Le livre du jour
Révolutionnaire et monarque
Parmi les multiples tours de force réalisés par Emmanuel Macron, Philippe Raynaud, professeur en sciences politiques à Paris II, en relève un plus particulièrement : il s’est fait élire à contre-courant de l’euroscepticisme largement partagé, en se posant en défenseur prosélyte de l’Europe. Encore un livre sur Macron donc, qui n’en finit plus d’aimanter les essayistes de tout poil. Un Macron qui a fait son nid, pose l’auteur, sur les ruines du vieux système, cette « République du centre » dont l’alternance consensuelle et soft, héritée des années quatre-vingt, n’a plus suffi à « compenser l’insatisfaction croissante des électeurs ». Au-delà des affaires qui l’ont plombé, Philippe Raynaud estime que François Fillon et ses soutiens se sont fourvoyés à la présidentielle en pensant la France beaucoup plus à droite qu’elle ne l’est en fait, « la montée du FN reposant en partie sur le succès, dans les classes populaires, d’une ligne sociale totalement contraire au programme économique de Fillon ». Une aubaine pour Emmanuel Macron, qui a forgé son succès en substituant au traditionnel clivage droitegauche celui entre conservateurs et progressistes, plus ouverts aux changements de natures diverses. Raynaud, sans nier sa chance insolente, porte à son crédit d’avoir compris que l’opposition entre la droite et la gauche perdait sa pertinence dès lors que Marine Le Pen était vouée à devenir leur adversaire commun au second tour. « Pour parler comme Machiavel, Macron n’a pu devenir Prince que parce qu’il avait la virtu qui lui a permis de tirer parti de la fortuna. » Il pointe le paradoxe : la contre-révolution libérale à l’oeuvre s’accompagne d’une volonté jacobine de verticalité exacerbée. « La victoire des forces centrales a suivi une voie inattendue, qui est en fait l’inverse de celle qu’attendaient les modérés des deux camps. Le fondateur d’En marche ! n’est pas seulement un héritier de la deuxième gauche et de l’UDF, mais un homme imprégné de l’imaginaire monarchique. » Qui a, dans l’immédiat, relégué au second plan la promesse de démocratie concertative que laissait entrevoir l’élan initial en brin foutraque d’En marche ! « La révolution bien tempérée d’Emmanuel Macron, conclut Raynaud, qui utilise le pouvoir de l’État pour libéraliser la société française, vise à mettre les ressorts de la Ve République au service du projet européen, en faisant de celui-ci un moyen de refonder la puissance française. »