Deux mille ouvriers de l’arsenal de Toulon au chômage La prison de la Tour royale
L’origine de la misère du milieu ouvrier toulonnais au moment de la Révolution remonte à . Comme il est dit dans notre récit, cette année est celle de la signature du traité de Paris mettant fin à la Guerre d’indépendance des États-Unis, menée par les Américains contre les Anglais avec le soutien de la France. Toulon y a pris une part importante. C’est de ce port qu’en est partie une escadre commandée par l’amiral Henri d’Estaing, pour prêter main-forte aux Américains. La fin de cette guerre signifie l’arrêt de la fabrication, à l’arsenal de Toulon, du matériel nécessaire à la marine française pour participer à ce conflit. Au début de
Le peuple veut se faire entendre. Suit une période de grands désordres et de valse des gouverneurs. Le gouverneur Jean-Baptiste Montreuil de Coincy avait fait éditer des placards en langue provençale exhortant la population à ne pas céder à la violence et adresser ses doléances par la voie administrative. C’était la première fois que l’occitan était employé dans des documents administratifs. Malgré ses efforts linguistiques en direction du peuple, Montreuil de Coincy est poussé à la démission après vingt-six ans à la gouvernance de Toulon. Il est remplacé par un autre membre de la noblesse, le comte de Béthisy. Cherchant lui aussi à s’attirer les bonnes grâces du peuple, il décide de repousser de 20 heures à 22 heures la fermeture des portes de la ville. Mais le peuple, méfiant, craint qu’il en profite pour introduire de nuit des troupes dans la ville. D’autant que la décision est assortie d’un couvrefeu. Le peuple se rebelle. Le comte doit démissionner à son tour. Son successeur, le marquis du Luc, maréchal de camp, ne tiendra, lui, que quelques semaines à son poste. Le 29 août, un des consuls toulonnais, Roubaud, est alors désigné pour assurer l’intérim de la gouvernance toulonnaise.
La cocarde tricolore refusée dans l’arsenal
La situation sociale demeure fragile. Le 13 novembre, un incident met le feu aux poudres : l’interdiction, faite par le commandant du port Albert de Rioms à deux ouvriers, d’entrer dans l’enceinte de l’arsenal avec une cocarde tricolore sur leur chapeau. Cette petite affaire fait grand bruit dans la ville. La foule se masse sur la place d’Armes, près de l’arsenal, pour réclamer la tête d’Albert de Rioms. Ordre est donné à l’armée de tirer. Mais celle-ci refuse et – retournement de situation – c’est Albert de Rioms qui est arrêté. Il est enfermé aux côtés du marquis Monier La Tour royale de Toulon, également nommée Grosse tour, édifiée au début du XVIe siècle à l’initiative du roi Louis XII afin de protéger la rade des attaques ennemies, perd son rôle stratégique au XVIIIe siècle et devient une prison. Au moment de la Révolution, les insurgés et criminels sont enfermés dans des conditions particulièrement dures. On y meurt au bout de quelques mois. familles, cela fait soudain « huit mille indigents » à Toulon, pour reprendre l’expression d’un chroniqueur de l’époque. Vers quels métiers les ouvriers toulonnais peuvent-ils se reconvertir ? Ils sont scieurs de mâts, cordiers, fabricants de poulies, de voiles. Ils ne trouveront pas de travail ailleurs. En plus des licenciements, l’arsenal décide de fermer deux jours par semaine. Tout cela constitue, au sein de la population toulonnaise, un ferment pour la Révolution. du Castellet, directeur de l’arsenal dont la foule vient de s’emparer de force en saccageant l’Hôtel de la Marine. L’affaire est portée devant l’Assemblée constituante à Paris – équivalente de notre actuelle Chambre des députés. Le 14 décembre, tandis que les deux députés toulonnais Meifrund et Ricard chargent Albert de Rioms, le député d’Auvergne Pierre-Victor Malouet, précisément originaire de la ville de Rioms, ex-intendant de la Marine de Toulon, prend sa défense. Robespierre, lui-même, intervient. Il accuse le comte toulonnais de répression envers les marins et les ouvriers de l’arsenal et étend son attaque à l’égard de l’aristocratie militaire en général. Albert de Rioms est finalement libéré mais la pauvre histoire des cocardes tricolores de l’arsenal de Toulon s’est transformée en affaire d’État. Cela ridiculise l’administration toulonnaise. En janvier 1790, Mirabeau conclut l’affaire en déclarant à l’Assemblée de manière claire et nette : « Il faut suspendre la municipalité de Toulon ! » Deux pauvres cocardes interdites à l’entrée de l’arsenal avaient attiré sur Toulon l’attention de la France entière. La réunion des États-Généraux, prévue pour le mai , organisée par le roi Louis XVI, a suscité de grands espoirs dans la population française. La sénéchaussée de Toulon a envoyé huit députés : pour le clergé JeanJoseph Rigouard, curé de La Farlède, Jean-Joseph Montjallard, curé de Barjols ; pour la noblesse le marquis de la Poype-Vertrieux et le maréchal de camp Michel de Vialis ; pour le Tiers-État Pierre Meifrund, commerçant à Toulon, Charles Feraud, avocat à Brignoles, François Jaume, commerçant à Hyères, et Gabriel Ricard, avocat à Saint-Maximin. Le mai , le roi Louis XVI ouvre à Versailles les États-Généraux. Son discours est particulièrement conservateur. Aucune des grandes réformes attendues n’est envisagée. Au bout d’un mois de discussions, le juin, sur proposition de l’abbé Sieyès, de Fréjus, le Tiers-État et quelques membres de la noblesse et du clergé constituent une « Assemblée nationale ». Le juin, l’Assemblée interdite par le roi se réunit dans la salle voisine du Jeu de Paume ; elle prononce le fameux « serment » par lequel les contractants s’engagent à ne pas se séparer avant d’avoir écrit une Constitution. Face à la tournure des événements, le juin, Louis XVI fait venir des troupes sur Paris, dont hommes de régiments étrangers. Début juillet, des émeutes éclatent dans la capitale. Le , le journaliste et avocat révolutionnaire Camille Desmoulins exhorte la foule à se mettre en état de défense. Dans les jardins des Tuileries et aux Invalides, les Parisiens se heurtent au régiment du prince de Lambesc. Il y a des tués parmi les manifestants. À heures , une délégation de l’Assemblée des électeurs de Paris se rend à la Bastille, prison royale, pour interpeller le directeur Jordan de Launay. À heures, la forteresse est envahie. Il y a une centaine de tués et soixante-treize blessés parmi les émeutiers. Ceux-ci s’emparent de la poudre et des balles, libèrent les sept prisonniers qui se trouvent dans le lieu. Jordan de Launay est tué, sa tête présentée au peuple au bout d’une pique. Paul Barras, futur député du Var (photo ci-dessus), se trouve parmi les émeutiers.