Alain Bauer évoquera les mutations du terrorisme
Invité de l’association des Conférences d’enseignement supérieur de Cannes, le professeur de criminologie évoque les mutations actuelles du terrorisme ce soir à 18 h au théâtre Alexandre-III
Criminologue reconnu, parfois débattu, Alain Bauer a su capter «les oreilles» du Président Nicolas Sarkozy et de Manuel Valls, sur les questions de sécurité et de terrorisme. Auteur de Les guetteurs, (édition Odile Jacob), ce professeur au Conseil national des Arts et Métiers en fera de même avec les auditeurs de l’association des Conférences d’enseignement supérieur à Cannes, ce jeudi. Entre deux rendezvous, nous l’avons également mis « sur écoute », le temps d’une interview express.
Votre conférence s’intitule Terrorisme/ Terrorismes ?
On est passé d’un terrorisme singulier, stable, cohérent, politique, une sorte de diplomatie exercée par d’autres moyens, à quelque chose de multiple et complexe, avec des opérateurs autonomes, des acteurs imprévisibles, qui se défient des deux grandes puissances mondiales. L’État islamique a voulu représenter cette palette inédite et diversificative. C’est une mutation à la fois culturelle et technique. La lutte antiterrorisme a dû intégrer cette évolution, et ça a remis en cause le mode du renseignement.
Le procès de l’affaire Tarnac devant un tribunal correctionnel (et non une cour d’assises) est qualifié de « fiasco pour l’antiterrorisme », alors qu’on n’évoque plus que des dégradations du bien d’autrui et une association de malfaiteurs ?
Comme d’habitude, on commente beaucoup et on analyse peu, alors que ce dossier est complexe, et que les interférences politiques ont perturbé une enquête. Y avait-il des sabotages à l’époque ? La réponse est oui. Les gens poursuivis en sont-ils les auteurs ? On ne sait pas. La procédure a-telle été stable ? La défense a ses arguments. Le tribunal jugera, mais la qualification pénale de terrorisme n’a finalement pas été retenue, le sujet est déjà clos.
Au-delà de ce procès, est-ce qu’une menace terroriste existe, liée à la crise actuelle de notre société, qui ne soit pas forcément islamiste ?
Déjà, le terrorisme est une notion mal définie, même par notre code pénal. Un terroriste, c’est souvent un individu que l’on désigne comme tel, parce qu’il émet des revendications sur un sujet qui nous déplaît, donc il faut être très prudent avec l’usage du mot. Ce n’est pas la même chose de vouloir assassiner Hitler ou un dictateur, que de commettre un attentat sur un marché, avec des victimes innocentes sans aucun lien avec les revendications des auteurs. Ceci dit, des cycles de violences ont toujours existé, commises par des mouvances islamistes, gauchistes, extrémistes, régionalistes, et il faut toujours rester très attentif à l’ensemble des menaces…
Vous dites : « Un bon antiterrorisme, c’est quand l’attentat est empêché ». Qu’en est-il aujourd’hui en France ?
Depuis l’attentat de Nice en juillet , il y a dix fois plus d’opérations préventives, c’est une amélioration qualitative et quantitative de nos services. Mais ce calme précaire ne doit pas se traduire par de la procrastination, en se disant «ça y est, on peut passer à autre chose ». L’État islamique est en recomposition virtuelle, et d’autres opérateurs violents sommeillent. Il y a aujourd’hui un climat, une tentation à la violence.
Il fallait en finir avec l’état d’urgence ?
Il ne s’est rien passé depuis. L’urgence, c’est une durée brève et intense, et cet état n’avait que trop duré. D’autant plus que la nouvelle législation a permis d’autoriser des mesures particulières sans s’appuyer sur l’état d’urgence. Le gouvernement a opté pour une solution intermédiaire, mais je regrette qu’elle soit insuffisamment contrôlée par un pouvoir judiciaire. L’État a tort d’avoir peur du juge…
Et Mohamed Merah, on aurait pu l’éviter?
C’est toujours facile de le dire après. Aujourd’hui, % des attentats fomentés n’ont pas lieu en raison soit de l’amateurisme idiot des opérateurs, soit de l’efficacité de nos services. % aura toujours lieu, en raison de la spontanéité absolue de certains actes, auxquels on ne peut rien. Les retours d’enquête montrent aussi que dans environ % des cas, on aurait pu empêcher un passage à l’acte.
D’où la nécessité de recruter de bons analystes au Renseignement ?
Le processus est engagé depuis -. Mais la réforme du Renseignement a été conceptualisée par Michel Rocard en , il a fallu vingt ans pour que l’idée arrive jusqu’aux oreilles du Président Sarkozy qui l’a mis en branle, et encore dix ans pour qu’elle soit effective.
Nos interventions militaires à l’étranger. Efficaces ou à double tranchant ?
Au Mali, il s’agit de sauver un pays en train de tomber. On peut discuter de notre intervention en Libye, mais Il fallait aussi sauver Benghazi. Après, comment éviter la déstabilisation du pays, comme en Irak et en Afghanistan pour les Américains ? Il y a toujours débat après coup. Mais vous savez, les terroristes n’ont pas besoin d’excuse pour commettre un attentat.
Comment gérer les djihadistes français revenant de Syrie ?
Ils ne reviennent pas tant que ça, certains sont partis faire le djihad ailleurs. Il y a les femmes et enfants, à traiter de manière paritaire car certaines femmes sont de véritables dures à cuire. Pour les enfants, c’est plus compliqué, on est un peu démunis. Comme pour une grande épidémie, on crée une zone de quarantaine et on trie, avec une analyse au cas par cas. Ce qui m’inquiète le plus, ce ne sont pas les entrants, mais les sortants ! D’ici , cinquante combattants islamistes doivent sortir de prison.
La déradicalisation, possible ?
La déradicalisation, ça ne veut pas dire grand-chose. Mais comme des criminels, certains opérateurs terroristes peuvent décider d’arrêter, pour telle ou telle raison.
À Nice, on teste la présence d’un policier non armé dans une école. Antiterrorisme ?
Oh, je ne suis pas sûr que ce brave homme puisse faire face tout seul à une kalachnikov. Mais le terrorisme, c’est la violence et la communication, et l’antiterrorisme, c’est la police et la communication. Il faut aussi rassurer les gens, même si l’action antiterroriste véritable, c’est celle qui ne se voit pas, et que l’on n’explique pas.
‘‘une Il y a un climat, tentation à la violence ”
Les terroristes n’ont pas besoin d’excuse ”