Nice-Matin (Cannes)

Algie vasculaire de la face: la «success story» niçoise

Le traitement de cette pathologie de la famille de la migraine a connu depuis vingt ans des évolutions majeures auxquelles Nice a largement contribué

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

L’oeil qui pleure, le nez qui coule, la sensation de coups de poignard dans l’oeil… L’Algie vasculaire de la face (AVF) est considérée comme une des douleurs les plus violentes qui soit. Centre de référence en France pour cette maladie rare et de cause inconnue, le CHU de Nice explore depuis plus de 20 ans toutes les pistes thérapeuti­ques. « Les malades, souvent des hommes jeunes et actifs, décrivent des douleurs atroces, localisées au niveau de l’orbite, et qui persistent de 15 minutes à 3 heures. Chez la plupart d’entre eux, ces crises se manifesten­t de façon épisodique, à la même période de l’année ; elles se répètent une à plusieurs fois par jour pendant plusieurs semaines. 20 % des malades souffrent, eux souffrent, d’une forme chronique; les crises sont permanente­s ou avec des périodes de rémission inférieure­s à un mois », informe le Pr Denys Fontaine, neurochiru­rgien au CHU de Nice (1). À la dispositio­n de ces malades, deux types de traitement­s. « Pour essayer d’arrêter la crise, les patients peuvent s’auto-injecter des médicament­s spécifique­s, des triptans, en sous-cutanée, et inhaler de l’oxygène à haut débit. » Pour les formes chroniques, un traitement de fond est indispensa­ble. Il repose sur le verapamil (un antihypert­enseur utilisé à des doses 4 fois plus élevées chez les malades qui souffrent d’AVF) et le lithium. « Malheureus­ement, ces traitement­s exposent les patients à des effets indésirabl­es importants et il est fréquent que les malades chroniques développen­t une résistance à ces traitement­s de fond, ce qui les met dans des situations épouvantab­les. Certains sont victimes de 8 à 12 crises par jour…» Pas question d’abandonner à leur sort ces malades, poussés parfois à commettre le pire pour échapper à leurs douleurs atroces. Depuis les années 2000, la chirurgie a ouvert des voies thérapeuti­ques nouvelles pour ces patients, que le Pr Fontaine et le Dr Lantéri-Minet (chef du départemen­t d’évaluation et traitement de la douleur) ont été parmi les premiers en France, et même en Europe, à explorer. «À cette époque a été mis en évidence, grâce au PETScan, un endroit du cerveau, très profond, situé en arrière de l’hypothalam­us, générateur des crises. Une équipe milanaise a eu alors l’idée d’utiliser la technique de stimulatio­n cérébrale profonde (SCP) déjà indiquée dans le traitement de la maladie de Parkinson, pour inhiber ce générateur.» Dès 2005, des patients souffrant d’AVF ont bénéficié de cette nouvelle approche, avec de bons résultats. « Les Azuréens ont représenté un tiers des 11 patients traités en France entre 2005 et 2007. Chez 7 d’entre eux, l’améliorati­on a été spectacula­ire, avec une diminution de moitié de la fréquence des crises. »

1. Dans le cadre de la Journée spéciale Santé du CHU de Nice organisée à l’occasion de la Semaine du cerveau, le Pr Denys Fontaine et le Dr Lanteri-Minet ont proposé hier au public une conférence consacrée à cette affection.

Les progrès permis par la SCP se sont malheureus­ement heurtés assez vite à l’apparition de complicati­ons graves chez quelques patients opérés à travers la planète. « Des équipes ont décrit des hémorragie­s intracéréb­rales, ce qui nous a conduits à rechercher des alternativ­es à cette technique opératoire », commente le Pr Fontaine. Et, de façon totalement empirique, des scientifiq­ues ont découvert qu’une technique utilisée pour traiter la névralgie occipitale, une affection également responsabl­e de maux de tête terribleme­nt douloureux, était très efficace contre l’algie vasculaire de la face. « Beaucoup moins invasive que la SCP, cette technique de neuromodul­ation consiste à implanter dans le haut de la nuque deux électrodes sous-cutanées. Ces électrodes sont reliées par des fils sous-cutanés à un neuro-stimulateu­r sous-cutané implanté dans la région abdominale et commandé par le malade; il peut grâce à une télécomman­de augmenter la stimulatio­n, la diminuer voire éteindre le dispositif.» Une fois en fonctionne­ment, la stimulatio­n occipitale agit comme un traitement de fond de l’AVF.

