Algie vasculaire de la face: la «success story» niçoise
Le traitement de cette pathologie de la famille de la migraine a connu depuis vingt ans des évolutions majeures auxquelles Nice a largement contribué
L’oeil qui pleure, le nez qui coule, la sensation de coups de poignard dans l’oeil… L’Algie vasculaire de la face (AVF) est considérée comme une des douleurs les plus violentes qui soit. Centre de référence en France pour cette maladie rare et de cause inconnue, le CHU de Nice explore depuis plus de 20 ans toutes les pistes thérapeutiques. « Les malades, souvent des hommes jeunes et actifs, décrivent des douleurs atroces, localisées au niveau de l’orbite, et qui persistent de 15 minutes à 3 heures. Chez la plupart d’entre eux, ces crises se manifestent de façon épisodique, à la même période de l’année ; elles se répètent une à plusieurs fois par jour pendant plusieurs semaines. 20 % des malades souffrent, eux souffrent, d’une forme chronique; les crises sont permanentes ou avec des périodes de rémission inférieures à un mois », informe le Pr Denys Fontaine, neurochirurgien au CHU de Nice (1). À la disposition de ces malades, deux types de traitements. « Pour essayer d’arrêter la crise, les patients peuvent s’auto-injecter des médicaments spécifiques, des triptans, en sous-cutanée, et inhaler de l’oxygène à haut débit. » Pour les formes chroniques, un traitement de fond est indispensable. Il repose sur le verapamil (un antihypertenseur utilisé à des doses 4 fois plus élevées chez les malades qui souffrent d’AVF) et le lithium. « Malheureusement, ces traitements exposent les patients à des effets indésirables importants et il est fréquent que les malades chroniques développent une résistance à ces traitements de fond, ce qui les met dans des situations épouvantables. Certains sont victimes de 8 à 12 crises par jour…» Pas question d’abandonner à leur sort ces malades, poussés parfois à commettre le pire pour échapper à leurs douleurs atroces. Depuis les années 2000, la chirurgie a ouvert des voies thérapeutiques nouvelles pour ces patients, que le Pr Fontaine et le Dr Lantéri-Minet (chef du département d’évaluation et traitement de la douleur) ont été parmi les premiers en France, et même en Europe, à explorer. «À cette époque a été mis en évidence, grâce au PETScan, un endroit du cerveau, très profond, situé en arrière de l’hypothalamus, générateur des crises. Une équipe milanaise a eu alors l’idée d’utiliser la technique de stimulation cérébrale profonde (SCP) déjà indiquée dans le traitement de la maladie de Parkinson, pour inhiber ce générateur.» Dès 2005, des patients souffrant d’AVF ont bénéficié de cette nouvelle approche, avec de bons résultats. « Les Azuréens ont représenté un tiers des 11 patients traités en France entre 2005 et 2007. Chez 7 d’entre eux, l’amélioration a été spectaculaire, avec une diminution de moitié de la fréquence des crises. »
1. Dans le cadre de la Journée spéciale Santé du CHU de Nice organisée à l’occasion de la Semaine du cerveau, le Pr Denys Fontaine et le Dr Lanteri-Minet ont proposé hier au public une conférence consacrée à cette affection.
Les progrès permis par la SCP se sont malheureusement heurtés assez vite à l’apparition de complications graves chez quelques patients opérés à travers la planète. « Des équipes ont décrit des hémorragies intracérébrales, ce qui nous a conduits à rechercher des alternatives à cette technique opératoire », commente le Pr Fontaine. Et, de façon totalement empirique, des scientifiques ont découvert qu’une technique utilisée pour traiter la névralgie occipitale, une affection également responsable de maux de tête terriblement douloureux, était très efficace contre l’algie vasculaire de la face. « Beaucoup moins invasive que la SCP, cette technique de neuromodulation consiste à implanter dans le haut de la nuque deux électrodes sous-cutanées. Ces électrodes sont reliées par des fils sous-cutanés à un neuro-stimulateur sous-cutané implanté dans la région abdominale et commandé par le malade; il peut grâce à une télécommande augmenter la stimulation, la diminuer voire éteindre le dispositif.» Une fois en fonctionnement, la stimulation occipitale agit comme un traitement de fond de l’AVF.
