Nice-Matin (Cannes)

 : la guerre au large Cap Camarat : deuxième phare de France L’Alose et le Prinz Eugen

Deux cargos français et italiens le Pax et le Togo sont attaqués par un sous-marin allemand U35. Leurs épaves gisent toujours au large de Saint-Tropez et de Cavalaire

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2 mai 1918. Dans six mois la guerre sera finie. Mais personne ne le sait encore. Pour le moment, le monde continue à s’embourber dans l’atrocité et le désespoir. La nuit est tombée. Au large des côtes du Var, entre Cavalaire et SaintTrope­z, un convoi de bateaux s’avance en provenance de Marseille. En première ligne se trouvent deux cargos italiens et un hollandais, le Cartore , le Togo et le Vorsbergen .En deuxième ligne un bateau français, le Pax, et un grec, l’Erissos. Tous transporte­nt des vivres et du matériel vers Nice et le nord de l’Italie. Le cargo grec est chargé, lui, de matériel de guerre pour l’armée de son pays qu’il doit amener au port de Salonique. Ces cinq bateaux sont escortés par trois patrouille­urs français: à l’avant le Serpollet, sur le côté l’Ailly et à l’arrière le Louise-Marguerite. Dans la nuit, seul le faisceau lumineux du phare du Cap Camarat, près de Saint-Tropez, éclaire le convoi à intervalle­s réguliers. C’est déjà trop. Car l’ennemi rode. Depuis quelques jours, un sousmarin allemand UC 35, est arrivé dans ce secteur pour poser des mines sur les fonds marins. Il était basé à Kotor – dans l’actuel Montenegro - et est commandé par l’Oberleutna­nt Hans Paul Korsh.

La cible éclairée par le phare du Cap Camarat

Sur son passage, le 9 mai, il a rencontré au large de Saint-Tropez un vapeur italien, le Deipara. Il l’a torpillé. Huit morts. Trois jours après, en cette nuit du 12 mai, il se trouve vers Le Cap Camarat lorsque passe le convoi. Au moment où le Pax est éclairé par le phare, le UC 35 allemand lance une torpille. Le bruit d’une explosion ébranle la nuit. Une gerbe de feu déchire le ciel. La coque est éventrée à tribord. Le Pax coule en quelques minutes. Le rapport sur l’attaque, rédigé quelques heures plus tard à Villefranc­he-sur-Mer par le lieutenant Marius Bessil, rescapé, est cité dans le livre Épaves de la Grande Guerre de Jean-Pierre Joncheray: «Le 12 mai 1918, à 0 heure, faisant route dans les environs sud Est des Îles du Levant. Le ciel est couvert, la mer est belle, une brise de Sud-Est règne. À 1h55, je me trouve sur la passerelle bâbord et entends distinctem­ent deux S.O.S. brefs paraissant venir de tribord avant. Je préviens instantané­ment le capitaine qui sommeillai­t sur son canapé dans sa chambre située sur l’arrière de la chambre de veille. Aussitôt rendu à tribord, le capitaine ayant reconnu une torpille, commande «bâbord toute» mais quelques secondes après un choc formidable se produit à tribord avant et à quelques mètres sur l’arrière de la hauteur du mât avant. Renversé par le choc, aveuglé et noyé par la trombe d’eau, je m’efforce de gagner la chambre de veille pour donner la position au radiotélég­raphiste, mais je ne trouve pas de lumière. À ce moment j’entends le capitaine qui donne l’ordre d’évacuer le navire. Le navire s’enfonce rapidement, des voix réclament des bouées. À ce moment, j’ai donné une bouée au soutier sénégalais qui se trouvait auprès de moi et me suis senti englouti avec le navire, entraîné par le remous».

Les blessés débarqués à Villefranc­he

Le lieutenant Bessil s’en sortira. Il poursuit son récit - sans renseigner sur le sort du soutier sénégalais: «Après quelques secondes d’angoisse, je parvins, à bout de souffle, à émerger et me cramponner aux débris du radeau avant qui avait dû se briser lors de la chute du mât de misaine. Reposé quelques instants et voyant qu’un radeau Le phare du Cap Camarat à Ramatuelle, dont le faisceau lumineux a imprudemme­nt éclairé le convoi de bateaux de notre récit, se trouve au sud du Cap de Saint-Tropez. Il a été bâti entre  et . Il est, après celui de Vallauris dans les Alpes-Maritimes, le deuxième phare de France par la hauteur de sa source lumineuse : , mètres au-dessus du niveau de la mer. La portée de son rayon lumineux est de  kilomètres. chargé de plusieurs hommes se trouvait à une trentaine de mètres, j’abandonnai l’épave sur laquelle je me trouvais et me rendis sur ce radeau, épuisé de fatigue. Quelques minutes plus tard, nous fûmes à bord du chalutier Louise Marguerite où les premiers soins nous furent donnés. Il était 2 heures.» Le lieutenant Bessil conclut : « Entre le choc et le moment où le navire a complèteme­nt disparu, il s’est écoulé un maximum de deux minutes, ce qui explique que l’équipage, surpris dans son sommeil, n’ait pas eu le temps de faire le sauvetage. Nous sommes arrivés à Villefranc­he à 8 h 30 du matin, où nous avons débarqué deux hommes grièvement blessés qui ont été dirigés immédiatem­ent sur l’hôpital». Sur les trente hommes d’équipage du Pax, quinze sont morts. Aussitôt après l’attaque du Pax ,le convoi est pris de panique. Les bateaux s’éparpillen­t en zigzaguant pour éviter d’être pris pour cible. Les patrouille­urs français de l’escorte essaient de poursuivre le sous-marin allemand. Course sans merci au milieu des flots et de la nuit. Ils perdent rapidement sa trace.

Cap sur la baie de Cavalaire

Pour sa part, le Togo se dirige vers la baie de Cavalaire. Les rivages semblent plus calmes dans ce secteur. Erreur, le sous-marin allemand l’a repéré! Il ne le lâchera plus. Vers 3 heures 30, il lance une torpille. Quelques dizaines de secondes plus tard, le cargo italien est atteint. Même feu d’artifice que pour le Pax, dans la paisible baie de Cavalaire. La côte est ébranlée par le bruit de l’explosion. Le Togo coule. Notre convoi a maintenant perdu deux bateaux. Le UC 35 n’est pas rassasié pour autant. Il reste trois autres navires à attaquer. Il se lance à leur poursuite. Mais ceuxci ont pu gagner entre temps le port de Villefranc­he-sur-Mer. Deux sous-marins ont été coulés dans notre région, de manière volontaire, lors d’exercices de tir de l’Armée française : le Prinz Eugen, prise de guerre des Français, au large de Porqueroll­es le  juin , et l’Alose le  mars  au large de Fréjus. L’épave de ce dernier (photo) a été retrouvée en  par Jean-Pierre Joncheray, renflouée, classée Monument historique, exposée au siège de la Comex à Marseille.

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par un sous-marin allemand en mai , à l’époque du ministère de la marine de Georges Leygues . L’explosion du Togo dessinée par B. Bernadac.
(DR) (Document Jean-Pierre Joncheray) Le Togo et le Depeira ont été coulés au large du Cap Camarat par un sous-marin allemand en mai , à l’époque du ministère de la marine de Georges Leygues . L’explosion du Togo dessinée par B. Bernadac.

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