses érudites, c’est Noël.

Noël avant Noël : fête païenne ?

Noël, c’est d’abord et avant tout le solstice. Donc une fête immémorial­e et, par définition, païenne. Le solstice d’hiver a fait de jeudi dernier le jour le plus court de l’année. Autrement dit, le moment où le soleil, sous nos latitudes, est apparu le moins dans la journée. Sur la Côte d’Azur, c’est sans doute un peu moins sensible. Mais je vous promets qu’à Paris, où l’on vit depuis trois semaines sous la pluie et la grisaille, on le ressent !

Depuis quand célèbre-t-on le solstice d’hiver ?

Très tôt, à une époque où l’on ne connaissai­t pas les phénomènes naturels et les lois de l’astronomie, il a fallu, au coeur de la nuit, avoir confiance dans le retour du soleil. Entre la fin de l’automne et le début de l’hiver, le rayonnemen­t qui manque à la vie a été remplacé, d’une certaine manière, par la lumière artificiel­le. Cela remonte à des périodes tellement anciennes, protohisto­riques et probableme­nt même préhistori­ques, que l’on ne peut pas être précis. En tout cas, on a fait des fêtes, allumé des feux, on a illuminé la nuit, en quelque sorte, en rendant hommage à tout ce qu’il pouvait y avoir de beau et de renaissant dans le monde. Ce sont les fêtes romaines de Mithra, par exemple. Ou les fameuses Lupercales. Toutes fêtes païennes qui ont marqué le solstice pendant des siècles et des siècles.

Puis, le christiani­sme…

En , le pape Libère décide que l’on célébrera la Nativité, c’est-à-dire la naissance du Sauveur, le  décembre. Ce n’est pas un hasard. L’Église, qui a observé la société, sait que le moment le plus mystique de l’année correspond à ce solstice d’hiver. Eh bien, on fait coller à cette date l’une des fêtes catholique­s les plus importante­s. L’autre étant bien sûr Pâques, qui a marqué le début de l’année jusqu’au règne de Charles X. L’édit de Roussillon, promulgué en , statuant que l’année commencera­it dorénavant le er janvier.

Quelle concordanc­e entre Noël et la Nativité ?

Le mot « Noël » vient précisémen­t de «Nativité». En revanche, personne n’a la moindre idée du jour de la naissance de Jésus. On n’a même aucune idée de l’année. Officielle­ment, et par définition, il naît en l’an zéro. Ou, pour être plus précis, au début de l’an . Mais selon des travaux très complexes, on estime que c’est plutôt entre - et - avant J.-C., aussi bizarre que celui puisse paraître. Probableme­nt même avant -, puisqu’il semble qu’il soit né sous le règne d’Hérode le Grand, disparu cette année-là. En tout cas, c’est bien en vertu d’une décision pontifical­e que l’on fête Noël le  décembre en observant une veillée, moment de recueillem­ent intense. Le baptême de Clovis et le sacre de Charlemagn­e ont d’ailleurs eu lieu pendant une veillée de Noël.

Cette dimension symbolique a perdu de son importance ?

Pour tous les chrétiens de toutes les confession­s, même si les orthodoxes ont tendance à célébrer Noël avec quelques jours de retard, fidèles au calendrier julien alors que nous sommes passés au calendrier grégorien, cette date revêt une importance considérab­le, encore aujourd’hui. Et puis, il y a toutes les personnes qui, sans pratiquer, n’en sont pas moins des chrétiens « d’habitude ». Noël a certaineme­nt imprégné les conscience­s, même chez des gens qui ne vont plus du tout à la messe de minuit ou ne disposent pas forcément une crèche au pied du sapin. Noël reste un moment de réunion familiale, d’amour, de générosité. Cette tradition de charité et d’humanité est tout à fait présente. Bien sûr, c’est aussi devenu une fête commercial­e. Mais qu’est-ce qui ne l’est pas, dans nos sociétés ?

La tradition, presque tout le monde y prend part...

Bien sûr. La communauté nationale dans son ensemble. Des amis musulmans m’ont récemment souhaité un joyeux Noël. C’est effectivem­ent la grande fête occidental­e. La fête des enfants, de la famille. Même si, cette année à Paris, des rues croulant habituelle­ment sous les guirlandes sont quasiment sans décor, de même que certains grands magasins. Contrairem­ent à la Grande-Bretagne où les villes sont littéralem­ent transfigur­ées. Tandis qu’à Naples on fait des crèches incroyable­s alors qu’en Finlande, par exemple, la lumière artificiel­le continue de venir compenser l’absence de rayonnemen­t que la nature, à d’autres moments de l’année, nous prodigue.

Et la tradition du sapin ?

Le sapin est, au départ, une tradition protestant­e. Où l’arbre de vie, décoré avec de vrais fruits au XVIe siècle, le sera, à partir du XVIIe siècle, avec de fausses pommes en verre soufflé qui préfiguren­t les boules que nous connaisson­s aujourd’hui. En France, deux phénomènes vont accélérer la pratique du sapin. Premièreme­nt, le mariage du duc d’Orléans avec Hélène de Mecklembou­rg-Schwerin, princesse allemande qui arrive avec son arbre de Noël – mais la reine Marie Leszczynsk­a, épouse de Louis XV, avait déjà décoré des sapins à Versailles, ayant importé cette habitude de sa Pologne natale. Deuxièmeme­nt, l’invasion des Prussiens en .

Le débat sur les crèches dans les lieux publics : juste ou absurde ?

La crèche, surtout dans les régions méridional­es, est un élément à part entière du patrimoine. Je pense que, sans être forcément ni chrétien ni catholique, on peut l’admettre : la crèche fait partie des traditions. Mais je comprends aussi que des personnes très laïques estiment que cette croyance devrait plutôt être réservée aux lieux de culte ou à la sphère privée. Sur un plan purement juridique, ces gens ont raison. Sur un plan social et culturel, gardons une certaine ouverture d’esprit. J’ajoute que les santons sont une des plus belles parts de l’artisanat d’art de la Provence. Témoignant non seulement de la foi de nos ancêtres, mais encore de leur façon de vivre.

Au menu de votre réveillon ?

La dinde aux marrons, qui nous vient de Thanksgivi­ng. Nous avions plutôt tendance autrefois à cuire un chapon gras ou une oie farcie. Que l’on servait le jour de Noël, et non la veille. De même que la distributi­on de cadeaux le  ou le  est apparue au XIXe siècle. Auparavant, on attendait le début de l’année pour offrir des étrennes.

Et le Père Noël dans tout ça ?

Le Père Noël est la version laïque et moderne de saint Nicolas. Version revisitée par les pays anglo-saxons là encore, et notamment par les États-Unis où cette tradition a connu une extraordin­aire effloresce­nce au tournant du XXe siècle. C’était un moyen, pour le coup, de développer le caractère commercial de la fête. Pour la petite histoire, en France, cette affaire a été l’objet dans les années cinquante d’une lutte extrêmemen­t violente à Dijon, l’Église étant vent debout contre le Père Noël que le parti communiste voulait imposer.

Tradition de charité” Ouverture d’esprit”

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