Les vérités qui dérangent
Gémir, se débattre, hurler au complot, à la machination, lapider l’accusateur pour n’avoir pas à répondre des accusations. Bref, faire diversion et se poser en victime. La ficelle est grosse. Mais le fait est que bien souvent, ça marche. C’est peut-être pourquoi les politiques ont tendance à en user et abuser chaque fois qu’ils sont mis en difficulté. Le truc est connu. Le procédé, classique. Mais il atteint ces temps-ci un degré inédit dans l’outrance. On pense, à Trump, s’acharnant à déconsidérer les journaux les plus dignes de respect. Chez nous, pour citer les exemples les plus récents, à l’indignation surjouée d’un Laurent Wauquiez ou aux imprécations de Jean-Luc Mélenchon. Dans le genre, le leader des Insoumis s’est surpassé ; il livre sur son blog un long pamphlet conspirationniste contre le « parti médiatique », désigné comme unique « adversaire concret », et prêche une « juste et saine haine des médias et de ceux qui les animent ». Amusez-vous à écrire sur n’importe quelle profession le quart des imputations dont Mélenchon – sans l’ombre d’une preuve – accable les journalistes, et je vous promets une avalanche de poursuites pour injure et diffamation. Avec les journalistes, on peut y aller. C’est sans risque. Ça parle à l’opinion, dans un pays où, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, la défiance envers les médias est une des choses les mieux partagées. Et surtout, ça permet de resserrer les rangs autour du chef, en activant les réflexes défensifs du groupe. L’ennemi est l’ennemi, il ne peut pas avoir raison. « Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances » (Proust). Entendons-nous. Les médias ne sont pas au-dessus de toute critique – pourquoi seraient-ils les seuls épargnés ? À condition de ne pas se tromper de procès. Et de ne pas tomber dans les généralisations ou les caricatures. Il n’y a pas « les » médias mais « des » médias, tous différents, qui peuvent, bien sûr, verser dans le sensationnalisme, le grégarisme, le voyeurisme... Qui peuvent aussi tromper et se tromper (comme tout le monde), être manipulée, diffamer (il y a des lois pour ça). Il faut le dire. Mais ce qui n’est pas recevable, et qui blesse la démocratie, ce sont les propos qui visent à discréditer l’ensemble de la presse quand sa seule « faute », son impardonnable faute – en dévoilant le double langage de Laurent Wauquiez, ou le hiatus entre le discours des Insoumis et leur pratique –, a été de dire les faits. C’est son métier. C’est sa mission.
«Amusez-vous à écrire sur n’importe quelle profession le quart des imputations dont Mélenchon accable les journalistes, et je vous promets une avalanche de poursuites pour injure et diffamation.»