Ces deux soeurs fabriquent
Cécile et Juliette Munoz-Ruiz, 28 et 30 ans, ont lancé il y a quatre mois «La Canopée», une marque sans aucun produit chimique, qu’elles ont créée de A à Z, chez elles, à Grasse
Elles ont disposé leurs produits sur une grande table, dans un grand salon. Il y en a 26 en tout. Fières, elles disent que c’est « beaucoup pour un lancement ». Quand Juliette commence une phrase, Cécile la termine ou alors c’est l’inverse. Elles proposent des sablés à la fleur d’oranger et de la tisane à l’hibiscus. « Ici c’est la maison familiale », fait Juliette. Et à Grasse, en famille, on vit dans le parfum. Dès l’école primaire, les enfants participent à des concours de nez. Il faut reconnaître les matières premières et les compositions. Lorsqu’ils sont plus grands, il y a «le» concours, celui que « Cécile a fini par gagner », dit Juliette et elles rient toutes les deux.
« Grasse nous a appris à sentir»
Cécile est chimiste. « Petite, elle a essayé de distiller à peu près tout ce qu’il y avait dans le jardin », reprend sa soeur. Elles racontent le « champ de roses de papy », cultivateur de centifolia, l’odeur de la fleur et celle de l’aube parce que c’est à ce moment-là qu’on doit la cueillir. Avant que le supermarché Leclerc ne s’installe de l’autre côté de la rue elle s’appelle toujours « chemin » la maison était entourée de champs. « Grasse nous a appris à sentir. » Cécile dit qu’au lycée, elle rêvait d’être parfumeur - elle ajoute: «comme beaucoup de Grassois qui se cherchent.» Elle part étudier la chimie, à l’université de Nice, puis se spécialise en cosmétique lorsqu’elle intègre une école d’ingénieurs à Lyon. Un jour, elle débarque dans une «industrie de parfum». « Je suis rentrée chez moi et j’ai pleuré toute la soirée. Ce n’est que de la copie, on ne se sert que des robots. On nous dit en gros “ce parfum est sorti ce matin, il faut le refaire, en un peu moins cher” .» Cécile est déçue, elle sait aussi qu’elle n’a pas la patience des maîtres de la discipline, les créateurs qui travaillent jour et nuit au labo comme des musiciens virtuoses leur instrument. « Moi je suis trop passionnée par le produit naturel, aller sentir dehors, extraire, découvrir… Il y a plein de choses qui m’intéressent ». Cécile est revenue à Grasse, elle a travaillé comme formulatrice pour la société de cosmétiques de son père. Un soir, Juliette est rentrée de Paris. « J’en avais marre, j’avais besoin de faire le point. » Elle a fini son master à la Sorbonne, en « design environnemental ». Derrière le nom abstrait, la jeune femme voit une préoccupation concrète: « Chercher des solutions environnementales et sociales pour améliorer le quotidien des gens.» Une soirée passée à refaire le monde et elles ont eu l’idée : créer une gamme de cosmétiques sans aucun produit synthétique, et accessible à tous - « Pourquoi est-ce que ce qui est bon pour nous et notre planète devrait forcément être un produit de niche ? ». Pas question de bricoler un truc qui «colle» avec de la cire d’abeille, les progrès de la chimie verte permettent Elles ont installé leur labo dans l’atelier de leur père, un ancien garage attenant à la maison familiale. Il a fallu acheter une machine neuve, . euros d’acier brillant, des boutons qui clignotent en rouge et vert et des leviers à manoeuvrer un peu partout. Ça vibre et c’est bruyant, « tout au fond de la cuve, il y a un moteur pour les émulsions ». Pédagogue, Cécile explique la chimie pour les nuls : « Une crème est un mélange intime entre une phase aqueuse et une phase huileuse et c’est en les mélangeant très très fort qu’on obtient une émulsion. » La cosmétique traditionnelle est blanche, crémeuse, et son odeur aseptisée. Les deux soeurs aiment les huiles essentielles, les matériaux nobles et bruts, pas transformés. Elles veulent des produits colorés qui sentent l’enfance ou l’ailleurs. En tout cas, le vrai, sans parfum synthétique ajouté. Pour trouver leurs matières premières, elles écument les salons de fournisseurs et certains sont surpris: «Vous êtes sûres que vous ne voulez pas de “raffiné”? » Poudre de charbon, amande amère, buriti, arbre à thé, argile rose, graines de vanille… « Il a fallu rationaliser les achats. Chaque produit compte entre et matières premières, on en a au total », décrit Juliette. aujourd’hui de « challenger l’industrie cosmétique traditionnelle » en terme d’efficacité et de textures : « Il n’y a plus aucune raison de continuer à appliquer des matières synthétiques ou issues de la pétrochimie sur notre visage», jurent-elles. C’était il y a trois ans.