Le mythe de retour
Jacques Cassandri, ancien truand de 75 ans, est jugé dès lundi à Marseille. Il est soupçonné d’avoir blanchi le magot dérobé à la Société générale en juillet 1976 à Nice... et déboulonné le mythe Spaggiari
Un ancien voyou est jugé dès demain par le tribunal de Marseille. Il est suspecté d’avoir blanchi le magot dérobé à la Société générale, à Nice, en juillet 1976. La justice lui impute le livre qui déboulonne la légende Spaggiari.
Et si c’était lui, le véritable cerveau du « casse du siècle » ? Jacques Cassandri est-il bien « Amigo », auteur en 2010 du livrechoc La Vérité sur le casse de Nice ? Albert Spaggiari aurait-il, comme le soutient ce drôle d’« Amigo », dupé son monde durant des décennies, nourrissant d’un vaste bobard sa légende et la filmographie dédiée à ses retentissants « exploits » ? Toutes ces questions chemineront dans bien des têtes, ce lundi. Sondant les mémoires et les intimes convictions, à l’instar du gang des égoutiers creusant les sous-sols niçois. Car la justice s’apprête, indirectement, à exhumer un mythe. Le plus rocambolesque des fric-frac, et la plus retentissante affaire (avec la disparition d’Agnès Le Roux) qu’ait connu la Côte d’Azur. Plus de quarante ans après, le tribunal correctionnel de Marseille peut écrire une nouvelle page du casse de la Société générale, en juillet 1976.
Ce gênant « Amigo »
« J’étais dans les égouts, pas Spaggiari. » La phrase fait sensation en août 2010. « Amigo », ancien voyou « marseillais » né en Corse, publie son livre-choc et se livre pour NiceMatin. Il y déboulonne le mythe Spaggiari, relégué au rang de second rôle. En vérité – « sa » vérité – c’est lui qui aurait piloté les opérations pour le compte du « Gros ». « Avant la Société générale, nous avions avec le Gros monté une opération tout à fait similaire. C’était à Paris. Nous avions décidé de “casser” un bureau de poste dans le XIIIe arrondissement avec une quinzaine de garçons de mon âge », soutient « Amigo ». L’opération fait un flop. Mais le mode opératoire aurait inspiré le fameux “casse” de Nice. Le « Gros », le vrai boss donc, serait en réalité Jeannot Migozzi, ex-bras
droit de « Tany » Zampa. Il sera abattu en 1991 dans sa villa de Montauroux. Quant à « Amigo », aucun doute pour la justice : il s’agit de Jacques Cassandri. Affaires fructueuses
Janvier 2011. La PJ de Marseille interpelle Cassandri en même temps qu’une douzaine de suspects, dont plusieurs membres de sa famille. Jacques Cassandri est connu de la justice : il a été interpellé jadis lors d’un coup de filet contre la French connection, et condamné en 1994 pour proxénétisme aggravé. En février 2010, un règlement de comptes met la justice sur sa piste. Mais cette enquête va prendre une tout autre orientation. C’est finalement pour blanchiment en bande organisée que Cassandri est interpellé. La justice le suspecte d’avoir orchestré un savant système visant à réinvestir l’argent sale, en mettant ses proches à contribution. Maison en Savoie, discothèque à Marseille... Les affaires sont fructueuses. « Un patrimoine très conséquent (...) porté par divers prête-noms, sociétés de façade, gérants de paille », énumère le juge d’instruction dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal, que Nice-Matin a pu consulter.
Ecrit, pas prescrit
Une réussite fulgurante pour Jacques Cassandri qui, jusqu’en 1976, ne roulait pas franchement sur l’or. « En réalité l’ensemble de ses investissements trouve son origine dans le butin tiré du casse de Nice qu’il a revendiqué, ainsi que dans les activités de trafic de stupéfiant et de proxénétisme pour lesquelles il a été condamné », écrit le juge. Malgré son pseudonyme, Cassandri se serait donc trahi avec le livre d’« Amigo ». Le texte a été retrouvé sur le disque dur de son ordinateur. Ses enfants eux-mêmes soutiennent qu’il s’est targué d’en être l’auteur. « Amigo » pensait être à l’abri des foudres de la justice. Mais à la différence du vol, le recel et le blanchiment ne sont pas prescrits... « Ce livre est un roman, un roman n’est pas une source de preuve » ,a confié à l’AFP son avocat, Me Frédéric Monneret.
Spaggiari détrôné ?
Alors ? « Bert » le Niçois ne seraitil qu’un fanfaron « en quête de vedettariat », dont l’attrait pour la lumière fut bien utile à des voyous en quête, eux, de discrétion ? C’est ce qu’a soutenu « Amigo » dans nos colonnes : « Ça nous arrangeait bien qu’il endosse le rôle de cerveau de l’affaire ». Lui se présentait comme « un homme d’affaires respectable ». Parole contre parole, en l’absence du principal intéressé. Reste que, dès demain, c’est Jacques Cassandri qui sera sur le grill. Répondant de blanchiment, de recel, d’association de malfaiteurs, d’abus de biens sociaux, de travail dissimulé ou encore de port d’armes prohibé. Autour de lui, une galerie de personnages dont François Mosconi, maire de Conca (Corse), poursuivi pour corruption passive et blanchiment aggravé.