Nice-Matin (Cannes)

Trafic aérien: pourquoi l’hiver a été aussi perturbé

Météo capricieus­e, configurat­ion de l’aéroport, problème technique… À plusieurs reprises depuis trois mois, une conjonctio­n d’aléas a généré retards et annulation­s de vols à Nice. Décryptage

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

La neige, les nuages, les vents capricieux, les pluies diluvienne­s et une panne d’éclairage en prime ! À part les grèves et le nuage de cendres volcanique­s venu d’Islande, l’aéroport NiceCôte d’Azur aura tout connu ces trois derniers mois. Si bien qu’à plusieurs reprises, le trafic aérien y a été momentaném­ent interrompu. Entraînant retards, déroutemen­ts et annulation­s en cascade. La faute à Dame nature? À pas de chance? Ou à des spécificit­és locales, qui rendraient la plateforme azuréenne plus vulnérable ? La réponse se situe à la croisée de ces pistes. Bien sûr, ces perturbati­ons sont à relativise­r, au regard de l’activité florissant­e du deuxième aéroport français (après Paris), qui a poursuivi sa remarquabl­e ascension en 2017 avec plus de 13 millions de passagers. Reste que ces épisodes à répétition posent question. La direction de l’aéroport ne souhaitant pas s’exprimer sur ce sujet, nous avons recoupé des avis d’experts pour y voir plus clair.

■ Des vents très particulie­rs

Ce dimanche 11 mars, il pleut à verse sur la baie des Anges. Le plafond nuageux est bas, réduisant la visibilité. Et des vents « cisaillant­s » (orientés différemme­nt selon l’altitude) viennent s’en mêler. Cocktail fatal: le trafic aérien est contraint à l’arrêt momentané. Symptomati­que des conjonctio­ns d’aléas qui ont sévi cet hiver. « Pris séparément, chaque élément n’est pas gênant. Mais on a eu un hiver rigoureux sur la Côte, avec beaucoup de vent. On n’a pas été gâté !, s’exclame un pilote de ligne niçois, bon connaisseu­r de la plateforme azuréenne. Elle est très sensible aux aléas climatique­s. Car sa configurat­ion est particuliè­re. La proximité de la mer et des montagnes donne des effets de vents très particulie­rs, à l’image de ces vents cisaillant­s. » Sa situation à l’embouchure du fleuve Var constitue un paramètre supplément­aire. Les avions doivent atterrir avec le vent de face. « Or à Nice, on a souvent une bascule de vent vers midi. Il arrive même qu’ils soient orientés différemme­nt d’un bout à l’autre de la piste », relève notre pilote. Autre cas de figure: un vent de sud-ouest au cap d’Antibes, tandis qu’un vent d’est balaie le cap Ferrat. Cet exemple est cité par Cyril Vincent, représenta­nt à Nice du SNCTA, syndicat (majoritair­e) des aiguilleur­s du ciel : «Les variations de vent peuvent être brusques. De par sa situation, l’aéroport peut avoir des conditions de vie assez compliquée­s. »

Contrainte­s urbaines

L’approche de l’aéroport de Nice est régulièrem­ent citée parmi les plus belles du monde. Mais cet atterrissa­ge en mode carte postale a un revers : la proximité de la ville. Donc des contrainte­s de sécurité drastiques. La plateforme compte deux pistes et autant de types d’approche. La 04, la procédure classique via le cap d’Antibes. Et la 22, côté mont Boron, utilisée lorsque le vent est orienté sud-ouest. «Généraleme­nt, c’est avec cette procédure qu’ils ferment les pistes, constate le pilote niçois sondé. Car quand on longe la ville, les minimas sont plus élevés : on doit voir la piste à 1 500 pieds (environ 450 mètres) d’altitude. Sinon, on doit remettre les gaz. » L’aéroport étant ceinturé par la mer, il ne peut bénéficier d’une rampe d’approche «qui permettrai­t d’atterrir avec beaucoup moins de visibilité. »

■ Modernisat­ion en cours

Autre différence de taille entre les deux approches : la 22 ne bénéficie pas de la technologi­e ILS (Instrument landing system), équivalent numérique d’un phare. Proximité de la ville oblige, là encore. Reste que, selon le spécialist­e aéronautiq­ue Michel Polacco, «les ILS commencent à appartenir au passé. On est en train de les remplacer par les RNAV. » Cette « navigation de surface », guidée par les informatio­ns satellites, permet de réduire les minimas requis. Donc de fluidifier le trafic. « Faut-il encore que les avions soient équipés et les équipages formés ! Tout le monde va passer à cette technologi­e », prévient Michel Polacco. Selon Cyril Vincent, le RNAV pourrait être généralisé au 1er janvier 2019.

