Trafic aérien: pourquoi l’hiver a été aussi perturbé
Météo capricieuse, configuration de l’aéroport, problème technique… À plusieurs reprises depuis trois mois, une conjonction d’aléas a généré retards et annulations de vols à Nice. Décryptage
La neige, les nuages, les vents capricieux, les pluies diluviennes et une panne d’éclairage en prime ! À part les grèves et le nuage de cendres volcaniques venu d’Islande, l’aéroport NiceCôte d’Azur aura tout connu ces trois derniers mois. Si bien qu’à plusieurs reprises, le trafic aérien y a été momentanément interrompu. Entraînant retards, déroutements et annulations en cascade. La faute à Dame nature? À pas de chance? Ou à des spécificités locales, qui rendraient la plateforme azuréenne plus vulnérable ? La réponse se situe à la croisée de ces pistes. Bien sûr, ces perturbations sont à relativiser, au regard de l’activité florissante du deuxième aéroport français (après Paris), qui a poursuivi sa remarquable ascension en 2017 avec plus de 13 millions de passagers. Reste que ces épisodes à répétition posent question. La direction de l’aéroport ne souhaitant pas s’exprimer sur ce sujet, nous avons recoupé des avis d’experts pour y voir plus clair.
■ Des vents très particuliers
Ce dimanche 11 mars, il pleut à verse sur la baie des Anges. Le plafond nuageux est bas, réduisant la visibilité. Et des vents « cisaillants » (orientés différemment selon l’altitude) viennent s’en mêler. Cocktail fatal: le trafic aérien est contraint à l’arrêt momentané. Symptomatique des conjonctions d’aléas qui ont sévi cet hiver. « Pris séparément, chaque élément n’est pas gênant. Mais on a eu un hiver rigoureux sur la Côte, avec beaucoup de vent. On n’a pas été gâté !, s’exclame un pilote de ligne niçois, bon connaisseur de la plateforme azuréenne. Elle est très sensible aux aléas climatiques. Car sa configuration est particulière. La proximité de la mer et des montagnes donne des effets de vents très particuliers, à l’image de ces vents cisaillants. » Sa situation à l’embouchure du fleuve Var constitue un paramètre supplémentaire. Les avions doivent atterrir avec le vent de face. « Or à Nice, on a souvent une bascule de vent vers midi. Il arrive même qu’ils soient orientés différemment d’un bout à l’autre de la piste », relève notre pilote. Autre cas de figure: un vent de sud-ouest au cap d’Antibes, tandis qu’un vent d’est balaie le cap Ferrat. Cet exemple est cité par Cyril Vincent, représentant à Nice du SNCTA, syndicat (majoritaire) des aiguilleurs du ciel : «Les variations de vent peuvent être brusques. De par sa situation, l’aéroport peut avoir des conditions de vie assez compliquées. »
Contraintes urbaines
L’approche de l’aéroport de Nice est régulièrement citée parmi les plus belles du monde. Mais cet atterrissage en mode carte postale a un revers : la proximité de la ville. Donc des contraintes de sécurité drastiques. La plateforme compte deux pistes et autant de types d’approche. La 04, la procédure classique via le cap d’Antibes. Et la 22, côté mont Boron, utilisée lorsque le vent est orienté sud-ouest. «Généralement, c’est avec cette procédure qu’ils ferment les pistes, constate le pilote niçois sondé. Car quand on longe la ville, les minimas sont plus élevés : on doit voir la piste à 1 500 pieds (environ 450 mètres) d’altitude. Sinon, on doit remettre les gaz. » L’aéroport étant ceinturé par la mer, il ne peut bénéficier d’une rampe d’approche «qui permettrait d’atterrir avec beaucoup moins de visibilité. »
■ Modernisation en cours
Autre différence de taille entre les deux approches : la 22 ne bénéficie pas de la technologie ILS (Instrument landing system), équivalent numérique d’un phare. Proximité de la ville oblige, là encore. Reste que, selon le spécialiste aéronautique Michel Polacco, «les ILS commencent à appartenir au passé. On est en train de les remplacer par les RNAV. » Cette « navigation de surface », guidée par les informations satellites, permet de réduire les minimas requis. Donc de fluidifier le trafic. « Faut-il encore que les avions soient équipés et les équipages formés ! Tout le monde va passer à cette technologie », prévient Michel Polacco. Selon Cyril Vincent, le RNAV pourrait être généralisé au 1er janvier 2019.
■ Pas équipé pour la neige
De la neige sur les galets : les Niçois n’avaient plus connu pareil spectacle depuis 2010. Leur aéroport non plus. Les 26 et 28 février, un voile blanc se pose sur son tarmac. Plus de gêne que de mal pour ce trentenaire, qui voyageait sans sa fille,
que Vivien avait vécu pareille mésaventure il y a deux ans. En provenance de Rome, cette fois. « On n’a pas le droit de décoller s’il y a une pellicule de neige ou de givre sur les ailes. Car cela dégrade considérablement le profil aérodynamique des avions. C’est zéro tolérance ! », décrypte notre pilote niçois. Problème : la plateforme n’est pas équipée de dégivreuse. «Ce ne serait pas rentable et le matériel évolue sans cesse. Cela coûte des millions et des millions ! L’investissement se répercuterait sur les taxes et rendrait l’aéroport moins concurrentiel, car le coût du “toucher” augmenterait. Mieux vaut quelques jours d’aléas dans l’année », estime Michel Polacco. Constat partagé par les autres observateurs. « On n’est pas Stockholm ou Montréal ! », relativise Cyril Vincent.
Dans le même bateau
Cela n’aura échappé à personne : à l’instar de la vague de froid sibérien, les aléas météo ont douché toute l’Europe, non la seule Côte d’Azur. Michel Polacco le rappelle : « Tout le Sud-Est a été affecté durant cette période : Marseille, Montpellier, Perpignan, Hyères… C’est la faute à pas de chance. » Qu’il neige ou qu’il vente, une règle d’or : sécurité avant tout. «Au bout de deux approches avec remise de gaz, on n’insiste pas, professe notre pilote. Nous sommes les premiers exposés – et nous ne sommes pas des kamikazes ! Tout est enregistré. Si on fait des bêtises, on se fait taper sur les doigts. » Dans la cabine, certains passagers vivent mal une remise de gaz. « Mais même si ça turbule, même si c’est gênant, cette décision est toujours plus sûre que de poursuivre » , insiste Cyril Vincent. Idem pour les déroutements.
Le coup de la panne
Que s’est-il donc passé jeudi 8 mars, à 18 h 50, quand un éclairage défaillant a empêché tout atterrissage durant une demi-heure ? « Il n’y a pas eu de panne, pas de black-out, tempère Cyril Vincent. Mais l’un des deux feux de seuil à l’entrée de la piste a cessé de clignoter. On a dû interrompre les atterrissages, le temps de réparer et de réactiver ce balisage obligatoire. » Cette fois, la météo n’est qu’« indirectement » en cause : les avions suivaient alors la fameuse procédure 22, orientation du vent oblige.
■ Technique mais apprécié
« Nice, c’est un environnement génial. Un paysage super-beau. Et ça nous fait travailler au niveau technique, donc c’est valorisant, salue notre pilote niçois. Il a la réputation d’être un terrain délicat, mais comme d’autres en bord de mer : Toulon, la Corse… » Michel Polacco, expert en sécurité aérienne (il a publié l’an dernier Pourquoi des avions s’écrasent-ils encore ?), loue pour sa part « un très bel aéroport, fort d’une bonne conjonction d’éléments. Ce n’est pas le deuxième aéroport français par hasard ! »