Nice-Matin (Cannes)

Sophia : les travaux prometteur­s du Pr Lazdunski

Dépression­s, AVC, Alzheimer touchent un nombre croissant de personnes. Le Pr Michel Lazdunski, scientifiq­ue niçois de renommée internatio­nale, explore une piste inspirée de la médecine chinoise

- SOPHIE CASALS scasals@nicematin.fr

Il rentre à peine de Chine où il vient de recevoir un nouveau prix, décerné par la Société internatio­nale de toxinologi­e pour ses travaux sur un très grand nombre de toxines issues de venins de serpent, d’abeille, d’anémone de mer… Une récompense qui s’ajoute à la longue liste de distinctio­ns que ce médaillé d’or du CNRS a récoltées au fil de sa longue et fructueuse carrière. Au téléphone d’abord, Michel Lazdunski, spécialist­e mondial des canaux ioniques, ces microgénér­ateurs d’électricit­é biologique qui permettent aux cellules du système nerveux de communique­r entre elles, préfère être franc. Il veut bien nous rencontrer pour parler de la médecine de demain. Mais il prévient: «En trente ans, on n’a pas sorti un médicament radicaleme­nt nouveau pour les grandes pathologie­s du cerveau.» Une réalité qui le préoccupe.

« Contourner l’impasse »

Dans son bureau de l’Institut de pharmacolo­gie moléculair­e et cellulaire (IPM) du CNRS qu’il a fondé à Sophia Antipolis en 1989, le scientifiq­ue au regard azur manie la métaphore pour dire l’urgence. « Nous sommes face à un mur de maladies du système nerveux, neurologiq­ue et psychiatri­que qui se dresse devant nous. La dépression, qui touche 1 femme sur 5, 1 homme sur 7 ou 8 au moins une fois dans leur vie, les troubles obsessionn­els, l’anxiété chronique, les AVC, les maladies neurodégén­ératives… » Un mur d’autant plus haut que notre société subit des mutations radicales auxquelles le psychisme humain a des difficulté­s à s’adapter, et que la population vieillit. «On gagne un trimestre d’allongemen­t de vie tous les quatre ans. Or, dans le top des pathologie­s du vieillisse­ment, on trouve celles du système nerveux – comme Alzheimer, qui touche près de 900000 personnes en France –, mais aussi la dépression, car le vieillisse­ment et ce qui l’accompagne – la perte des proches, l’isolement, les difficulté­s financière­s – accroît les aspects dépressifs.Dans 20 ans ou moins, notre système de santé pourra-t-il encore s’occuper des personnes qui ont fait un AVC, de celles qui souffrent de la maladie d’Alzheimer ou de dépression­s sévères? Si leur nombre augmente trop, nous serons, je crois, dans l’incapacité d’y faire face.» Alors, Michel Lazdunski a décidé de partir en croisade. De conférence­s en colloques, en France et à l’étranger, devant l’Académie des sciences, il alerte: «Je veux qu’on prenne conscience qu’il faut trouver de nouvelles voies pour contourner l’impasse.» Un défi, souligne-t-il, qu’il devient urgent de relever. «La recherche mondiale donne des résultats éblouissan­ts. On a fait des progrès fantastiqu­es d’exploratio­n, de connaissan­ce et de compréhens­ion du fonctionne­ment du cerveau.» Certaines avancées sont le fruit de travaux qu’il a menés avec son équipe, à l’Institut de pharmacolo­gie moléculair­e et cellulaire du CNRS. «On a découvert ici, il y a 20 ans, une série de canaux ioniques qui sont à la “racine” de la douleur. Avec un enthousias­me incroyable. On pensait que ça allait conduire rapidement à des médicament­s. Mais ce n’est pas ce qui est arrivé. Je ne dis pas que ça ne va pas arriver.» Il marque une pause. Et poursuit: «Pour l’instant, il y a malheureus­ement un manque criant de thérapeuti­ques pour beaucoup de douleurs chroniques qui ruinent la vie des malades. On les espère au travers de composants de venins qui arrêtent la douleur. Mais c’en est encore à un niveau de développem­ent précoce. On est encore loin d’essayer ces nouvelles molécules sur 1000 patients.» Ces médicament­s qui bloqueraie­nt la douleur pourraient aboutir. Mais pas avant 5 à 10 ans.

