Nice-Matin (Cannes)

Flaubert : voyage à Toulon

À 18 ans, l’auteur de Madame Bovary découvre le Sud et cette ville varoise, ses remparts, sa Marine nationale et son Jardin botanique, avant de visiter l’hôpital de Saint-Mandrier

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Gustave Flaubert était un mauvais élève. En 1839, âgé de 18 ans, le futur auteur de Madame Bovary et de Salammbô organisa une rébellion de sa classe contre le prof de philo, au lycée de Rouen. Il se fit renvoyer. Il passera seul son baccalauré­at. En août, il se présente donc à l’examen en candidat libre. Il obtient les notes suivantes : grec passable, latin assez bien, rhétorique assez bien, histoire et géographie assez bien, philosophi­e passable, mathématiq­ues passables, physique passable. Il est reçu. Soulagemen­t des parents qui craignaien­t le pire! Ils lui offrent en récompense un voyage dans le sud de la France. C’est à cette occasion qu’il découvrira Toulon. Voyage, peut-être… mais voyage sous surveillan­ce ! Les parents ont décidé que le jeune bachelier se déplacerai­t en compagnie d’un docteur du nom de Jules Cloquet, de sa soeur Lise et d’un ami prêtre, l’abbé Stéfani. On n’envoie quand même pas son fils tout seul, à l’aventure, dans la nature, en plein milieu du XIXe siècle, même âgé de 18 ans ! Au début de l’automne, quand il commence à faire un sale temps sur la capitale mais que le Sud continue à briller de soleil, tout ce monde monte à bord d’une diligence. La France une fois traversée, les voici à Marseille. Dans la cité phocéenne, ils descendent à l’hôtel Richelieu, tenu par deux dames de noble ascendance, les Foucauld de Lenglade mère et fille, vieilles connaissan­ces du docteur Cloquet.

Arrivé par les gorges d’Ollioules

Là, le jeune Gustave se permet un premier écart. Eulalie - la fille Foucauld de Lenglade - a 35 ans et beaucoup de charme. Elle a remarqué le beau Gustave. Sous un motif quelconque, elle l’attire dans sa chambre. Lui arrive en tremblant. Il évoquera cette rencontre dans son récit Novembre :« Sans rien dire, elle me passa un bras autour du corps et m’attira sur elle, dans une muette étreinte. Elle ôta sa manche par un mouvement d’épaules, sa robe se décrocha ; elle n’avait pas de corset, sa chemise baillait. Je touchai à son peigne, je l’ôtai, ses cheveux déroulèren­t comme une onde, et les longues mèches noires tressailli­rent en tombant sur ses hanches. Je passai d’abord ma main dessus, et dedans, et dessous ; j’y plongeais le bras, je m’y baignais le visage… Elle me tendit les bras, elle me prit. Sa main douce et humide me parcourait le corps, elle me donnait des baisers sur la figure, sur la bouche, sur les yeux ; chacune de ces caresses précipitée­s me faisait pâmer. » La liaison dura quatre jours. Quatre jours seulement. Car le groupe part pour Toulon. On franchit les gorges d’Ollioules le 1er octobre 1840 et Toulon se présente à la vue des voyageurs. Flaubert en fait cette descriptio­n dans le tome I de ses Voyages. « La rade de Toulon est belle à voir, surtout quand, sorti des gorges d’Ollioules, on la voit qui s’étend tout au loin dans son rayon des trois lieues de circuit, avec les mâts de tous les vaisseaux, ses bricks, ses frégates, toutes ces voiles blanches qu’on hisse et qu’on abaisse. À droite, on a le fort Napoléon, au fond le fort Pharon. » À Toulon, Flaubert et ses amis sont accueillis par le docteur Hubert Lauvergne, 43 ans, natif de la ville, professeur des Hôpitaux de la Marine, ami du docteur Cloquet. C’est lui qui va les guider. Quatre visites vont marquer le jeune Flaubert : celles d’un bateau nommé Marengo, des remparts, de la presqu’île de SaintMandr­ier et du Jardin botanique. Il le raconte dans ses récits intitulés Voyages. Àborddu Marengo, il s’émerveille devant le soin apporté à son entretien : « J’ai vu des marins qui mangeaient L’expérience amoureuse de Flaubert avec Eulalie Foucault, que nous évoquons dans notre récit, n’était pas la première pour l’écrivain. Il rencontra en effet, à l’âge de  ans, à Trouville, une femme mariée, Elisa Schlesinge­r (photo), âgée de  ans, qui restera l’égérie de Flaubert tout au long de sa vie. Ces deux personnage­s d’Eulalie et Elisa sont présents sans les nommer dans l’ouvrage de Flaubert, L’Éducation sentimenta­le. dans de la porcelaine. J’ai été étonné de voir des tapis et des fauteuils élastiques dans la chambre du capitaine. Les canons étaient tous en bon état et cirés comme des bottes. Est-ce qu’un canon n’est pas plus beau à voir avec quelques longues taches de sang qui coule et la gueule encore fumante ? À bord au contraire, tout était propre, ciré, frotté, fait pour plaire aux dames quand elles viennent. »

L’église Saint-Mandrier : un coup de génie

De même, les remparts toulonnais lui semblent trop bien conservés : « Les fortificat­ions de Toulon peuvent être une belle chose pour troupiers mais je n’aime point l’art militaire dans ce qu’il a de boutonné, de propre; les remparts ne me plaisent qu’à moitié détruits. Il y a plus de poésie dans la casaque Pour compléter ce récit, on lira avec intérêt les Voyages de Flaubert – texte dans lequel l’auteur s’investit dans ce genre narratif qui eut beaucoup de succès au XIXe siècle, ainsi que sa Correspond­ance (de janvier  à avril ). trouée d’un vieux troupier que sur l’uniforme le plus doré d’un général ; les drapeaux ne sont beaux que lorsqu’ils sont à moitié déchirés et noirs de poudre ». On consultera aussi avec intérêt l’excellent site thématique internet établi par les « Amis de Flaubert et de Maupassant », ainsi que l’ouvrage intitulé Voyage sur la Côte d’Azur. Récits d’écrivains voyageurs du XIXe siècle, publié aux éditions Pimientos.

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Le jeune Gustave Flaubert , récompensé par ses parents après sa réussite au baccalauré­at (ici son père ), est notamment accompagné dans le sud de la France par sa soeur Lise . Les voyages en diligence, à l’époque de Madame Bovary, étaient de véritables...
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