Nice, observatoire national
Très vite, les spécialistes niçois ont inclu cette approche dans l’arsenal thérapeutique. Et ils ont même choisi d’aller plus loin. « Plutôt que de travailler isolément, nous avons décidé d’établir un registre national des malades traités par neuromodulation en France. Nous avons colligé quelque 105 cas – soit un nombre très élevé pour une maladie considérée comme rare – et pu ainsi établir que ce traitement marchait de manière remarquable, avec 50 % d’excellents répondeurs : la fréquence de leurs crises diminue de 90 %. Ces patients évoquent une amélioration de 100 % de leur qualité de vie. » En dépit de sensations permanentes de fourmillements à l’arrière de la tête. « Beaucoup finissent par les oublier. Certains patients sont néanmoins gênés pour s’endormir et coupent la stimulation. D’autres, nombreux, ont peur que des crises ne surgissent et laissent le dispositif allumé toute la nuit. » Des effets indésirables qui restent dans tous les cas parfaitement supportables, pour des malades qui ont souffert, pendant des années parfois, de douleurs insupportables. « Plus contrariant, il demeure 20 % de patients qui répondent peu à la stimulation occipitale, et 30 % qui ne répondent pas du tout à cette technique, sans qu’on sache pourquoi ces patients sont réfractaires. » D’autres placements des électrodes ont été envisagés pour ces patients, notamment au niveau de l’orbite, mais, mal tolérés, ils ont été abandonnés. « Aujourd’hui la stimulation occipitale reste une des solutions les plus performantes. Et son efficacité pourrait être encore améliorée : on utilise en effet jusqu’à présent du matériel non spécifique, habituellement indiqué pour la stimulation médullaire (dans la moelle), précise le Pr Fontaine. Or, la société Medtronic vient d’obtenir un marquage CE pour de nouvelles électrodes spécifiquement dédiées à la stimulation occipitale. Ce marquage a été conditionné au niveau européen à l’appartenance à l’observatoire que nous avons mis en place à Nice. » Un vrai motif de fierté pour les équipes niçoises, reconnues officiellement par les instances européennes et internationales comme parmi les plus expertes dans le traitement de l’AVF.
Des avancées pour les traitements des crises
Si la prise en charge chirurgicale des formes chroniques progresse, des avancées sont aussi à noter dans le traitement des crises. « De façon encore empirique, il a été mis en évidence par des équipes américaines une implication du ganglion sphéno-palatin (faisceau nerveux situé derrière la
racine du nez, Ndlr) dans les crises, et plus précisément dans les signes végétatifs: larmoiements, écoulement nasal, rougeurs de la face. À partir de cette observation, un petit dispositif (un stimulateur) a été mis au point. Implanté à demeure en arrière du sinus maxillaire, ce système fonctionne comme un traitement de la crise ; lorsqu’elle démarre, le patient peut activer le stimulateur en posant contre sa joue un émetteur magnétique, pendant 3
à 5 minutes Nous avons participé aux premières études qui ont permis de confirmer l’efficacité de ce dispositif. Aujourd’hui, il est commercialisé en Allemagne et en Europe du Nord; 150 à 200 malades en ont déjà bénéficié.» Jusqu’à présent, les patients français ont dû ronger – dans la douleur – leur frein, le dispositif n’étant pas commercialisé – ni remboursé – sur notre territoire. Une excellente nouvelle : « Nous sommes heureux d’avoir participé à obtenir un “forfait innovation” par la Haute autorité de santé qui va permettre le remboursement de ce dispositif médical, dont 50 à 60 patients en France devraient pouvoir bénéficier dans les six prochains mois.» De quoi rendre le sourire à des personnes que la fréquentation avec la pire des douleurs a fait perdre depuis longtemps.
Un implant remboursé