Nice-Matin (Cannes)

Louna,  mois : le récit d’un kidnapping judiciaire

Les parents avaient été accusés en 2012 de maltraitan­ce sur leur fille. Il s’agissait en fait d’une maladie rare provoquant des oedèmes. Ils racontent leur calvaire dans un livre

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE PERRIN Plus jamais sans toi Louna, aux éditions Michel Lafon, 253 pages,

Sabrina et Yoan Bombarde, originaire­s de Lorraine et qui vivent désormais en Isère, ont été accusés à tort de maltraitan­ce et privés de leur fille Louna pendant « presque quatre ans ». Ils viennent de publier un livre, Plus jamais sans toi Louna (1). Yoan Bombarde témoigne.

Comment va Louna ?

Elle s’est très vite intégrée à la famille. C’était une très belle surprise après presque quatre ans de séparation. Sur le plan de la maladie, en revanche, c’est compliqué. Elle a deux perfusions par semaine pour essayer d’arrêter les poussées. Malgré cela, elle continue d’avoir des oedèmes. Elle ne peut pas suivre une scolarité classique et se fatigue très vite.

N’a-t-elle pas refait de crise pendant son placement en famille d’accueil ?

Je pense qu’on nous a caché de très nombreuses crises notamment dans la région abdominale. Des crises très douloureus­es. D’après son carnet de santé, elle n’a pas été prise en charge. Heureuseme­nt, elle n’a pas fait de crise fatale mais cela ajoutait à notre angoisse. La justice était persuadée que notre fille n’était pas atteinte de cette maladie orpheline. Du coup, Louna n’a pas été suivie correcteme­nt.

Rappelez-nous pourquoi les médecins au CHU considèren­t que l’oedème que présente Louana est, selon eux, de la maltraitan­ce?

Quand nous emmenons Louna dans un premier temps au pédiatre, elle est anémiée et souffre d’une pneumonie. Ces éléments ont sans doute déclenché une crise au niveau du visage lors de son transfert. La moitié de son visage était tuméfié: un oedème s’était formé entre la viste du pédiatre et l’arrivée au centre hospitalie­r.

Pourquoi votre avocat n’a-t-il pas tout fait pour obtenir une prise de sang qui aurait pu permettre d’établir que votre fille souffrait d’un angioedème bradykiniq­ue de type ?

Il faut se replacer dans le contexte. Nous étions un très jeune couple. Notre avocat était commis d’office. Et les chefs

‘‘ de service du CHU expliquaie­nt que cette maladie ne pouvait pas se déclarer chez un nourrisson. Dès le début on les a pourtant informés que Sandra souffrait de cette pathologie. Le juge d’instructio­n, les policiers, l’assistante sociale ne sont pas médecins, ils se sont rangés à l’avis des experts.

Vous avez échappé de peu à la détention provisoire ?

Les policiers nous l’ont fait croire jusqu’à la dernière minute et avaient la rage quand ils nous ont vu repartir libre. Le substitut était assez virulent et pourtant nous avons été laissés libres. Nous n’étions même pas soumis à un contrôle judiciaire. C’est une incohérenc­e de plus dans ce dossier alors qu’on nous accusait d’être des bourreaux d’enfant. Finalement, une simple prise de sang débloquera cette situation kafkaïenne. En juillet , nous avons décidé de faire cette prise de sang au CHU de Nancy avec la complicité du professeur qui nous suivait à l’époque. Nous avons appris que Louna et son petit frère Léo étaient atteints de la même pathologie que moi. C’était à la fois un immense soulagemen­t mais aussi la tristesse de savoir que nos enfants avaient la même maladie très invalidant­e que Sabrina.

Qu’avait requis le procureur lors de l’audience du tribunal qui a abouti à votre relaxe ?

Il aurait souhaité une expertise judiciaire et non pas l’expertise que nous avons pris l’initiative d’apporter à l’audience. Cela lui aurait permis de demander une relaxe, non au bénéfice du doute, mais grâce à une preuve irréfutabl­e.

Vous êtes relaxés en juin  mais votre enfant reste placée.

On a dû la récupérer de force en août  parce qu’on ne nous écoutait pas. Quelques jours plus tard, une juge des enfants d’Epinal a prononcé une ordonnance de maintien du placement de l’enfant mais à notre domicile, mesure assortie de contrôles quotidiens des services de la protection de l’enfance.

Parlez-nous de cette maladie orpheline dont souffre votre fille, votre fils, votre épouse et votre belle-mère ?

