Signé Roselyne
Lundi
La mort de Paul Bocuse avant-hier a provoqué une émotion qui dépasse le monde de la gastronomie et tout le week-end les hommages se sont succédé. C’est un « monument national » qui s’en est allé. Ce « fils de pauvre », comme il lui plaisait de se dénommer, a fait plus pour notre pays que bien des majors de l’ENA ou de Polytechnique. Les leçons de Monsieur Paul sont à méditer. Il a d’abord démontré avec force que l’image de notre pays ne passe pas seulement par sa diplomatie ou ses grandes réussites industrielles mais par ce french art de vivre qui mêle patrimoine, activités culturelles, produits de luxe et gastronomie. Il a ensuite prouvé aux parents et aux lycéens qui se battent pour entrer dans des filières universitaires qui ne leur apporteront qu’un ticket d’entrée à Pôle emploi, que l’apprentissage est une superbe voie d’accomplissement et que les métiers manuels – sottement méprisés dans notre pays – peuvent vous amener au firmament de la réussite sociale. Enfin, Paul Bocuse met en exergue le goût du travail bien fait, de la qualité des produits, des valeurs du terroir, de l’élégance du raffinement, de cette noblesse simple qui lui faisait traiter de la même façon les chefs d’état et les stars du show-biz qui se pressaient dans son établissement mais aussi les gens simples qui avaient économisé de longs mois pour s’offrir un moment inoubliable autour de la soupe aux truffes et du rouget en croûte de pomme de terre. Oui, mais voilà... Dans une société qui ne rêve que de numérique, de réduction du temps de travail, de fast-food, il est à craindre que les belles mais exigeantes leçons de Paul Bocuse ne soient plus guère à la mode.
Mercredi
Le malaise couvait depuis longtemps chez les personnels de la pénitentiaire. Il n’y a cependant nul mouvement de revendication dans la fonction publique qu’un gouvernement ne puisse apaiser à trois conditions : jouer la division du monde syndical, apporter quelques douceurs budgétaires qui permettent de voir venir et promettre des procédures de concertation pour prétendument tout remettre à plat et refiler en fait la patate chaude à plus tard. Nous verrons si Édouard Philippe – absent officiellement des négociations avec les gardiens de prison – utilise ces méthodes peu glorieuses mais qui ont fait largement leurs preuves. Il est intéressant également d’évaluer la ministre de la Justice Nicole Belloubet dans cet exercice compliqué. Pour l’instant, elle ne convainc pas mais il serait abusif de lui demander de remédier en quelques jours à une situation héritée de ses prédécesseurs de droite comme de gauche, mais aussi portée par une opinion publique qui pense que tout argent de réhabilitation des structures pénitentiaires les transformera en clubs de vacances. Madame Belloubet est une femme de
qualité, d’une grande dignité et dépourvue de toute démagogie. Mais face à des personnels pénitentiaires mal payés, mal considérés, confrontés sans appui à la violence djihadiste, elle n’avait sans doute pas le profil de « brute empathique » qui aurait convenu. Elle est apparue, peut-être injustement, lente à prendre la dimension du conflit, fragile et incapable de compassion, montrant aussi sans doute les limites des ministres purement techniciens et dépourvus d’expérience politique de terrain. Mais ce n’est pas la première fois qu’un président de la République oublie que le garde des Sceaux est aussi le ou la ministre des prisons...
Vendredi
Hier soir Laurent Wauquiez était l’invité de L’Émission politique sur France , l’épreuve médiatique la plus redoutable pour un responsable politique. Les esprits chagrins ou malveillants noteront le score d’audience calamiteux – le pire de toute l’histoire de ce programme – ou les résultats du sondage Odoxa publié à cette occasion qui le font juger par une majorité de français comme « pas sympathique », «pas compétent » et « pas honnête » .Les optimistes invétérés se consoleront en pensant qu’avec pareille déconsidération, le lascar ne pourra surprendre qu’en bien... Plaisanterie mise à part, force est de reconnaître que cet habitué des concours prestigieux s’est parfaitement tiré de ce périlleux grand oral. Posé, structuré, maniant la dialectique, il n’a été incommodé par aucune interpellation ou mise en cause et n’a pas commis de gaffe irrémédiable.
À ce stade de sa conquête du pouvoir, la tâche pour lui n’était pas d’attirer autour de sa personne un fan-club de sympathisants mais de conquérir sa cible primaire, les militants des Républicains et de reconstituer ainsi une forteresse au service de son ambition. Une – toute petite – marche a été franchie mais le plus dur reste à faire. La ligne de la « droitisation » du parti est sans doute la seule possible tant la séduction qu’exerce Emmanuel Macron est dense sur l’électorat de centre droit, d’autant que le crash présidentiel de Marine Le Pen permet de circonvenir une partie de ses troupes sans avoir à passer alliance avec le Front national. Toutefois, sans porter un jugement moral sur l’option ainsi retenue par Laurent Wauquiez, sans évaluer la faisabilité vacillante de certaines de ses propositions, et même sans douter de la possibilité de remettre à flot le vaisseau de la rue de Vaugirard miné par les défaites, les reniements, les scandales et les défections, les habituelles contorsions idéologiques ne suffiront pas au président de la région Auvergne Rhône-Alpes pour sortir la droite modérée du crépuscule mortifère dans lequel elle s’enfonce.
Samedi
Des consommateurs forcenés se sont littéralement battus pour se procurer des pots d’une pâte à tartiner chocolatée qu’une grande enseigne proposait avec une réduction de %. Les nutritionnistes ont dit tout ce qu’il y avait à dire sur ce produit qui devrait être boycotté par tous les parents responsables. Trop sucré, bourré d’huile de palme, c’est une véritable machine à fabriquer diabète et obésité. Même proposé à ,€, il est encore hors de prix. Les commentaires qui ont suivi les ahurissantes images de ces bousculades laissent pantois. Certains ont même parlé « d’émeutes de la faim » ! Il n’est pas question de nier que certains ménages ont bien de réels problèmes de pouvoir d’achat. Mais avancer que seuls les pauvres se seraient livrés à ces bagarres est absurde. On est tout simplement en face d’une technique de commercialisation bien connue des « merchandisers » où un mélange savamment dosé de pénurie, de prix bas et d’ouverture réduite du créneau de vente crée l’affolement. Il suffit de regarder certaines consommatrices friquées s’étriper lors des soldes dans les magasins de luxe pour comprendre les ressorts psychologiques actionnés par les manipulateurs. C’est contre cela qu’il faut lutter, contre cette surconsommation de produits inutiles et nuisibles pour la santé, ces gaspillages qui réduisent le pouvoir d’achat des plus modestes et fragilisent l’environnement. Ce n’est pas vrai qu’il est plus coûteux de se nourrir sainement. Comparez au poids le prix des ingrédients des pâtisseries industrielles ou d’une soupe en brique et d’un gâteau ou d’un potage faits maison, ou encore de la viande des plats préparés par rapport à un produit non transformé. Ne parlons même pas de la « qualité » de ces spécialités bourrées d’agents texturants, colorants, stabilisants... À quoi servira l’augmentation du pouvoir d’achat si c’est pour acheter ,€ une pâte à tartiner néfaste pour la santé ? On me rétorque que les pauvres ont le droit de se faire plaisir. Ils ont surtout le droit d’avoir la même espérance de vie que les plus aisés dans un monde occidental où l’obésité est devenue un marqueur social.
« Il faut lutter contre cette surconsommation de produits nuisibles pour la santé, ces gaspillages qui réduisent le pouvoir d’achat des plus modestes et fragilisent l’environnement. »