Nice-Matin (Cannes)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité edito@nicematin.fr

Lundi

Pour présenter la réforme de la SNCF, Edouard Philippe parle d’une voix timide et légèrement détimbrée, ses grands bras se refusent à tout effet de manche, mais ses yeux rieurs et un petit sourire en coin le trahissent. Le stratège chinois Sun Tzu assurait que toute guerre est basée sur la tromperie et le gouverneme­nt a parfaiteme­nt réussi ce que l’on appelle un leurre. Depuis plusieurs jours, la classe politique et syndicale s’était mobilisée pour dénoncer l’abandon des petites lignes non rentables préconisé par le rapport Spinetta, tentant de faire accroire que cette dispositio­n était de fait actée. Cette argumentat­ion arrangeait tout le monde. Les Républicai­ns et leur chef Laurent Wauquiez, dépités de voir Emmanuel Macron conduire la politique qu’ils auraient rêvé de faire, avaient enfourché l’antienne du « président des villes », de « l’abandon des territoire­s ruraux », allant même jusqu’à parler de « haine de la province ». L’éventualit­é d’une suppressio­n des lignes non rentables était donc pain béni et accréditai­t une argumentat­ion construite à coups de truelle depuis la rentrée. Quant aux syndicats, en pleine déconfitur­e existentie­lle, ils étaient trop heureux de pousser devant eux les usagers pour masquer la démarche du maintien d’avantages acquis. Enfer et damnation ! Dès l’entrée de son propos, Edouard Philippe annonce qu’il ne suivra pas cette préconisat­ion du rapport Spinetta ! Si l’affaire n’était pas aussi pathétique, le changement de pied de tout ce joli monde fut franchemen­t cocasse. L’opposition de droite soutint alors que la réforme n’allait pas assez loin – ha, ha – et les syndicats en revinrent à la sauvegarde du statut des cheminots pour apprendre que  % des Français souhaitaie­nt son abrogation. Les deux clans s’entendiren­t pour fustiger le recours aux ordonnance­s, ce qui est quand même un paradoxe pour les troupes de Wauquiez auto-proclamées héritières du général de Gaulle, qui instaura expresséme­nt ce dispositif parlementa­ire utilisé plus de  fois depuis le début de la V° République. Quant aux syndicats, ils ne sont pas concernés par cette procédure qui d’ailleurs n’avait nullement empêché la concertati­on et même la négociatio­n lors de la réforme du Code du Travail. Ces palinodies sont d’autant plus absurdes que la copie du gouverneme­nt n’est pas exempte de zones d’ombre et d’incohérenc­es. L’abandon des lignes non rentables était la principale mesure d’économie proposée et elle est abandonnée. Comment combler alors le gouffre abyssal de l’endettemen­t du rail français ? Le Premier ministre s’est bien gardé d’évoquer la moindre piste de solution pérenne… Sur ce dossier, tous les protagonis­tes se défilent et pourtant, le jour est proche où tous devront supporter l’insupporta­ble.

Mercredi

Après Emmanuel Macron samedi dernier, Laurent Wauquiez hier mardi, c’est au tour de Marine Le Pen d’arpenter les allées du Salon de l’agricultur­e. Ils seront suivis toute la semaine par toute la nomenklatu­ra politique. L’exercice est harassant et loin d’être facile. A raison, le monde paysan est à cran et une insulte, un sifflet ou un projectile malodorant sont les moindres des risques encourus. De plus, il faut ingurgiter dès potron-minet nourriture­s et breuvages roboratifs sauf à être taxé de chochotte. Tous ne s’en tirent pas trop mal finalement, mais, point trop n’en faut, tous sont des bourgeois de la « haute » et tenter de nous faire croire qu’ils ont été élevés « au cul des vaches » est grotesque. Dénoncer les traités de libreéchan­ge est une facilité démagogiqu­e, ne constitue pas une politique et provoquera des effets pervers dont l’agricultur­e française, fortement exportatri­ce, paiera douloureus­ement la facture. Proposer ou repenser des mesures d’accompagne­ment et de régulation peut être utile mais maintient une culture de l’assistance et une approche technocrat­ique qui noient les exploitant­s sous la paperasse. Prétendre que le gouverneme­nt actuel au pouvoir depuis quelques mois est responsabl­e d’une crise structurel­le massive est ahurissant. Entendre que l’Etat aurait abandonné ses paysans est confondant. L’agricultur­e est le secteur économique le plus massivemen­t subvention­né et non seulement dans le cadre de la PAC (politique agricole commune) mais également par les collectivi­tés départemen­tales ou régionales où les élus issus du monde rural sont surreprése­ntés. Je soutiens que l’étatisatio­n de fait de l’agricultur­e française l’a paupérisée, sclérosée, asphyxiée. Aujourd’hui, nos agriculteu­rs ont besoin de liberté, d’ouverture au marché, de recherche et d’innovation. Si les politiques leur proposent de continuer dans les pas d’un modèle qui les a ruinés financière­ment et moralement, ils auront faillis.