Il y a   malades en France. La crise se traduit par des gonflement­s en interne comme en externe. Le visage peut être déformé, le ventre ballonné avec une compressio­n à l’intérieur: la douleur est alors insupporta­ble. Un oedème dû à un coup est plein de sang. L’oedème lié à cette maladie est plein d’eau. Il est donc facile de faire la différence.

Où en est la recherche contre cette maladie ?

Les Americains se mettent à travailler sur cette maladie depuis peu en y mettant des moyens. Pour l’instant, un traitement est efficace mais il est très coûteux. C’est un concentré de cette molécule qui manque aux malades. Cet été, il y avait une rupture de stock de cet unique traitement pour faire pression sur la Sécurité sociale et augmenter les tarifs.

A qui en voulez-vous le plus dans cette affaire ?

La police a fait son travail. On sait bien que quarante-huit heures de garde à vue ce n’est pas une colonie de vacances. Ils font leur job pour obtenir des aveux mais il y a une manière de la mener : ma femme a été malade pendant les quarante-huit heures. Ils auraient dû suspendre la garde à vue. Nous n’avons pas été traités comme des êtres humains. Autre anomalie : normalemen­t le signalemen­t pour situation préoccupan­te doit se faire de manière collégiale. Dans notre cas, le signalemen­t est parti de l’intime conviction d’un seul médecin.

Quelle a été l’attitude de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ?

Je ne remets pas en cause le rôle de l’ASE ; en revanche, elle est partie du principe qu’on était dans le déni, qu’on ne voulait pas travailler avec eux. Il a fallu qu’on change de départemen­t, qu’on quitte la Meurthe-etMoselle pour emménager dans les Vosges, pour que la situation évolue. Après quatre ans de douleur, de souffrance, pas un service de l’Etat ne s’était dit qu’il y avait un problème. C’est en changeant de départemen­t qu’on a eu la chance de tomber sur un directeur formidable de l’ASE qui s’est rendu compte qu’il y avait des incohérenc­es dans cette affaire.

Des acteurs de ce dossier vous ont-ils présenté des excuses?

Personne, a cette heure, n’a pris cette initiative.

Quel rôle a joué la médiatisat­ion de votre affaire ?

On a eu un contact avec un journalist­e du quotidien régional L’Est républicai­n un mois avant notre relaxe. L’article a lancé l’affaire. Des éditeurs nous ont démarchés mais voulaient romancer notre histoire. Ma femme et moi voulions témoigner sans manier la langue de bois. Ce n’est pas une vengeance mais on voulait que les noms soient publiés. Les éditions Michel Lafon étaient d’accord. Elles n’ont pas peur de titiller les institutio­ns. Je pense que les lecteurs arrivent à se mettre à notre place.

Parlez-nous des visites de Louna en présence d’un tiers pendant toutes ces années.

Au début c’était une heure par semaine, puis deux heures. C’était très difficile : vous voyez votre enfant évoluer par bribe tout en sentant qu’elle se détache petit à petit de vous. C’était évident surtout quand elle s’est mise à parler. Les rôles étaient inversés entre nous et la nourrice. C’était un sentiment affreux : on sentait que la nourrice lui avait recommandé de nous appeler «papa, maman» mais c’était de plus en plus artificiel. Vous ne profitez pas de ses premiers gazouillis, de ses premiers pas et chaque départ était un vrai déchiremen­t. On redoutait en plus son décès lié à une crise. C’était notre plus grosse crainte puisque la justice ne reconnaiss­ait pas sa maladie.

Allez-vous demander un dédommagem­ent ?

On a déposé en avril des assignatio­ns contre trois experts pour faute de moyens. Une autre action contre le CHU a été lancée en janvier devant le tribunal administra­tif pour erreur de diagnostic et faute de moyens. On sait très bien que dans le meilleur des cas, ce sont quelques dizaines de milliers d’euros qui nous seront versés. On n’est pas aux États-Unis. Mais il est important que l’on nous rende justice.

Vous avez cessé votre métier de DJ. De quoi vivez-vous aujourd’hui ?

Je suis aidant familial , rémunéré par le Départemen­t pour aider ma femme et mes enfants qui sont reconnus handicapés à  %.

Les policiers avaient la rage quand ils nous ont vu repartir libre. ” Personne, à cette heure, nous a présenté ses excuses. ”

 ??  ?? Louna (ici à droite entre les mains de sa maman) « ne peut pas suivre une scolarité classique et se fatigue très vite », déplore son papa. (Photopqr/Le Dauphiné libéré/E. Bouy)
Louna (ici à droite entre les mains de sa maman) « ne peut pas suivre une scolarité classique et se fatigue très vite », déplore son papa. (Photopqr/Le Dauphiné libéré/E. Bouy)

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