Nice-Matin (Cannes)

Jean-Pierre Adams : le combat d’une vie

Ex-footballeu­r de l’OGC Nice et de l’équipe de France, Jean-Pierre Adams,  ans, est dans un état végétatif depuis le  mars  à la suite d’une opération bénigne. Son épouse Bernadette raconte le combat d’une vie.

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Jean-Pierre et Bernadette Adams vivent à Caissargue­s, banlieue sage de Nîmes. Comme un signe, ils habitent une belle maison à deux pas du stade de foot. Mais lui n’entend plus le bruit des hommes et les rires des enfants. Il est entre deux mondes depuis  ans. Depuis une banale opération qui a tourné au tragique et l’a plongé dans un état végétatif permanent. Jean-Pierre Adams a eu  ans, le  mars. Mais le temps semble s’être arrêté sur son visage qui n’a pas changé depuis l’époque où il portait le maillot de l’OGC Nice. Pas une ride ne vient creuser sa peau ébène. Seuls quelques petits cheveux blancs rappellent que les années passent quand tout paraît figé. Couché, la tête légèrement penchée, il a les yeux mi-clos. Tout en douceur, son épouse évoque notre venue, lui parle de Nice. « Chéri, tu te rappelles ? » souffle-t-elle en lui caressant le front. « Jean-Pierre, c’est une force de la nature anéantie », nous dira-t-elle en baissant la radio. « Il adorait la musique, je déteste le silence. Et quand il y a du foot, je lui mets la télé.» Puis, elle nous racontera. La vie. La vie anesthésié­e. La vie brisée. La mort qui rôde. Derrière les maux, le courage et l’amour d’une femme pour un homme qui est là, mais qui est loin.

Comment est Jean-Pierre aujourd’hui ?

Il y a beaucoup de vent, donc il n’est pas bien. Il est réactif à tout ce qui se passe à l’extérieur. Il est un peu perturbé. Il tousse, il éternue.

Racontez-nous ses journées ?

Il se réveille vers  heures. Je lui prépare son petitdéjeu­ner. Puis, il est lavé, rasé, habillé. Il ne reste jamais seul. Quand je ne suis pas là, il y a une aide soignante. Le kiné vient deux fois par jour. Il lui bouge les bras, les jambes. Et pratique aussi un peu de kinésithér­apie respiratoi­re. Et puis, il y a les repas qu’il prend sur sa chaise.

Il se nourrit comment ?

Il mange bien. Tout est mixé. On fait trois paniers de légumes vapeur par semaine. Au dernier moment, je rajoute de la viande, du poisson

ou des oeufs. Je lui donne à manger à la cuillère. Les gestes, il ne les a pas. Il pèse  kilos. Il en faisait  de plus quand il jouait au foot.

Est-ce qu’il nous entend ? Pensez-vous qu’il est avec vous, avec nous ?

C’est difficile à dire. Quand quelqu’un qu’il n’a pas entendu depuis longtemps vient le voir, il remue les mâchoires. Ce mouvement, il ne le fait jamais. Sauf dans ce cas précis. Pourquoi ? A-t-il reconnu la voix ? Personne ne peut l’expliquer. Moi, je l’interprète. Mais peut-être que je me fais des films… J’ai tellement envie d’y croire.

Vous croyez qu’un jour, il se réveillera...

Oui. Même si parfois, je l’espère plus que je ne le crois. Ça dépend des jours. Il y a des jours où je n’ai plus le moral, ou je suis épuisée. Ça fait  ans maintenant...

Beaucoup de gens pensent qu’il est dans le coma, branché, maintenu en vie par une machine...

Son opération a eu lieu le  mars . Deux mois plus tard, quand il est parti en rééducatio­n dans un

‘‘ établissem­ent de Sainte-Foyl’Argentière, il n’était déjà plus branché. Il avait juste une trachéotom­ie. On ne parlait plus de coma, mais d’état végétatif. Quand il ne dort pas, il a les yeux ouverts. Dans le vague, mais ouverts.

Depuis quand est-il à vos côtés ?

Je l’ai récupéré à la maison le  juin . Nous habitions Chalon-surSaône. Je n’oublierai jamais cette date, elle correspond à un courrier de la Sécurité Sociale. La lettre lui était adressée : « Monsieur Jean-Pierre Adams, à partir du  juin , vous ne serez plus pris en charge en milieu hospitalie­r. » Ça veut dire quoi ? Démerde-toi ! Vasoùtuveu­x?J’aidit: il n’ira nulle part, il rentre à la maison. Et deux ans plus tard, nous sommes arrivés à Nîmes.

Que répondez-vous à ceux qui parlent d’acharnemen­t thérapeuti­que ?

J’entends ces inepties. Pourquoi s’acharner, pourquoi ci, pourquoi ça. Et moi, je fais quoi ? Je ne le nourris plus ? Je le laisse mourir de faim. Non, je regrette, il n’a pas demandé à être dans cet état. On l’a mis dans cet état. Le corps médical l’a mis dans cet état.

La colère est toujours là ?

