Savez-vous reconnaître les «fake news» ?
Alors que l’État s’apprête à légiférer sur les « fake news » en période électorale, en ce jour de poisson d’avril, gros plan sur un phénomène qui a dépassé la blague potache, pour entrer au tribunal...
F« ake news ». Un bien vilain anglicisme pour définir la manipulation de l’information. En ce dimanche, la pratique devrait être reine alors que prospèrent les poissons d’avril auxquels mordent, avec toujours autant d’incrédulité, tatas, mamies et autres proches que l’on aime faire marcher. Sauf que ces « fausses nouvelles », propagées sur le Net depuis quelques années, en prenant une ampleur exponentielle, ont fini par devenir une affaire d’État. Au point de voir le gouvernement légiférer sur la question dans les prochaines semaines (lire par ailleurs).
Le sens critique de chacun en question
Finance, sciences, terrorisme, catastrophes naturelles... Selon une récente étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT), il a été prouvé que les usagers de Twitter ont une propension à les faire circuler six fois plus vite que les autres informations. Une autre étude américaine révèle que 82 % des collégiens ne font pas la distinction entre une publicité étiquetée « contenu sponsorisé» et une information réelle sur un site web. Revient-il pour autant à l’État de démêler le vrai du faux ? De nombreuses voix s’élèvent déjà contre cette loi portée par la majorité, un peu trop rogneuse de libertés à leur goût...
Péché originel
Pendant ce temps, même le pape François s’en mêle, en arguant que ces fausses nouvelles servent « l’oeuvre du Malin »... Voilà en tout cas qui attesterait la version comme quoi la « fake news » remonte au péché originel d’Adam et Eve. Après tout, en se présentant sous les traits d’un serpent pour persuader Eve de manger le fruit défendu, et en lui assurant que la pomme lui apporterait la connaissance du bien et du mal, Satan n’a-t-il pas fourni de mauvaises informations à Eve... Qui a dit poisson d’avril ?
En 2015, après des années d’interdiction suscitant quelques débats internes, la direction des rédactions de Var-matin autorise de nouveau les journalistes à sacrifier à l’historique tradition des poissons d’avril journalistiques. Grand amateur du genre, et donc enthousiaste, je décide en une seconde de m’y coller concernant l’édition de Brignoles. L’exercice est peut-être plus délicat qu’il n’y paraît pour que le piège soit bien tendu. Il faut trouver un sujet qui interpelle le plus grand monde, une « info » qui pourrait être crédible au moins un dixième de seconde, un traitement qui ne heurte aucun interlocuteur cité, même de manière flou… En centre-Var, la problématique des dégâts des sangliers est prégnante, depuis des années, et l’on sait aussi que la question de la chasse peut être rapidement clivante. Le cocktail idéal. Je ne me souviens plus si l’idée formelle de la chasse à la grenade était personnelle ou collective, car nous sommes friands entre nous de ce genre de discussions. Dans l’édition du 1er avril 2015, une pleine page paraît donc sous le titre « Sangliers : la chasse à la grenade autorisée à titre expérimental». Le « poisson » est monté comme un article classique. Les retours ont très vite été très positifs, du journal « papier», comme sur Internet, où l’article cartonne littéralement.
Deuxième vie sur les réseaux sociaux Il est très vite pertinent, amusant, édifiant, au bar Le Mireille comme sur les commentaires Facebook, de voir le nombre de personnes qui se laissent abuser. Là où j’avais l’ambition de berner une seconde le lecteur, certains débattent du procédé, s’offusquent, s’emportent... Sur les réseaux sociaux surtout. Plusieurs chasseurs, vignerons, lecteurs fidèles ou non, me félicitent pour ce sujet. Plus probablement que pour tant d’autres sujets de fond d’ailleurs, ce qui incite le journaliste à l’humilité... Le temps passe, et le sujet tombe logiquement dans l’oubli. L’agence de Brignoles continue cette tradition. Ce sera en 2016 un sous-marin nucléaire en exercice dans le lac de Carcès, ou en 2017 une interdiction de jeux de boules considérés comme des projectiles potentiels... Début 2018, en plein hiver, par le truchement de la magie des réseaux sociaux, un ami me «tague» sur une photo de ce vieil article, qui fait fureur – et débat – sur une page Facebook dracénoise. Je remonte le fil (autant que possible sur Facebook...) et me rends compte que l’article connaît une deuxième vie sur les réseaux. Et même plus qu’une deuxième, car il existe sous plusieurs formes, sur différentes pages cynégétiques et/ou humoristiques types « appeaux à clics ». Parfois, ce sont plusieurs milliers de partages ! Plutôt que le lien de l’article, toujours en ligne, ce sont des photos de l’article « papier » qui tournent, sur Twitter également. Où la date du 1er avril a disparu.
BB catastrophée Là encore, les débats font rage. Ceux qui tombent dans le panneau hurlent que, tout de même, ce n’est pas très gentil pour les sangliers, et en outre plutôt dangereux comme méthode. Le coup étant parti, sur les réseaux sociaux, il est irréversible : je pourrais toujours publier un démenti (sic) sur le site de Var-matin, comme dans le journal, cela n’y changerait rien. Il y a quelques mois encore, Brigitte Bardot téléphonait en personne, catastrophée, à notre rédaction tropézienne pour crier au scandale ! Eh oui, cet article poursuit sa vie de manière autonome. Peut-être le reverrez-vous revenir à la surface dans dix ans...