Nice-Matin (Cannes)

Sugar Sammy, l’humoriste québécois qui aime nous observer sans être vu

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Il vient du froid mais souffle sur les braises. Son spectacle est une partie de ping-pong où chaque nouvelle vanne fait mouche au premier rebond. Comme le suggère son nom de scène sucré-salé, Sugar Sammy régale ses convives en mettant les petits plats dans les grands. L’humoriste québécois remet le couvert à Marseille et cuisine les Niçois pour la première fois. Avec un sens inné de l’observatio­n qu’il cultive en faisant son marché au coeur de la population. S’il vit en France depuis deux ans, c’est pour mieux décortique­r notre comporteme­nt.

Vous tournez en France depuis quelque temps. Comment le public réagit-il?

J’ai d’abord tourné dans des petits cafés-théâtres pour voir si mon humour fonctionna­it ou s’il y avait un gros travail d’adaptation à faire. Mais c’est vraiment un spectacle qui ratisse large. Une critique sévère et honnête… de Paris, surtout, puisque c’est là que j’ai vécu le plus au cours des deux dernières années. J’ai eu le temps de voir que les provinces étaient très différente­s de la capitale: ce sont des cultures différente­s. Alors oui, on peut parler d’une étude anthropolo­gique de la France.

Vivre à Paris, est-ce une obligation que vous vous êtes imposée?

Je voulais m’imprégner, m’entourer de Français. Rien ne vaut l’immersion. On ne peut pas se contenter de lire des bouquins et de regarder des documentai­res. Comme je dis, j’ai « subi » les Parisiens pendant deux ans. Faire partie de la tapisserie,

c’est la meilleure façon d’écrire. J’ai testé au jour le jour, en voyant où je me trompais, où je devais faire machine arrière. Démarche très importante pour un spectacle sur-mesure. Juste transposer mon spectacle, ça ne m’intéressai­t pas. Comme auteur, comme artiste, il est bien plus passionnan­t d’aller jouer ailleurs, de repartir de zéro, de mériter son succès. Un humoriste est à son meilleur quand il est en capacité d’observer sans être vu.

Au Canada, c’est impensable?

Là-bas, je suis trop connu pour m’asseoir à la terrasse d’un café sans être interpellé, interrompu. Ce qui me rend trop «conscient de moi-même» pour regarder les gens. Alors qu’ici, en France, je peux me perdre dans la foule et disposer de ce temps. Je suis plus anonyme. Même si, avec les télés et les spectacles, on commence à me reconnaîtr­e.

Qu’est-ce qui vous fait rire chez nous? Qu’est-ce qui est très différent?

Différent? Tout. La structure politique, par exemple. La culture populaire. La façon de communique­r. Ou certaines tensions raciales ou religieuse­s. Je raconte ce que je vois. Lors de ma blague d’ouverture, j’arrive en disant: «Je suis très content d’être en France, mon pays arabe préféré…» Le ton est donné.

Ça grince un peu?

Oui, et tant mieux! Ça grince, mais ça rigole aussi. Il faut trouver cette ligne où les gens rient jaune, mais de bon coeur. Je m’assure que tous ceux qui se présentent à mon spectacle passent une très bonne soirée. Car j’ai l’intention de revenir! Quand j’étais jeune, les humoristes que je préférais étaient ceux qui jouaient avec le feu. Capables de critiquer le public tout en sortant avec des rires. Vous avez, en France, cette tradition. Avec notamment Guy Bedos ou même Raymond Devos. Pour moi, c’est la façon la plus intéressan­te d’aborder l’humour. Même si la salle, ici, est plus timide dans sa participat­ion. Le Français ne veut pas se démarquer. Mais il aime que ça pique, que ça fasse un peu mal. Et puis, je n’aime pas que deux spectacles soient identiques. Si je vais voir un humoriste dont j’ai déjà tout vu parce que les extraits ont été montrés partout, ça ne m’amuse pas. Il ne faut pas trop brûler les blagues.

Certains de vos confrères ont été pris les doigts dans le pot de confiture…

C’est une réalité qui était connue par le milieu depuis longtemps. Ils se sont fait attraper: avec les réseaux sociaux, c’était inévitable. Mais tout le monde ne le fait pas, c’est important de le préciser. Vous avez chez vous de bons artistes qui prennent le temps d’écrire. C’est la partie la plus difficile: écrire, c’est souffrir. Sauter cette étape et pomper, c’est quelque chose d’inacceptab­le. Et ce qui fait de la peine, c’est que la réputation des Français en pâtit. Or, il y en a d’excellents qui méritent d’être reconnus.

Une nouvelle génération a émergé en France. Qui sont vos préférés?

J’aime beaucoup Blanche Gardin, l’une des meilleures avec Foresti que je trouve géniale. Ou Kyan Khojandi, créateur de Bref .Ilya aussi Fary, Jason Brokerss, Noman Hosni ou le Suisse Thomas Wiesel. J’ai vu un numéro d’Ahmed Sylla que j’ai adoré. Et je trouve Haroun et le Comte de Bouderbala particuliè­rement doués. Je crois vraiment que cette génération va prendre le relais et redéfinir l’humour en France. Sugar Sammy. ◗Vendredi 23 et samedi 24 février, à20h 30. Théâtre de la Cité, à Nice. Tarif : 26,90 €. Rens. 04.93.16.82.69. ◗Vendredi 16 mars, à 20h30. Espace Julien à Marseille. Tarifs : 28 €, réduit 25 €. Rens. 04.91.24.34.10.

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(DR) Sugar Sammy en spectacle le  mars à Marseille.

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