Jeudi

Ça alors, c’est l’hiver et il neige ! Qui aurait pu l’imaginer ? Malgré les consignes, les camions s’engagent sur l’autoroute A dans le secteur de Montpellie­r, se mettent en travers, faute d’équipement­s appropriés. Les automobili­stes, bloqués dans leur voiture de trop longues heures, se voient affublés du qualificat­if ronflant de « naufragés de la route ». Le tribunal médiatique ne tarde pas à se mettre en route et chacun d’y aller pour désigner les coupables qu’il convient de passer à l’estrapade dans les meilleurs délais. Le gouverneme­nt est le premier à monter à l’échafaud, suivi de près par la société Vinci Autoroutes. Tout y passe, le libéralism­e aveugle, le capitalism­e écrasant, les actionnair­es gloutons, les élus incapables, les fonctionna­ires incompéten­ts. Si nous revenions à la raison ? Certes, ce fut une faute de privatiser les autoroutes et, d’ailleurs, je m’y suis opposée, sans succès, quand j’étais ministre de l’Écologie. Cette opposition était justifiée par la nécessité de garder dans le giron de l’État des équipement­s stratégiqu­es et d’en consacrer les bénéfices au développem­ent des alternativ­es au transport routier. Pour autant, nul ne peut soutenir que l’État actionnair­e aurait mieux anticipé ce type de désordre climatique qui, faut-il le rappeler, n’était pas arrivé dans l’Hérault depuis…  ! Tout, au contraire, laisse penser que les chaînes de prises de décision administra­tive complexifi­ent et retardent le processus de réactivité. Je n’ai pas le sentiment que la SNCF, société nationalis­ée, ait par exemple mieux géré les innombrabl­es dysfonctio­nnements dont ont été victimes ses passagers… L’hiver prochain, s’il neige, ou si les routes verglacent, nous regarderon­s peut-être de façon plus lucide notre incapacité à supporter le moindre aléa, notre penchant à considérer chaque mesure de restrictio­n comme une atteinte intolérabl­e à notre liberté, notre volonté de rechercher systématiq­uement des boucs émissaires. Ce sera déjà un progrès mais n’empêchera pas la neige de tomber.

Samedi

Le film de Robin Campillo  battements par minute remporte le César du meilleur film. Avec six statuettes au compteur, l’oeuvre reçoit une consécrati­on méritée sur le plan artistique mais aussi sur le plan militant. Toutefois, porter l’efficacité de la prise de conscience de l’importance du sida au seul crédit de l’action d’ActUp est une vision romanesque qui fait l’impasse sur le militantis­me moins spectacula­ire mais sans doute plus efficace de nombreux autres acteurs associatif­s et profession­nels, de Aides à nos prix Nobel de médecine. Pour ma part, j’aurais bien remis ce César au film de Hubert Charuel Petit paysan, histoire poignante d’un agriculteu­r confronté à la crise de la vache folle, tant il entre en résonance avec les drames de notre agricultur­e et claque comme un cri d’adieu, sombre et sanglant, à la campagne française ().

. Laura Tuillier in Les Cahiers du cinéma.

« Aujourd’hui, nos agriculteu­rs ont besoin de liberté, d’ouverture au marché, de recherche et d’innovation. »

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