Le «papy-krach»
« La dépendance affectera 2,4 millions de retraités en 2060. »
L’affaire est quasiment entendue. La France ne descendra pas en masse dans la rue pour défendre un statut des cheminots hérité d’un autre âge. Pas davantage, sans doute, pour dénoncer une ouverture à la concurrence ferroviaire déjà amorcée et inéluctable, même si ses bienfaits supposés resteront à démontrer à l’usage. Pour le gouvernement, le danger est ailleurs. Il pourrait venir de ces lycéens inquiets de l’instauration d’une sélection feutrée à l’université, qui, objectivement, va pourtant dans leur intérêt. Mais on aura beau célébrer d’ici peu le cinquantième anniversaire de mai , le mythe contestataire a désormais du plomb dans l’aile. En fait, la principale poudrière sociale menace de s’attiser au coin du feu de ceux qui sont a priori les moins enclins à manifester bruyamment leur colère : nos chers « vieux». La baisse de revenus qui frappe une majorité d’entre eux est d’autant plus mal perçue que la longévité galopante, longtemps exaltée comme un miracle, est aujourd’hui tempérée par les aléas du grand âge et la perspective d’une
perte d’autonomie
qui effraie parents et enfants. D’ici à , les plus de ans, soit le seuil très théorique de la dépendance, bondiront de , à millions dans l’Hexagone. Et ladite dépendance affectera , millions de retraités en , contre , million actuellement. Les dépenses de prise en charge devront en bonne logique augmenter d’autant, et bien plus encore, à la mesure d’une situation déjà explosive. Les chiffres sont presque doux, au regard des témoignages à répétition de conditions tendues, scandaleuses parfois, où l’humanité débordante de soignants en sous-effectifs ne suffit plus à masquer nos indignités dans l’accompagnement de la vieillesse. En la matière, les engagements de campagne de Sarkozy puis Hollande n’ont été suivis que d’effets dilatoires. La dépendance a fait l’objet de mesurettes, quand la toute fin de vie et le mariage pour tous, sujets certes importants mais plus marginaux, ont été pris à bras-le-corps. Pour avoir trop longtemps pratiqué la politique de l’autruche, nous voici en butte à l’urgence. Si nous vivons bien dans la société civilisée dont nous nous enorgueillissons tant, il va falloir mettre enfin le paquet. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a promis pour fin mars « une stratégie globale » sur la dépendance. Quelles que soient les pistes retenues, elles auront un coût. Assurance dépendance obligatoire, augmentation des droits de succession pour alimenter une cagnotte dédiée ? La potion s’annonce aussi amère qu’indispensable pour éviter au papy-boom de virer au « papy-krach », selon la formule de Bernard Spitz.