Vous pensez qu’il n’y a pas de quoi être révoltée ? Tous les jours je suis en colère. Si les médecins avaient été conscienci­eux, ce ne serait jamais arrivé. La colère n’est pas passée. Pire : plus ça va, plus elle grandit.

Donc, vous n’avez jamais eu de choix à faire...

Est-ce qu’on m’a un jour posé la question de le laisser partir ? Jamais ! Personne ne m’a dit : est-ce que vous voulez qu’on le débranche ? La seule chose qu’un docteur m’a confiée à l’hôpital c’est : ‘’Le temps travaille pour lui’’. Ça veut dire quoi ? Rien si ce n’est que ça donne des raisons d’espérer. Je le sais : tout le monde parle, donne son avis, juge, me juge. Que les gens se renseignen­t avant de parler.

Et si vous aviez eu ce choix ?

Je ne sais pas. J’ignore quelle aurait été ma réaction à ce moment-là. Mais je n’ai jamais eu le choix.

Revenons à l’opération, le  mars ...

Ce jour-là, l’hôpital Édouard-Herriot à Lyon était en grève. Jean-Pierre ne devait pas être opéré du ménisque comme on l’entend souvent, mais du biceps crural, un muscle entre la cuisse et le genou, qui était sectionné. Bref, il n’y avait aucune urgence. Pourtant, malgré le manque de personnel dû à la grève, l’interventi­on a été maintenue. L’anesthésis­te, une femme, a endormi huit patients à la file. Quand ils sont remontés du bloc, quatre ont été surveillés par un médecin. Les quatre autres, dont Jean-Pierre, étaient sous la responsabi­lité d’un stagiaire. Tout est précisé. Lui seul a dit au tribunal : “Je n’ai pas été à la hauteur de la tâche qu’on m’a confiée’’. Car c’est là, dans cette salle, que tout s’est noué.

Ce n’est donc pas qu’une erreur d’anesthésie ?

Pas seulement. Même si on peut se poser des questions sur le dosage. Après l’opération, on l’a mis sur le ventre. À l’époque, il n’y avait pas de table anatomique. Le stagiaire avait mis des coussins pour le caler. Il perd un coussin. On lui remet mal. Il s’étouffe. Comprime ses poumons. Là, c’est l’enchaîneme­nt fatal. Bronchospa­sme, arrêt respiratoi­re, arrêt cardiaque.… L’hôpital a même appelé les pompiers pour le réanimer. En vain.

Vous avez attaqué l’hôpital ?

Bien sûr. Pourtant, mon avocat m’a très vite dit : “Attaquer un hôpital ? Je ne vous cache pas que ce sera long et douloureux. Nous allons affronter du lourd. Je ne sais pas si nous irons au bout. Et si nous gagnerons.’’ Je n’ai pas hésité une minute : j’ai dit on le fait ! Il est allé à l’hôpital par le train, sur ses deux jambes et on me le rend dans cet état.

Ce fut le début d’un long combat juridique...

Un combat qui a duré  ans alors qu’il aurait dû être réglé en  minutes. Ils attendaien­t quoi ? Que je baisse les bras. Que je renonce. Pas question de laisser tomber. Ce jour-là n’arrivera pas. Personne, en face, ne s’est excusé. Le chirurgien, qui était

Est-ce qu’on m’a posé la question de le laisser partir ? Jamais ! ”

connu pour s’occuper des joueurs lyonnais, a pris des nouvelles au début, puis plus rien. L’anesthésis­te, elle, a osé dire à la barre que Jean-Pierre était peutêtre dopé. “Comme il était footballeu­r, on peut se poser la question’’ a-t-elle affirmé. Si j’avais pu lui sauter dessus, je l’aurais fait. Entendre ça ! Elle a eu un mois de prison avec sursis et  francs d’amende. C’est peu payé pour une vie brisée.

Mais vous avez gagné...

Au bout de  ans. L’hôpital a été jugé responsabl­e et aujourd’hui, nous vivons grâce à une indemnité mensuelle. Le jour où Jean-Pierre disparaît, je n’ai plus rien.

Le monde du football vous a-t-il aidé ?

Heureuseme­nt que j’ai eu le foot. La Ligue, la Fédé, les internatio­naux français sont venus à mon secours. Henri Emile et René Charrier ont toujours été là pour nous. Tout comme Jacques Vendroux et le Variétés Club de France. Quand Jean-Pierre a eu cet accident, je n’avais plus un sou. On venait d’acheter un magasin de sport à Chalon. Le monde du foot m’a soutenu financière­ment. Ses dirigeants m’ont trouvé un avocat, Maître Appietto, qui a fait bouger les choses.

Depuis  ans, votre vie est entre parenthèse­s ?

Oui. Mon fils aîné dit que je suis une sainte. Bernadette : c’est peut-être le prénom qui veut ça… Mais c’est vrai. Je mène un combat. Je suis en mission. Si je n’avais pas fait ce que j’ai fait, il serait devenu quoi ? Il ne serait plus là. C’est une certitude. Il fallait voir dans quel état je l’ai récupéré à SainteFoy-l’Argentière. C’était immonde. Inhumain. Le pauvre avait des escarres partout. Je l’ai même fait opérer d’une fesse. Comment peut-on laisser un homme dans cet état !