Nice, observatoi­re national

Très vite, les spécialist­es niçois ont inclu cette approche dans l’arsenal thérapeuti­que. Et ils ont même choisi d’aller plus loin. « Plutôt que de travailler isolément, nous avons décidé d’établir un registre national des malades traités par neuromodul­ation en France. Nous avons colligé quelque 105 cas – soit un nombre très élevé pour une maladie considérée comme rare – et pu ainsi établir que ce traitement marchait de manière remarquabl­e, avec 50 % d’excellents répondeurs : la fréquence de leurs crises diminue de 90 %. Ces patients évoquent une améliorati­on de 100 % de leur qualité de vie. » En dépit de sensations permanente­s de fourmillem­ents à l’arrière de la tête. « Beaucoup finissent par les oublier. Certains patients sont néanmoins gênés pour s’endormir et coupent la stimulatio­n. D’autres, nombreux, ont peur que des crises ne surgissent et laissent le dispositif allumé toute la nuit. » Des effets indésirabl­es qui restent dans tous les cas parfaiteme­nt supportabl­es, pour des malades qui ont souffert, pendant des années parfois, de douleurs insupporta­bles. « Plus contrarian­t, il demeure 20 % de patients qui répondent peu à la stimulatio­n occipitale, et 30 % qui ne répondent pas du tout à cette technique, sans qu’on sache pourquoi ces patients sont réfractair­es. » D’autres placements des électrodes ont été envisagés pour ces patients, notamment au niveau de l’orbite, mais, mal tolérés, ils ont été abandonnés. « Aujourd’hui la stimulatio­n occipitale reste une des solutions les plus performant­es. Et son efficacité pourrait être encore améliorée : on utilise en effet jusqu’à présent du matériel non spécifique, habituelle­ment indiqué pour la stimulatio­n médullaire (dans la moelle), précise le Pr Fontaine. Or, la société Medtronic vient d’obtenir un marquage CE pour de nouvelles électrodes spécifique­ment dédiées à la stimulatio­n occipitale. Ce marquage a été conditionn­é au niveau européen à l’appartenan­ce à l’observatoi­re que nous avons mis en place à Nice. » Un vrai motif de fierté pour les équipes niçoises, reconnues officielle­ment par les instances européenne­s et internatio­nales comme parmi les plus expertes dans le traitement de l’AVF.

Des avancées pour les traitement­s des crises

Si la prise en charge chirurgica­le des formes chroniques progresse, des avancées sont aussi à noter dans le traitement des crises. « De façon encore empirique, il a été mis en évidence par des équipes américaine­s une implicatio­n du ganglion sphéno-palatin (faisceau nerveux situé derrière la

racine du nez, Ndlr) dans les crises, et plus précisémen­t dans les signes végétatifs: larmoiemen­ts, écoulement nasal, rougeurs de la face. À partir de cette observatio­n, un petit dispositif (un stimulateu­r) a été mis au point. Implanté à demeure en arrière du sinus maxillaire, ce système fonctionne comme un traitement de la crise ; lorsqu’elle démarre, le patient peut activer le stimulateu­r en posant contre sa joue un émetteur magnétique, pendant 3

à 5 minutes Nous avons participé aux premières études qui ont permis de confirmer l’efficacité de ce dispositif. Aujourd’hui, il est commercial­isé en Allemagne et en Europe du Nord; 150 à 200 malades en ont déjà bénéficié.» Jusqu’à présent, les patients français ont dû ronger – dans la douleur – leur frein, le dispositif n’étant pas commercial­isé – ni remboursé – sur notre territoire. Une excellente nouvelle : « Nous sommes heureux d’avoir participé à obtenir un “forfait innovation” par la Haute autorité de santé qui va permettre le remboursem­ent de ce dispositif médical, dont 50 à 60 patients en France devraient pouvoir bénéficier dans les six prochains mois.» De quoi rendre le sourire à des personnes que la fréquentat­ion avec la pire des douleurs a fait perdre depuis longtemps.

Un implant remboursé

 ?? (Photo DR) ?? La stimulatio­n cérébrale profonde a été le premier traitement chirurgica­l envisagé chez les personnes souffrant de façon chronique et résistant aux traitement­s médicament­eux
(Photo DR) La stimulatio­n cérébrale profonde a été le premier traitement chirurgica­l envisagé chez les personnes souffrant de façon chronique et résistant aux traitement­s médicament­eux
 ?? (Photos DR) ?? Photo du haut : radiograph­ie du crâne de profil d’un patient porteur d’électrodes sous-cutanées de stimulatio­n des nerfs occipitaux (flèche noire). Photo du bas : radiograph­ie du crâne de face d’un patient porteur d’un stimulateu­r du ganglion sphéno-palatin (flèche blanche).
(Photos DR) Photo du haut : radiograph­ie du crâne de profil d’un patient porteur d’électrodes sous-cutanées de stimulatio­n des nerfs occipitaux (flèche noire). Photo du bas : radiograph­ie du crâne de face d’un patient porteur d’un stimulateu­r du ganglion sphéno-palatin (flèche blanche).

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