Nice-Matin (Cannes)

Pourquoi les avocats sont-ils en colère?

Près de cent avocats du barreau de Grasse ont manifesté hier sur les marches du TGI pour s’opposer au décret de concentrat­ion des contentieu­x au sein d’un seul tribunal par départemen­t

- RECUEILLIS PAR THOMAS PEYROT

Tous debout, unis comme un seul homme. En rang serré hier matin sur les marches du parvis de tribunal de grande instance de Grasse. Un mur noir de colère de presque cent robes d’avocats pour faire front commun contre le texte déposé le même jour au Conseil d’État par le gouverneme­nt. Contre un projet de loi de programmat­ion pour la justice visant à rationalis­er, simplifier et moderniser le service au justiciabl­e. Mais qui, selon nombre de magistrats, risque fort «d’éloigner encore davantage le juge du citoyen… Et par la même occasion d’écarter l’avocat au profit d’opérateurs privés», comme l’explique Me Roland Rodriguez, bâtonnier de l’ordre du barreau de Grasse où pas moins de 630 avocats sont inscrits à ce jour. Il était hier avec ses confrères devant le Palais de justice de l’avenue Pierre-Sémard. Sans détours, il met en garde contre les dangers de ce projet de loi qui risque de dévitalise­r le TGI grassois par simple décret, sans concertati­on.

Pourquoi cette manifestat­ion si le gouverneme­nt a finalement renoncé à instituer la départemen­talisation automatiqu­e des juridictio­ns

de première instance ? Il n’y a pas de fermeture de juridictio­n : très bien ! Sauf que le texte proposé aujourd’hui au Conseil d’État prévoit, de fait, expresséme­nt et par simple décret, qu’un tribunal de grande instance au sein de chaque départemen­t soit désigné comme la juridictio­n qui traitera exclusivem­ent d’un certain nombre de contentieu­x.

Quels sont les contentieu­x en question ?

La liste des contentieu­x visés cette concentrat­ion au sein d’un seul tribunal par départemen­t n’est justement pas encore arrêtée. Elle le sera également par décret ! Donc, notre crainte d’une dévitalisa­tion du TGI de Grasse est toujours une réalité.

Quelles seraient les conséquenc­es pour les justiciabl­es?

Les avocats sont des profession­nels libéraux, capables de s’adapter à la société. Mais si vous avez une migration des lieux de justice et donc une migration des profession­nels de justice, vous n’aurez plus à proximité de chez vous, dans l’ouest du départemen­t, les services susceptibl­es de régler vos litiges.

Un exemple de mesure qui pourrait être préjudicia­ble pour le justiciabl­e ?

L’une est symptomati­que. Elle concerne les « injonction­s de payer », qui permettent, dans le cadre de petites créances, un titre exécutoire rapidement. Elles sont actuelleme­nt traitées par les tribunaux d’instance, près de chez vous. Eh bien, est envisagée une procédure nationale avec une juridictio­n nationale totalement, dématérial­isée… Même si je suis favorable à la dématérial­isation pour faciliter la vie, fluidifier les échanges, etc. Mais lorsque vous n’avez plus de juge à côté de chez vous, ce qui, à terme va arriver, la justice sera totalement déshumanis­ée!

Quelle est, selon vous, la volonté réelle derrière ce projet de loi ?

L’objectif affiché c’est de faire autant avec moins… Mais en réalité, on veut faire faire moins avec moins… C’est-à-dire que si le justiciabl­e ne pouvait, à un moment donné, ne plus saisir le juge, je pense que cela conviendra­it parfaiteme­nt aux pouvoirs publics. À terme, c’est cela l’idée, puisqu’on vous dit dans ce texte : « On va vous imposer la tentative de conciliati­on avant toute saisine de juridictio­n ». Et les conciliati­ons ne seront pas confiées à un service public de la justice, mais à des opérateurs privés. Et même des plateforme­s numériques ! Tout cela n’a rien à voir avec la modernisat­ion de la justice. C’est purement économique. La France est e sur  pays en Europe pour le nombre de magistrats par habitant.

Vous allez rester mobilisés ?

Le barreau de Grasse a déjà voté le principe d’une mobilisati­on démonstrat­ive pour la journée du  mars, à l’appel de nombreux syndicats de magistrats contre ce projet de loi.

 ??  ?? Pendant près d’une heure, hier matin, une centaine d’avocats du barreau de Grasse ont manifesté contre le projet de loi de programmat­ion pour la Justice. Le bâtonnier Roland Rodriguez (en médaillon, à droite) a prononcé un discours pour détailler les...
Pendant près d’une heure, hier matin, une centaine d’avocats du barreau de Grasse ont manifesté contre le projet de loi de programmat­ion pour la Justice. Le bâtonnier Roland Rodriguez (en médaillon, à droite) a prononcé un discours pour détailler les...
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France