« Les prisons vont exploser, je le sais, je le ressens »
Habib Majoub, 49 ans, surveillant de la pénitentiaire, a été agressé deux fois par des détenus. Lourdement handicapé, il se sent abandonné et décrit des conditions de travail inhumaines
Il ne pèse plus que 55 kg. N’est que l’ombre de luimême. Habib Majoub, 49 ans, est agent de la pénitentiaire. Ou plutôt était, même s’il perçoit encore, mais plus pour très longtemps, son salaire. Sa vie se résume désormais aux médicaments, à sa canne, à des paperasses sans fin qu’il classe méticuleusement. Par deux fois il a été agressé par des détenus en prison. La première fois c’était à la maison d’arrêt de Nice. Habib, accompagné d’un « auxi », un détenu chargé de la distribution des repas, entre dans une cellule. On est le 28 juin 2010. Vingt et un jours plus tôt il s’était vu signifier sa première affectation. «Vous avez le coeur qui palpite quand vous rentrez dans la détention. L’école, deux stages, puis on vous remet les clés et on vous balance dans la fosse aux lions. Sans tuteur, sans aide. On se sent seul au monde.» Le détenu, un jeune Cap-Verdien de 20 ans tout juste sorti de l’hôpital psychiatrique, s’est ce jour-là jeté sur lui. Il était nu, lui a balancé du verre pilé dans les yeux. L’a traîné au sol dans les excréments dont il avait enduit sa cellule. Le choc pour Habib. Il avait auparavant bossé comme travailleur handicapé à La Poste, au Creps et à la mairie d’Antibes. Et le voilà dans l’enfer de la taule pour 1480 € par mois. Mais il faut bien manger. « Sans l’intervention de mes collègues, il me tranchait la gorge. » Habib a subi deux interventions chirurgicales aux yeux et ne voit plus comme avant.
« Si t’es faible, t’es foutu »
Habib sera de nouveau agressé le 10 janvier 2014. Il travaillait alors à la maison d’arrêt de Grasse. Un transfert à l’hôpital, un mineur qui se rebelle, agresse une infirmière, trois agents. Le coup de pied qui part, le rein qui éclate. Le gardien de prison a subi une ablation et enchaîne depuis les opérations. L’ombre de lui-même. «Jereçois un soutien énorme de mes collègues, de la direction de la maison d’arrêt de Grasse, des administratifs, de mon syndicat. Mais là-haut à Paris -ses yeux se tournent vers le ciel ndlr - ils ne me connaissent pas. » Habib a laissé sa peau, sa santé dans ce métier qu’il aime encore. « J’ai demandé de reprendre mon service, mais je m’aperçois qu’au vu de mon état de santé qui se dégrade ce n’est plus possible. Sauf que là-haut à Paris, ils me traitent comme un dossier, pas comme un humain. Je vais me retrouver en retraite anticipée avec des figues. Comment je fais pour mes enfants ? » Habib s’avoue peiné pour ses collègues en grève qui se battent pour de meilleures conditions de travail. Il évoque la violence, du matin au soir. « Si t’es faible auprès des voyous, t’es perdu. Ils connaissent ton prénom, ton nom, quelle voiture tu utilises. On a signé pour en baver, pour se faire découper. Ce sont les risques du métier, je les assume, mais c’est donnant-donnant. Quand tu es blessé ils doivent payer. » Habib affirme que l’administration centrale devrait présenter ses excuses aux surveillants de prison pour les souffrances qu’ils endurent. « Nos prisons vont exploser, je le sais, je le ressens. Il ne s’agit pas de construire d’autres établissements mais de trouver un parcours pour les désengorger. » Habib, papa de six enfants, attend, comme tous ses collègues de France, une reconnaissance, humaine et financière. « Je ne survivrai pas longtemps, mais je veux laisser quelque chose à ma femme, à mes enfants. »