Nice-Matin (Cannes)

La doyenne des Français fête ses 114 ans à Toulon

Installée dans la rade depuis 2009, Lucille Randon, ou encore soeur André, a aujourd’hui… 114 ans! Un âge canonique qui fait d’elle la doyenne des Français. Rencontre

- SIMON FONTVIEILL­E sfontvieil­le@nicematin.fr

« On va se mettre dans la chapelle. Au pire, on décalera la messe de dix minutes...», glisse soeur Marie-Pierre en poussant le fauteuil de soeur André hors de l’ascenseur. «Houla! Je suis tellement importante qu’il faut même que je dérange la messe!», rouspète cette dernière. La religieuse alésienne, née Lucille Randon et doyenne des Français depuis octobre 2017, a beau célébrer ses 114 ans aujourd’hui, elle n’a rien perdu de sa répartie. Installée à côté de l’autel, proche de ce crucifié à qui elle a décidé de consacrer sa vie en 1944, la centenaire, voile et veste bleu marine sur un chemisier azur, parle fort en attrapant la main de son interlocut­eur. «Je suis un peu sourde! Et aveugle. Je suis à Toulon depuis 2009, et je n’en ai rien vu… Ah, ah! Mais mon frère m’en avait ramené une broche. C’était une ancre de vaisseau en argent bruni avec Toulon écrit en or… »

Souvenirs à vif

Quand, entre les murs de l’Ehpad Sainte-Catherine Labouré, à Saint-Jean-du-Var, les souvenirs de soeur André remontent à la surface de sa mémoire, ils sont vifs. Précis. L’histoire du XXe siècle défile à travers les confidence­s de la religieuse. « Pendant la guerre de 14, mon frère André était à Douaumont. Blessé à la jambe, il est resté deux jours parmi les morts avant d’être récupéré par un convoi de ravitaille­ment…», souffle la Fille de la Charité. Avant de poursuivre sur la célébratio­n de l’armistice à Alès, «où les femmes, même celles qui avaient perdu leurs frères ou leurs maris, se sont accrochées par le bras, chantaient la Marseillai­se et pleuraient en même temps. Ça m’avait impression­né petite fille!» À 20 ans, la benjamine d’une fratrie de cinq enfants quitte son Gard natal, reste quelques années à Marseille avant de monter à Paris. Devient gouvernant­e, puis préceptric­e. « Figurez-vous que je me suis retrouvée chez une des filles de M. Peugeot! Elle était mariée avec un Kreiss, un Lorrain qui s’occupait de la bière… Ils avaient un petit, Yvon, qui avait l’air complèteme­nt idiot. Tout le monde pensait qu’il était anormal… Mais je l’ai coincé pendant deux ans, et il a fini par intégrer un collège!»

Orphelins et mamies

Les enfants. Voilà sans doute le fil rouge de la vie de soeur André. Elle les a tellement aimés que l’un d’eux, Didier Borione, l’a retrouvée après plus de soixante-dix ans de séparation (lire ci-contre). À la fin de la guerre, une fois entrée dans les ordres - «je voyais beaucoup de misère et je voulais en sauver, je me croyais quelqu’un…» -, elle file à l’hôpital de Vichy. «J’avais vingt filles et vingt garçons dans un orphelinat… La moitié n’était pas des orphelins, mais leurs parents n’arrivaient plus à les nourrir, les Allemands avaient tout ramassé!» Peu après, elle s’occupe en plus de la maison des anciens. «Voilà que je prends quarante grands-mères! s’esclaffe la nonne. Mais ça fonctionna­it très bien… Les petits amusaient les mamies. Et comme elles leur donnaient des bonbons, ils étaient ravis.» La religieuse restera 28 ans à Vichy, Elle passera ensuite par la Drôme, s’installera plus de trente ans en demi-retraite, en Savoie, puis mettra le cap sur Toulon. Le jour de ses 114 ans, voilà Lucille à l’heure des bilans. Ce nom, André, pris en référence à son frère aîné – « il était pour moi mon protecteur ! » –. La grippe espagnole, qui a emporté son frère Pierre à 18 ans, déterminan­te dans sa conversion au catholicis­me. Et ces Français, qu’elle a tant côtoyés et dont elle est la doyenne… « J’ai envie de leur dire “aimez-vous au lieu de vous détester”. Ça irait mieux… »

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P h o t o : D o m i n i q u e L e ri c h e => Lucille Randon à Alès. => Monde : début de la Première guerre mondiale le  juillet. : le  février, elle fête ses  ans => Lucille Randon : naissance à Alès (Gard), dans une famille protestant­e....

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