Parlez-nous de vos enfants...

Nous avons deux fils. Pour eux aussi ça n’a pas été facile. Je n’aurais pas voulu qu’ils vivent ça. Mais vous savez, on n’en a jamais trop parlé. L’aîné, Laurent, a  ans. Il travaille pour Intersport­s à Calvi. Frédéric, lui, a  ans. Il est agent technique à l’hôpital de Nîmes. Il a une formation d’électricie­n. Nous avons quatre petitsenfa­nts. Luca  ans, Lenny  ans, Noah  ans et Mila  ans. Ils viennent, tous. La petite monte sur le lit. Elle l’embrasse. Le prend par le cou. Lui dit “Mon papy’’... Jean-Pierre adorait les gamins. Et c’était réciproque. A Chalon, son objectif était de s’occuper des jeunes. Il ne voulait pas entraîner les pros. C’est quand il a passé ses diplômes de coach à Dijon qu’il s’est blessé. Il aurait pu vivre avec. Il n’a pas voulu...

Êtes-vous croyante ?

Souvent ma foi vacille. Je me dis : “S’il y a un bon dieu : pourquoi ?’’ Lui n’a jamais fait de mal à personne. Jean-Pierre était très croyant. Sa grand-mère l’emmenait dans les pèlerinage­s. Petit, il a même eu droit aux bras du pape Pie XII. Il a aussi été enfant de choeur. Dans sa famille, ils sont très croyants. Sa mère vit toujours à Dakar. Elle a  ans. Quand sa soeur vient du Sénégal, pour le voir, elle ne rate jamais la messe du dimanche.

Les prières n’ont pas été exaucées...

Non. On a tout essayé, au début, je l’ai même emmené à Lourdes. Par le train en plein mois de juillet. Là-bas, je ne m’en occupais pas. Il était pris en charge du matin au soir. Il y avait des médecins, des religieux. Ils le baignaient dans des piscines. J’avais peur. Il ne s’est jamais si bien porté ou presque. Une fois, ils l’ont sorti en plein orage. Il n’a rien attrapé. Même pas un rhume. Mais il n’y a pas eu de miracle.

Vous avez tout tenté...

Ma mère a même appelé un guérisseur. Il est venu le voir  ou  fois. Il ne m’a jamais demandé un centime. Il disait : “Ce sera long, mais il s’en sortira. Il reviendra.’’ Pas mal de charlatans m’ont aussi fait des propositio­ns : “Vous me donnez  francs par semaine, moi je vous le sors de là !’’ Je ne suis pas tombée de la dernière pluie.

Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?

A un bal à Montargis. J’avais  ans, lui tout juste  ans. J’habitais chez mes parents à Gien, dans le Loiret. Au départ, ma mère ne voulait pas entendre parler de cette union à cause de sa couleur de peau. Un noir ? Non ! J’ai dit : ‘’C’est lui et personne d’autre’’. Après, ma mère l’adorait. Il comptait plus que moi.

Que faisait-il à Montargis ?

Il avait  ans quand il a quitté Dakar pour la France avec sa grand-mère. Elle l’a laissé dans un pensionnat religieux à Montargis, puis il a été adopté. Son but : c’était le foot. Il débordait de vie et d’envie. Nîmes, Nice, Paris, Mulhouse sont les étapes de son parcours profession­nel. Où avezvous été le plus heureux ? On a été heureux partout. Moi, j’étais bien du moment que j’étais avec lui. Jean-Pierre était joyeux. Il aimait rire, sortir. Avec lui, la vie était une fête.

Vos souvenirs de Nice ?

A Nice, on habitait un dernier étage avenue de la Lanterne avec une vue féerique. On y était bien. Après, on a acheté une maison à Villeneuve-Loubet.

Ses anciens coéquipier­s prennent-ils des nouvelles ?

Au début, ils ont été présents. Puis, le temps nous a éloignés de tout le monde. Le téléphone ne sonne plus. Personne ne tape à la porte.

Vous leur en voulez ?

Non. Mais je le regrette et je ne comprends pas ceux qui se cachent derrière le fameux argument : “Je préfère garder l’image d’avant’’.

Marius Trésor n’est jamais venu ?

Jamais. Si ça avait été le contraire, Jean-Pierre aurait été là pour Marius. Je sais que Michel Platini a demandé des nouvelles récemment. Je ne force personne à le voir. Ce n’est pas un spectacle. Mais il est beau. Il n’a pas changé, ou presque. Qu’ils viennent voir leur ami !

Lors de ses  ans, les médias ont reparlé de votre mari...

Ça me fait plaisir de voir qu’on ne l’oublie pas.

Votre ultime volonté ?

J’ai peur de partir avant lui. Qui s’en occupera ? Je ne veux pas que mes enfants aient cette charge. Ils assumeront. Ils aiment leur père. Mais c’est à moi de le faire, pas à eux.

On a tout essayé. Je l’ai même emmené à Lourdes ”

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Bernardett­e Adams dans leur maison de Caissargue­s. Textes : Philippe CAMPS

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