Nice-Matin (Cannes)

Les vérités qui dérangent

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Gémir, se débattre, hurler au complot, à la machinatio­n, lapider l’accusateur pour n’avoir pas à répondre des accusation­s. Bref, faire diversion et se poser en victime. La ficelle est grosse. Mais le fait est que bien souvent, ça marche. C’est peut-être pourquoi les politiques ont tendance à en user et abuser chaque fois qu’ils sont mis en difficulté. Le truc est connu. Le procédé, classique. Mais il atteint ces temps-ci un degré inédit dans l’outrance. On pense, à Trump, s’acharnant à déconsidér­er les journaux les plus dignes de respect. Chez nous, pour citer les exemples les plus récents, à l’indignatio­n surjouée d’un Laurent Wauquiez ou aux imprécatio­ns de Jean-Luc Mélenchon. Dans le genre, le leader des Insoumis s’est surpassé ; il livre sur son blog un long pamphlet conspirati­onniste contre le « parti médiatique », désigné comme unique « adversaire concret », et prêche une « juste et saine haine des médias et de ceux qui les animent ». Amusez-vous à écrire sur n’importe quelle profession le quart des imputation­s dont Mélenchon – sans l’ombre d’une preuve – accable les journalist­es, et je vous promets une avalanche de poursuites pour injure et diffamatio­n. Avec les journalist­es, on peut y aller. C’est sans risque. Ça parle à l’opinion, dans un pays où, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, la défiance envers les médias est une des choses les mieux partagées. Et surtout, ça permet de resserrer les rangs autour du chef, en activant les réflexes défensifs du groupe. L’ennemi est l’ennemi, il ne peut pas avoir raison. « Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances » (Proust). Entendons-nous. Les médias ne sont pas au-dessus de toute critique – pourquoi seraient-ils les seuls épargnés ? À condition de ne pas se tromper de procès. Et de ne pas tomber dans les généralisa­tions ou les caricature­s. Il n’y a pas « les » médias mais « des » médias, tous différents, qui peuvent, bien sûr, verser dans le sensationn­alisme, le grégarisme, le voyeurisme... Qui peuvent aussi tromper et se tromper (comme tout le monde), être manipulée, diffamer (il y a des lois pour ça). Il faut le dire. Mais ce qui n’est pas recevable, et qui blesse la démocratie, ce sont les propos qui visent à discrédite­r l’ensemble de la presse quand sa seule « faute », son impardonna­ble faute – en dévoilant le double langage de Laurent Wauquiez, ou le hiatus entre le discours des Insoumis et leur pratique –, a été de dire les faits. C’est son métier. C’est sa mission.

«Amusez-vous à écrire sur n’importe quelle profession le quart des imputation­s dont Mélenchon accable les journalist­es, et je vous promets une avalanche de poursuites pour injure et diffamatio­n.»

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France