Le scénario de l’avalanche fatale
Le guide a lui-même été enseveli avant de porter secours à l’unique rescapée. Il est sorti de garde à vue hier après-midi. Les gendarmes ont ausculté le site du drame avec l’aide d’un nivologue
Le voilà libre. Libéré de l’étau neigeux dont il s’est retrouvé prisonnier. Libéré, aussi, de sa garde à vue dans les locaux de la gendarmerie. Pour autant, le rôle du guide de haute montagne impliqué dans l’avalanche d’Entraunes reste au coeur de l’enquête. Une imprudence est-elle à l’origine de drame qui a coûté la vie à quatre randonneurs, ce vendredi, dans la haute vallée du Var ? La responsabilité pénale de ce guide, par ailleurs expérimenté, peut-elle être engagée dans l’enquête pour homicides involontaires et blessures involontaires ? C’est à ces questions que cherchent à répondre les gendarmes, par-delà l’émotion suscitée par l’avalanche la plus meurtrière de l’hiver. Le scénario tragique, lui, s’est d’ores et déjà précisé.
Deux coulées de neige
Ils sont venus de quatre régions distinctes, aucun d’entre eux n’habitant les Alpes-Maritimes. Mais le guide et ses cinq clients se connaissaient bien avant cette sortie fatale. Ils avaient partagé des randonnées ensemble. C’est donc en confiance qu’ils chaussent les skis ce vendredi matin. Départ 10 h du hameau d’Estenc. Direction le versant sud du col de la Cayolle. Tous sont équipés de skis de randonnée, de matériel de détection, de pelles et sondes. Il est environ midi. Le groupe évolue à plus de 2000 m d’altitude. C’est alors que tout bascule. « Ils ont abordé ce secteur qu’ils savaient plus dangereux qu’un autre au sortir d’une partie boisée, explique le procureur de la République de Nice Jean-Michel Prêtre. Le guide est parti devant pour se faire une idée plus précise de la stabilité du manteau neigeux. La première coulée est alors venue balayer sa clientèle. Il est revenu en arrière et a été pris par la seconde coulée. »
Pris dans le piège blanc
Trois quarts d’heure. C’est le temps qu’aurait passé le guide pris dans le piège blanc, selon sa propre estimation. Le corps majoritairement pris en étau sous la masse de neige, le professionnel a toutes les peines du monde à s’en extirper. Une fois libre, il se rue au secours d’une femme de 65 ans qu’il a repérée à demi-ensevelie. Il entreprend de l’extraire, lui permet de respirer, et lui confie une pelle pour achever de se dégager. Puis il entreprend de sortir les autres randonneurs... Sans illusion. La double avalanche est impressionnante – elle s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Et trop de temps s’est déjà écoulé.
Evacués par hélicoptère
Il est 12 h 45 quand retentit l’alerte : « Avalanche à Entraunes. Des personnes ensevelies. » Convergeant par dizaines de tout le haut pays, sapeurs-pompiers, gendarmes et CRS foncent vers Entraunes. Mais l’accès routier est coupé. Précisément à cause du risque d’avalanche (4 sur 5). Seuls les gendarmes du PGHM de Jausiers et les pompiers du groupe milieu périlleux parviendront sur le site, à bord de Chouca 04 et Dragon 06. Ils hélitreuillent les deux rescapés, puis quatre corps sans vie. Deux hommes et deux femmes ensevelis.
Garde à vue levée
Placé en garde à vue dans l’aprèsmidi, le guide du groupe se montre très coopératif. Les enquêteurs vérifient ses états de service : tout est en règle. Longue expérience, diplômes à jour, matériel opérationnel. Libéré à 14 h, le sexagénaire regagne les Hautes-Alpes. Mais il reste à la disposition de la justice. Car l’enquête est loin d’être bouclée. Pour la brigade des recherches de Puget-Théniers et le PGHM de Saint-Sauveur-sur-Tinée, s’est engagée une seconde phase, « plus technique. Elle constiste à apprécier la nature exacte du risque sur le site précis, à déceler le ou les facteurs déclenchants, et à savoir quelle connaissance le guide pouvait avoir des alertes météo et neige », résume le procureur de Nice.
Un nivologue sur place
Ausculter les lieux du drame. Telle est la mission du nivologue venu de Savoie et hélitreuillé sur place, hier en fin de journée. Ce spécialiste de la neige est équipé d’appareils permettant, notamment, la modélisation du site en 3D. Dans son viseur : dénivelé des pentes, qualité du manteau neigeux, éventuelles traces de coulée ayant pu apparaître comme des signes avant-coureurs... Autant d’indicateurs essentiels pour l’enquête. Jean-Michel Prêtre résume l’enjeu : « Savoir si la prise de risque était conforme ou non à ce que j’appellerais “les règles de l’art”. Car les niveaux d’alerte n’entraînent pas des interdictions. La montagne reste ouverte, libre. Et chacun doit apprécier le risque qu’il prend. C’est aussi ce qui fait la noblesse de ce métier : un guide est entièrement responsable de la sécurité de ses clients, et doit en tirer les conséquences. » Pour l’heure, le rescapé d’Entraunes peut compter sur le « plus grand soutien de ses confrères ». Dans un communiqué, le Syndicat national des guides de montagne a mis en garde contre toute conclusion hâtive, et exprimé « sa compassion aux femmes des victimes ».