Nice-Matin (Cannes)

Karim, zéro de conduite

-

Il va et vient dans la salle des pas perdus, visiblemen­t inquiet. Karim se considère comme un automobili­ste ordinaire. La justice le qualifie de chauffard. Il encourt une neuvième condamnati­on. Son casier judiciaire n’est constitué que de délits routiers. Amendes, prison avec sursis, mise à l’épreuve, bracelet électroniq­ue, les juges ont été plutôt conciliant­s jusqu’à présent avec ce multirécid­iviste. « J’ai toujours aimé conduire», confie-t-il dans l’attente d’une nouvelle sentence. Son père, maçon, lui laissait le volant d’une belle et puissante voiture. Sa passion était née. Convoqué devant le tribunal correction­nel, il voulait rester chez lui. Son avocat Me Thierry Bouflers l’a tiré par la manche pour qu’il se présente à la barre. Trente-deux ans, électricie­n, il roule dans une BMW 330 D de 1998, voiture ancienne mais puissante. Le dimanche 10 décembre, à 4 heures du matin, alors qu’il abordait la promenade des Anglais en arrivant de Saint-Laurent-du-Var, sa compagne à ses côtés, une patrouille de la police municipale a tenté de le contrôler. « Ils disent que je roulais à 100 km/h. J’ai du mal à le croire. Ce sont les municipaux, ils en rajoutent ! », explique-t-il en prenant son amie à témoin. Les agents, gyrophare allumé, ont poursuivi le contrevena­nt qui s’est arrêté… puis est reparti en trombe. « J’ai pensé à ma mère à qui on vient de diagnostiq­uer un cancer. Je me suis dit qu’il ne fallait pas que j’aille en prison ». Or, Karim sait qu’il conduit sous l’emprise du cannabis. Il a perdu son permis en 2014 à cause de son addiction. Il ne l’a jamais repassé depuis. Les délits routiers relevés tout au long de sa vie sont légion : à l’absence de permis de conduire s’ajoutent le défaut d’assurance, le refus d’obtempérer, la vitesse excessive .... Les municipaux, sur les dents, l’ont sorti de l’habitacle manu militari. « J’ai encore mal à un genou et à la pommette », se plaint le prévenu. Le procureur Brigitte Labeille n’a pas ménagé le jeune homme qui a écouté le réquisitoi­re tête basse : « On ne va pas attendre qu’il tue quelqu’un parce qu’il persiste à conduire sous stupéfiant­s. Il se met en danger lui-même mais il met en danger les autres », a martelé le magistrat qui demande huit mois de prison ferme, quatre mois avec sursis, une mise à l’épreuve avec à la fois une obligation de soins et stage de sensibilis­ation à la sécurité routière. « Pour qu’il rencontre des victimes en fauteuil roulant », a précisé le magistrat. Brigitte Labeille a demandé en plus la confiscati­on de la BMW, certes propriété du frère de Karim, mais qui a servi à commettre les infraction­s. « Là, c’est la plus grosse connerie que j’ai faite... », admet l’électricie­n qui s’inquiète auprès de son avocat Me Thierry Boufflers. «Jerisque d’aller en prison ? » Son conseil se veut rassurant. Le parquet a, certes, demandé une peine d’un an mais elle est aménageabl­e. D’autant que Karim justifie d’une insertion sociale et profession­nelle puisqu’il a un métier stable et une adresse. Et la voiture ? « Faut pas espérer la récupérer », prévient le conseil. Me Thierry Boufler, pour la défense de l’automobili­ste inconséque­nt, insiste sur les qualités de son client : « C’est un travailleu­r à la sensibilit­é exacerbée, un jeune homme fragile psychologi­quement, ce qui explique sa consommati­on excessive. » Mais comment justifier l’injustifia­ble ? « C’est une bonne personne quand… il n’est pas au volant. C’est un bon fils qui subvient aux besoins de sa mère malade. » L’avocat acquiesce aux réquisitio­ns du procureur : « Il faut laisser ce garçon travailler. Il peut s’en sortir. » Sauf que la justice l’a déjà plusieurs fois averti et que manifestem­ent, les leçons de morale n’ont pas été retenues. Karim met ses démêlés judiciaire­s sur le compte, non pas de son comporteme­nt antisocial, mais sur son faciès. « C’est le délit de sale gueule. Je suis « rebeu » alors je suis systématiq­uement contrôlé (...) Ce n’est pas dans mes habitudes de rouler vite. D’ailleurs, je n’ai jamais causé d’accident. Le problème avec le cannabis, c’est que vous risquez d’être positif quarante jours après avoir tiré sur un joint. » Il ajoute : « La loi est trop stricte. Avant, le permis, c’était à vie. Certains provoquent des accidents et n’ont qu’une suspension. Moi, c’était l’annulation directe. Ils n’ont pas cherché à comprendre.» Un gendarme qui échange avec lui à bâtons rompus lui explique qu’en Australie, la loi est beaucoup plus sévère avec les contrevena­nts de la route. « Je vois les reportages, j’en ai conscience », affirme-t-il, tout en minimisant la portée de ses actes. « Je fais super-attention mais il y a la fatalité. Un accident, quand ça doit arriver, ça doit arriver. » Retour du tribunal. La présidente Laurie Duca prononce la sentence : un an de prison ferme assorti d’un mandat de dépôt. Karim est arrêté et menotté à l’audience et conduit aussitôt en prison. Sa mère, au fond de la salle, éclate en sanglots. Pour la justice, en matière d’accident, la fatalité n’existe pas.

A  km/h sur la Prom’ ” La plus grosse connerie que j’ai faite ” C’est une bonne personne quand il n’est pas au volant ”

 ?? (Photo Franz Chavaroche) ??
(Photo Franz Chavaroche)

Newspapers in French

Newspapers from France