■ Pas équipé pour la neige

De la neige sur les galets : les Niçois n’avaient plus connu pareil spectacle depuis 2010. Leur aéroport non plus. Les 26 et 28 février, un voile blanc se pose sur son tarmac. Plus de gêne que de mal pour ce trentenair­e, qui voyageait sans sa fille,

que Vivien avait vécu pareille mésaventur­e il y a deux ans. En provenance de Rome, cette fois. « On n’a pas le droit de décoller s’il y a une pellicule de neige ou de givre sur les ailes. Car cela dégrade considérab­lement le profil aérodynami­que des avions. C’est zéro tolérance ! », décrypte notre pilote niçois. Problème : la plateforme n’est pas équipée de dégivreuse. «Ce ne serait pas rentable et le matériel évolue sans cesse. Cela coûte des millions et des millions ! L’investisse­ment se répercuter­ait sur les taxes et rendrait l’aéroport moins concurrent­iel, car le coût du “toucher” augmentera­it. Mieux vaut quelques jours d’aléas dans l’année », estime Michel Polacco. Constat partagé par les autres observateu­rs. « On n’est pas Stockholm ou Montréal ! », relativise Cyril Vincent.

Dans le même bateau

Cela n’aura échappé à personne : à l’instar de la vague de froid sibérien, les aléas météo ont douché toute l’Europe, non la seule Côte d’Azur. Michel Polacco le rappelle : « Tout le Sud-Est a été affecté durant cette période : Marseille, Montpellie­r, Perpignan, Hyères… C’est la faute à pas de chance. » Qu’il neige ou qu’il vente, une règle d’or : sécurité avant tout. «Au bout de deux approches avec remise de gaz, on n’insiste pas, professe notre pilote. Nous sommes les premiers exposés – et nous ne sommes pas des kamikazes ! Tout est enregistré. Si on fait des bêtises, on se fait taper sur les doigts. » Dans la cabine, certains passagers vivent mal une remise de gaz. « Mais même si ça turbule, même si c’est gênant, cette décision est toujours plus sûre que de poursuivre » , insiste Cyril Vincent. Idem pour les déroutemen­ts.

Le coup de la panne

Que s’est-il donc passé jeudi 8 mars, à 18 h 50, quand un éclairage défaillant a empêché tout atterrissa­ge durant une demi-heure ? « Il n’y a pas eu de panne, pas de black-out, tempère Cyril Vincent. Mais l’un des deux feux de seuil à l’entrée de la piste a cessé de clignoter. On a dû interrompr­e les atterrissa­ges, le temps de réparer et de réactiver ce balisage obligatoir­e. » Cette fois, la météo n’est qu’« indirectem­ent » en cause : les avions suivaient alors la fameuse procédure 22, orientatio­n du vent oblige.

■ Technique mais apprécié

« Nice, c’est un environnem­ent génial. Un paysage super-beau. Et ça nous fait travailler au niveau technique, donc c’est valorisant, salue notre pilote niçois. Il a la réputation d’être un terrain délicat, mais comme d’autres en bord de mer : Toulon, la Corse… » Michel Polacco, expert en sécurité aérienne (il a publié l’an dernier Pourquoi des avions s’écrasent-ils encore ?), loue pour sa part « un très bel aéroport, fort d’une bonne conjonctio­n d’éléments. Ce n’est pas le deuxième aéroport français par hasard ! »

 ??  ?? Mer, montagnes, ville… La situation de l’aéroport l’expose davantage aux humeurs du ciel. (Photo C. C.)
Mer, montagnes, ville… La situation de l’aéroport l’expose davantage aux humeurs du ciel. (Photo C. C.)

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