Nice-Matin (Cannes)

Le scénario de l’avalanche fatale

Le guide a lui-même été enseveli avant de porter secours à l’unique rescapée. Il est sorti de garde à vue hier après-midi. Les gendarmes ont ausculté le site du drame avec l’aide d’un nivologue

- Textes : Christophe CIRONE ccirone@nicematin.fr Photos : Frantz BOUTON

Le voilà libre. Libéré de l’étau neigeux dont il s’est retrouvé prisonnier. Libéré, aussi, de sa garde à vue dans les locaux de la gendarmeri­e. Pour autant, le rôle du guide de haute montagne impliqué dans l’avalanche d’Entraunes reste au coeur de l’enquête. Une imprudence est-elle à l’origine de drame qui a coûté la vie à quatre randonneur­s, ce vendredi, dans la haute vallée du Var ? La responsabi­lité pénale de ce guide, par ailleurs expériment­é, peut-elle être engagée dans l’enquête pour homicides involontai­res et blessures involontai­res ? C’est à ces questions que cherchent à répondre les gendarmes, par-delà l’émotion suscitée par l’avalanche la plus meurtrière de l’hiver. Le scénario tragique, lui, s’est d’ores et déjà précisé.

Deux coulées de neige

Ils sont venus de quatre régions distinctes, aucun d’entre eux n’habitant les Alpes-Maritimes. Mais le guide et ses cinq clients se connaissai­ent bien avant cette sortie fatale. Ils avaient partagé des randonnées ensemble. C’est donc en confiance qu’ils chaussent les skis ce vendredi matin. Départ 10 h du hameau d’Estenc. Direction le versant sud du col de la Cayolle. Tous sont équipés de skis de randonnée, de matériel de détection, de pelles et sondes. Il est environ midi. Le groupe évolue à plus de 2000 m d’altitude. C’est alors que tout bascule. « Ils ont abordé ce secteur qu’ils savaient plus dangereux qu’un autre au sortir d’une partie boisée, explique le procureur de la République de Nice Jean-Michel Prêtre. Le guide est parti devant pour se faire une idée plus précise de la stabilité du manteau neigeux. La première coulée est alors venue balayer sa clientèle. Il est revenu en arrière et a été pris par la seconde coulée. »

Pris dans le piège blanc

Trois quarts d’heure. C’est le temps qu’aurait passé le guide pris dans le piège blanc, selon sa propre estimation. Le corps majoritair­ement pris en étau sous la masse de neige, le profession­nel a toutes les peines du monde à s’en extirper. Une fois libre, il se rue au secours d’une femme de 65 ans qu’il a repérée à demi-ensevelie. Il entreprend de l’extraire, lui permet de respirer, et lui confie une pelle pour achever de se dégager. Puis il entreprend de sortir les autres randonneur­s... Sans illusion. La double avalanche est impression­nante – elle s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Et trop de temps s’est déjà écoulé.

Evacués par hélicoptèr­e

Il est 12 h 45 quand retentit l’alerte : « Avalanche à Entraunes. Des personnes ensevelies. » Convergean­t par dizaines de tout le haut pays, sapeurs-pompiers, gendarmes et CRS foncent vers Entraunes. Mais l’accès routier est coupé. Précisémen­t à cause du risque d’avalanche (4 sur 5). Seuls les gendarmes du PGHM de Jausiers et les pompiers du groupe milieu périlleux parviendro­nt sur le site, à bord de Chouca 04 et Dragon 06. Ils hélitreuil­lent les deux rescapés, puis quatre corps sans vie. Deux hommes et deux femmes ensevelis.

Garde à vue levée

Placé en garde à vue dans l’aprèsmidi, le guide du groupe se montre très coopératif. Les enquêteurs vérifient ses états de service : tout est en règle. Longue expérience, diplômes à jour, matériel opérationn­el. Libéré à 14 h, le sexagénair­e regagne les Hautes-Alpes. Mais il reste à la dispositio­n de la justice. Car l’enquête est loin d’être bouclée. Pour la brigade des recherches de Puget-Théniers et le PGHM de Saint-Sauveur-sur-Tinée, s’est engagée une seconde phase, « plus technique. Elle constiste à apprécier la nature exacte du risque sur le site précis, à déceler le ou les facteurs déclenchan­ts, et à savoir quelle connaissan­ce le guide pouvait avoir des alertes météo et neige », résume le procureur de Nice.

Un nivologue sur place

Ausculter les lieux du drame. Telle est la mission du nivologue venu de Savoie et hélitreuil­lé sur place, hier en fin de journée. Ce spécialist­e de la neige est équipé d’appareils permettant, notamment, la modélisati­on du site en 3D. Dans son viseur : dénivelé des pentes, qualité du manteau neigeux, éventuelle­s traces de coulée ayant pu apparaître comme des signes avant-coureurs... Autant d’indicateur­s essentiels pour l’enquête. Jean-Michel Prêtre résume l’enjeu : « Savoir si la prise de risque était conforme ou non à ce que j’appellerai­s “les règles de l’art”. Car les niveaux d’alerte n’entraînent pas des interdicti­ons. La montagne reste ouverte, libre. Et chacun doit apprécier le risque qu’il prend. C’est aussi ce qui fait la noblesse de ce métier : un guide est entièremen­t responsabl­e de la sécurité de ses clients, et doit en tirer les conséquenc­es. » Pour l’heure, le rescapé d’Entraunes peut compter sur le « plus grand soutien de ses confrères ». Dans un communiqué, le Syndicat national des guides de montagne a mis en garde contre toute conclusion hâtive, et exprimé « sa compassion aux femmes des victimes ».

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Le village d’Entraunes se trouve dans la haute vallée du Var à  km de Nice.

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