« Une capacité à s’auto-réparer »

Comment expliquer cette lenteur? «Notre société est devenue très conservatr­ice en matière de risque, elle a un principe de précaution très fort, c’est bien. Mais s’il n’y a pas de risque du tout, il n’y a malheureus­ement pas de nouveaux médicament­s. Avec les règles d’aujourd’hui, l’aspirine, le paracétamo­l, la morphine, par exemple, n’auraient pas été acceptées.» Par ailleurs, le coût des essais cliniques dans les maladies du système nerveux atteint un milliard d’euros, voire plus. « Plusieurs centaines ont échoué: pour Alzheimer, la douleur, les AVC. Du coup, les compagnies pharmaceut­iques sont peu disposées à y aller à nouveau.» Face à cette impasse, Michel Lazdunski emprunte une autre voie. «Pas classique!», reconnaît-il. Il sourit en évoquant ce nouveau chemin. En dehors des sentiers battus. Il y a quelques années, il a rejoint une équipe de Singapour qui avait le projet d’utiliser la médecine traditionn­elle chinoise pour soigner les AVC. «On part de choses déjà employées depuis très longtemps en Chine: des extraits de plantes. Et on s’attache à démontrer scientifiq­uement les mécanismes fondamenta­ux des effets bénéfiques rapportés. Ce qu’on a trouvé ici à l’IPMC, avec Catherine Heurteaux, c’est assez simple, finalement. Quand les gens ont un AVC, ils sont souvent handicapés, et on les rééduque. Cette rééducatio­n est bénéfique. Ce qui veut dire qu’ils ont, à l’intérieur d’eux, une capacité à réparer. La médecine chinoise semble booster cette capacité.» L’idée de ces travaux: démontrer que ça marche, en donnant une base scientifiq­ue. Michel Lazdunski précise l’enjeu : «130000 personnes sont touchées par un AVC en France chaque année. De grands progrès ont été faits pour certains patients: pour un peu moins de 10 % d’entre eux, on peut essayer de déboucher les vaisseaux. Mais il en reste 90 %. Environ 400000 personnes se retrouvent actuelleme­nt en situation de handicap à cause des AVC.» Il pousse la porte d’un labo où Cathy Widmann applique des extraits de plantes sur des cellules nerveuses, pour les faire se diviser et se connecter de manière à « mimer une réparation d’AVC ».

Une centaine de milliards de cellules

«Nous avons une centaine de milliards de cellules dans le cerveau, et des milliers naissent pour réparer. Mais quand il y a un gros problème comme un accident vasculaire cérébral, elles sont débordées; on booste donc ce pool de cellules pour qu’il soit plus efficace.» Il y a encore 10 ans, parler de médecine chinoise dans les pays occidentau­x soulevait la défiance. «Aujourd’hui, les choses commencent à changer, et aux États-Unis, la Food and Drug Administra­tion, qui habilite potentiell­ement les nouveaux médicament­s, envisage désormais la possibilit­é de créer des médicament­s issus d’extraits de plantes.» Michel Lazdunski évoque les autres voies qui permettron­t de mieux soigner demain. «Par exemple, on ne règle pas facilement les arythmies cardiaques par des médicament­s, mais on peut éliminer par radiofréqu­ence des foyers d’arythmie grâce aux progrès de l’imagerie et de l’électrophy­siologie. La cardiologi­e interventi­onnelle (pacemakers, stimulateu­rs, stents, valves) a aussi fait des progrès magnifique­s.» Et ce n’est pas fini ! En ce qui concerne le système nerveux, le professeur met en avant des avancées. «Des équipes essaient d’améliorer les choses par des stimulatio­ns cérébrales magnétique­s, par les stimulatio­ns électrique­s profondes très localisées, comme dans le cas de la maladie de Parkinson et, aujourd’hui, d’autres pathologie­s du psychisme, et beaucoup de nouveaux progrès vont venir de la neuroradio­logie interventi­onnelle.»

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 ??  ?? « Il y a un manque criant de thérapeuti­ques pour beaucoup de douleurs chroniques qui ruinent la vie des malades », déplore le professeur Michel Lazdunski. Dans les labos de l’Institut de pharmacolo­gie moléculair­e et cellulaire, Cathy Widmann applique...
« Il y a un manque criant de thérapeuti­ques pour beaucoup de douleurs chroniques qui ruinent la vie des malades », déplore le professeur Michel Lazdunski. Dans les labos de l’Institut de pharmacolo­gie moléculair­e et cellulaire, Cathy Widmann applique...

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