Pourquoi le voyage de Macron en Iran est si important
Pour comprendre la situation en Iran qui vient de vivre plusieurs jours de manifestations ( morts, des centaines d’arrestations), le décryptage de Bernard Hourcade, un géographe qui a dirigé l’Institut français de recherche en Iran. Il est l’un des meilleurs spécialistes français de ce pays. Son ouvrage de référence : Géopolitique de l’Iran : les défis d’une renaissance (Armand Colin).
Que vient-il de se passer en Iran ?
Une protestation politique intérieure, non pas contre le régime iranien, mais une opposition entre les conservateurs qui ont peur de l’ouverture à la suite de l’accord sur le nucléaire, et les partisans du président pour qui il n’y a pas d’autre solution que d’aller de l’avant. Ces deux philosophies se sont opposées, chacun utilisant sa base sociale. Cette fois, ce sont les conservateurs qui ont utilisé le mécontentement lié à la crise économique pour mettre en difficulté le gouvernement.
Au final, ce mouvement a-t-il réussi ou échoué ?
Ni l’un ni l’autre. Ceux qui se sont révoltés sont des gens ordinaires, des villes moyennes qui ne sont pas particulièrement politisés mais qui protestent contre la crise économique et le fait que depuis ans, un certain nombre de corrompus dominent le système. Ils ne voient pas arriver l’eldorado qu’on leur avait promis. D’habitude, l’on n’entend s’exprimer que les intellectuels, les gens de Téhéran, pour ou contre la République islamique. Pour le gouvernement, c’est un défi nouveau, populaire, qu’il faut prendre en compte.
Ce mouvement social est-il une menace pour le régime réformateur d’Hassan Rohani ?
Les Européens et les Américains ont tendance à se dire que le régime des mollahs va tomber puisqu’il y a des manifestations dans la rue. Quand trois policiers se font tabasser à Champigny-surMarne, cela ne signifie pas pour autant que la République française est en danger. En Iran, il y a toujours eu des grèves et des mouvements de protestation. L’ampleur est nouvelle mais le phénomène est régulier. Ces événements montrent la réalité de l’Iran, sa diversité, entre une frange qui prône la résistance à l’ouverture et ceux qui pensent que c’est la solution. Un débat droite-gauche, pour faire bref.
Le soutien de Donald Trump à ces manifestations a-t-il eu un impact?
Avec des amis des manifestants comme Donald Trump, les réformateurs iraniens n’ont pas besoin d’ennemi. En Iran, le sentiment nationaliste est extrêmement fort. Dès qu’un pays étranger donne des instructions aux Iraniens, une unité nationale se forme pour dire « Occupez-vous de vos affaires ! ». Le soutien de Trump a nui à ce mouvement.
La France a-t-elle un rôle à jouer ?
Très important. Le mécontentement est lié au blocage des conservateurs qui empêchent le président de faire les réformes nécessaires pour recevoir l’expansion économique et les capitaux étrangers. Deuxième problème : Trump ne lève pas les sanctions malgré l’accord sur le nucléaire. Il interdit aux entreprises étrangères d’investir en Iran. Les projets sont énormes mais les sociétés ne peuvent les réaliser. Une grande partie de la crise a été provoquée par l’embargo américain. C’est là que la politique française est originale : tenant compte de ce qui s’est passé en Syrie et du rôle de l’Iran contre Daesh, la France dit qu’il faut écouter ce pays et le considérer comme un partenaire important. Nous sommes, avec l’Europe, la seule force capable de faire pression sur les Américains. Pour arrêter le terrorisme, il faut que l’Iran joue son rôle afin d’équilibrer l’Arabie saoudite. Le projet de voyage de Macron en Iran cette année est extrêmement important pour permettre au gouvernement de Rohani, qui essaie de faire avancer les choses, d’exercer le pouvoir. Sinon ce sont ses opposants qui le prendront, et mettront la situation dans la région encore plus en effervescence.