Nice-Matin (Cannes)

Des tenues XXL pour des entités sorties d’X-Files

Françoise Povigna, qui réalise les vêtements des colosses, dont ceux du roi, peut enfin étaler ses créations dans un atelier aux mensuratio­ns des géants. Grands espaces…

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Pour Françoise Povigna, le salut providenti­el est venu des soucoupes volantes. La couturière du roi et de sa clique, respire enfin. C’en est fini des cagibis exigus où la pauvre habilleuse, de Sa Majesté et des autres sujets royaux, vivait l’enfer pour déployer des kilomètres de tissu et réaliser des vêtements en plusieurs morceaux. Après vingt années étriquées, Françoise prend ses aises à la halle Spada, dans un atelier de 300 m2 et sur une table de 10 mètres de long ! La véritable reine de l’espace, c’est finalement elle. Elle méritait bien ça pour couvrir les mensuratio­ns astronomiq­ues du monarque et des autres mannequins : « Un personnage normal de 5 mètres de hauteur, nécessite 60 mètres de tissu », précise Françoise. Pour l’ensemble de la fabricatio­n, il faut compter entre 200 et 300 mètres de textile, indispensa­ble pour Françoise, qui habille 14 chars sur 17. Plus les 16 chars des batailles de fleurs, sur lesquels, la profession­nelle colle des tissus camouflant le dessous des structures. Évidemment, Françoise ne donne pas dans la couture chic, le raffiné, le point à la main, mais son job prend du temps et de l’espace. Réaliser des habits mesurant entre 3 et 16 mètres, c’est quelque chose. «Ma mission est très physique », avoue l’habilleuse des gros volumes.

En provenance d’Espagne

Dès que la structure du char est achevée par les carnavalie­rs, Françoise va sur place. En mode gigantisme, on n’est pas systématiq­uement dans la perfection absolue : «Les membres ne sont pas toujours symétrique­s. Je dois m’adapter. » En prenant des mesures ou en confection­nant un patronage en plastique souple, « formule préconisée pour les formes bizar res ». Ensuite, il faut appliquer le patronage sur le tissu, couper, assembler en piquant à la machine à coudre. Il arrive que le costume réalisé se fixe avec de la colle. Mais la couturière préfère tout ce qui est piqué : « C’est plus facile ensuite pour tendre sur le personnage. » Les matières employées ? Beaucoup de velours recouvert de mousse afin d’obtenir de la tenue dans le costume, de la maille extensible, du satin, de la doublure, de la toile de spi pour la voile. « On achète en Espagne. Les tissus arrivent ensuite ici à raison de 5 à 6 palettes de rouleaux énormes. » Au rez-de-chaussée de la halle Spada, les jeunes filles qui animent les chars fleuris viennent essayer leurs toilettes. Au premier, chez Françoise, pas d’essayage. « C’est la surprise le jour de l’habillage. En principe, il a lieu dix jours avant la première sortie du cortège. Si d’aventure, ça ne va pas, je modifie à l’atelier ou je couds sur place. »

Haute voltige

Le roi, qui demande le plus de métrage de toile, représente deux jours d’habillage. Sauf que cette année, le souverain spationaut­e, qui a les traits de Thomas Pesquet, est enfermé dans du métal, du plexiglas et des lumières. Pas de brocard. «Je suis gagnante sur ce coup-là », rigole Françoise. La jeune femme apprécie les détails : boutons, passemente­rie… Cependant, au vestiaire du monarque, c’est l’infiniment grand qui prend le dessus et pour vêtir le sire et sa suite, pas question de faire dans la dentelle. Il ne faut pas avoir peur de grimper dans les nacelles, sur les échelles, s’agripper aux structures. «Le plus dur reste l’accessibil­ité. On doit aller sur les personnage­s tout en faisant très attention aux peintures. » Françoise et sa complice, Marion Ruzziconi ont une solidité naturelle guère menacée par l’effilochag­e. Pourtant, lorsqu’elle est arrivée dans le monde macho des carnavalie­rs, Françoise la Basque était du genre novice. « J’avais un BTS de costumière. J’ai fait 4 ans de retouches dans une boutique et j’ai donné des cours. Au hasard d’une rencontre avec des habitants de Coaraze, j’ai participé à la fête médiévale. Ce qui m’a permis de connaître une dame qui travaillai­t pour les Povigna, mais qui était sur le point de partir à la retraite. J’ai commencé comme ça. C’était en 1997. À l’époque, les femmes étaient encore mal vues au hangar et les couturière­s travaillai­ent chez elles. L’atelier de couture n’existait pas. Je me rappelle qu’on m’a installé dans un bungalow. » Françoise a fait son bonhomme de chemin dans le monde masculin du carnaval. Sans trop de problème : « Je préfère travailler avec des hommes. D’ailleurs, j’ai appris beaucoup de chose avec JeanPierre Povigna, mon beaupère. Il m’a montré comment travailler la mousse. » Le talent de la couturière a fait le reste.

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