Jacques Toubon: «Tenir bon sur les principes»
Le Défenseur des droits interviendra aujourd’hui à Toulon, parrain du 3e Salon livres justice et droit. Inlassable, de pied ferme, il répond sur l’actualité. Pourfendeur de la realpolitik
Il se méfie de ce qu’on « fait dire à l’opinion publique », cite méticuleusement les textes de loi, comme les sources de toute chose publique. Jacques Toubon est Défenseur des droits jusqu’au bout de la voix. La sienne, il la porte «là où est la demande sociale », de la lutte contre les discriminations, à la verte critique de la politique migratoire française. Et assure qu’il a toujours été de ce côté-là, tout au long de sa carrière politique, plutôt un libéral (socialement), qu’un conservateur, avec «une opinion sur l’humanité qui est extrêmement ouverte ». De l’identité française, il rappelle qu’elle a été « fabriquée – c’est le mot qu’emploient les historiens – fabriquée notamment par l’apport des immigrés ». Le droit du sol en a découlé, au XIXe siècle. Celui-là même qui pourrait être remis en question aujourd’hui à Mayotte. Jacques Toubon répond sur tous les sujets – forcément sensibles. Avant de débattre aujourd’hui à Toulon de « La justice des mineurs, entre citoyenneté, éducation, religion, laxisme et répression » – un autre grand chantier.
Dans les Alpes-Maritimes, la préfecture a été condamnée pour des expulsions de mineurs migrants. Qu’en pensez-vous ?
On connaît quelques points en France, où pour des raisons géographiques évidentes, les situations peuvent aller jusqu’au contentieux – comme dans les Alpes-Maritimes. Deux questions se posent. L’une technique, juridique: que peut-on faire ou ne pas faire, conformément à la loi ? Prendre des mineurs d’un côté de la gare et les mettre de l’autre côté, si j’ose dire, sans autre forme de procès, c’est illégal. Mais il y a aussi une position qui repose sur un principe plus général : les mineurs étrangers doivent être considérés comme des mineurs. Et secondairement comme des étrangers. Je ne le dis pas parce que c’est mon opinion, c’est l’application des conventions internationales des droits de l’enfant.
Cette position fondée sur le droit vous semble-t-elle aller à contrecourant de l’opinion publique en France ?
Je ne crois pas que cette position soit à contre-courant en ce qui concerne les mineurs en France. Je n’ai vu aucun sondage, dans lequel on dirait qu’il faut les traiter comme tout le monde. Je pense qu’il faut faire attention à ce qu’on fait dire à l’opinion publique sur ces sujets. Pour nous, le principe est que ces mineurs soient traités comme des mineurs et pas comme des étrangers. C’est-à-dire, dans la filière de protection sociale de l’enfance, par les départements, et non par le ministère de l’Intérieur.
Même s’ils sont considérés fondamentaux, ces droits sont âprement discutés.
Est-ce qu’on considère que tout est relatif, toutes les valeurs, tous les droits, tous les principes. Qu’il n’y a rien d’absolu, et qu’on peut tordre tout ça, en fonction de ce qu’on appelle, un terme très pompeux, « le principe de réalité » ? Le principe de réalité, ça veut dire « je fais ce que je peux, en fonction des sous dont je dispose et selon ce qui paraît être la pente majoritaire de ceux dont je brigue les suffrages ». C’est ça le principe de réalité. À partir de là naturellement, on peut aller dans la remise en cause de tout !
Comme celle du droit d’asile ?
Je prends le discours de gens éminents qui disent : « Ah oui ! Le droit d’asile a été mis en place dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale. Tout ça n’est plus de mode. Aujourd’hui, en , avec les mouvements de migration, les conflits, on doit réfléchir à adapter, restreindre le droit d’asile. » Là, on est en plein dans la négation de principes sur lesquels on a décidé de tenir. On connaît ce genre d’opinion, ce genre de discours que je qualifierais de relativiste, ou de realpolitik. Si vous faîtes ça, c’est la mise en cause de droits qui sont ceux de l’humanité tout entière.
Le gouvernement fait-il fausse route quand il se questionne sur le maintien du droit du sol à la maternité de Mayotte ?
Pour le Défenseur des droits, c’est évident. Parce que si vous remettez en cause le droit du sol à Mayotte, un département français, vous mettez le doigt dans une évolution – et pourquoi pas dans le Finistère, ou dans les Alpes-Maritimes ? Nous avons assumé une responsabilité historique, en acceptant de traiter la question selon le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les Mahorais se sont autodéterminés en département. Aujourd’hui, il faut assumer ce choix, c’est un morceau de la République, au milieu de l’océan Indien. Ce serait un retour en arrière de ne pas considérer Mayotte comme un département comme les autres.
Les avis du Défenseur des droits ont-ils des effets concrets ? C’est un rôle de vigie, par exemple dans un contexte sécuritaire où il est difficile de donner la priorité au droit. Quand le Défenseur dit des choses sur les contrôles d’identité discriminatoires et qu’en fin de course, cinq ans après les faits, la Cour de cassation vient dire exactement ce que nous avions écrit sur le caractère discriminatoire de certains contrôles d’identité – et que la responsabilité de l’État est engagée –, c’est clair, nous avons fait avancer les choses. Et forcément, le ministère de l’Intérieur, la police nationale et la gendarmerie nationale ne peuvent plus agir dans le même cadre, compte tenu de cette jurisprudence.
Votre parcours politique peut sembler éloigné de votre mission actuelle. Qu’est-ce qui vous y aurait préparé ?
J’ai été député ans. J’ai toujours été attentif à ces questions de droits de l’Homme. J’ai toujours été de ceux qui ont défendu la position d’une cloison étanche avec le Front national. Dans mon parcours d’élu local, j’ai été maire du e arrondissement de Paris. Il y a là le monde entier, une grande diversité ethnique, religieuse, sociale… C’est une expérience qui m’a énormément marqué et m’a donné une opinion sur l’humanité, qui est extrêmement ouverte, parce que j’ai toujours bien vu qu’il n’y avait pas de différence intrinsèque entre les Humains. Leur couleur était différente, leur taille, mais ils jouissaient tous des mêmes droits. L’identité française est multiple et pas essentialiste, ni renfermée sur des générations de personnes toutes nées sur le plateau du Massif central. C’est la raison du principe du droit du sol, qui est constitutif de la manière dont la nation française a été fabriquée depuis ans. e Faculté de droit, campus de Toulon, de 10 h à 19 h, entrée libre et gratuite, jusqu’à demain. Aujourd’hui : 9 h 30, table ronde Les mineurs et la justice, en présence de Jacques Toubon et 18 h 30, grand entretien avec Jacques Toubon, parrain du salon.