Ouided Bouchamaoui : « Il Club de l’éco « S’inscrire dans une relation gagnantgagnant. »
Invitée de Var.Up, la Prix Nobel de la Paix et grande patronne tunisienne Ouided Bouchamaoui a foi dans la Méditerranée et dans le dynamisme de ses entrepreneurs
Rencontre exceptionnelle au Club de l’éco de Var-Matin. Ouided Bouchamaoui, Prix Nobel de la Paix 2015, qui a présidé l’Utica, l’équivalent du Medef en France, de 2011 à 2018, était le grand témoin de Var.Up, le salon de l’entreprise organisé à Toulon par l’Union patronale du Var. En amont de sa conférence, la femme d’affaires tunisienne a échangé avec les partenaires du Club de l’éco sur la Méditerranée et ses enjeux.
Comment se situe la Tunisie par rapport à la Méditerranée ?
La Tunisie en fait bien sûr partie. Nous sommes un pays jeune qui a su s’imposer de manière différente du monde arabomusulman de part ses acquis. Nous sommes indépendants depuis après ans de colonie française et notre richesse principale ne se trouve pas dans notre sous-sol mais dans notre capital humain. Ces acquis tiennent à Bourguiba, leader visionnaire, qui a misé sur les Tunisiens eux-mêmes, les jeunes et les femmes surtout.
Quelle position adoptez-vous vis-à-vis de la Méditerranée ?
Nous restons très attachés à la France. C’est notre premier partenaire économique devant l’Italie et l’Allemagne. Mais depuis quatre à cinq ans, nous regardons aussi du côté de l’Afrique. Comparés au Maroc, à la Chine ou la Turquie qui l’ont envahie, nous étions peu présents en Afrique économiquement. Nous avons senti son potentiel un peu tard mais il faut toujours aller de l’avant.
Comment se traduit l’esprit méditerranéen en Tunisie ?
Nous l’avons toujours eu. La Tunisie est l’un des premiers pays de la rive sud de la Méditerranée à avoir signé un accord de libreéchange avec l’Union européenne dès . Ça nous a valu une mise à niveau de notre industrie. Nous avons plus de entreprises étrangères dont françaises installées en Tunisie qui font travailler presque personnes. Elles sont présentes dans le BTP, l’agroalimentaire, le textile, l’aérospatial...
Comment évoluent les relations Nord-Sud ?
On ne veut plus que les investisseurs viennent en Tunisie juste pour le low cost. Nous voulons devenir un vrai partenaire inscrit dans une relation gagnantgagnant. Nous sommes parvenus à un stade où nous pouvons passer du rôle de sous-traitant à celui de producteur de produits finis compétitifs, qui respectent des normes internationales. Nous ne sommes plus à l’ère du
Où en êtes-vous du tourisme depuis les attentats ?
dominé-dominant. Nous sommes dans celle du gagnant-gagnant. Nous aussi sommes intéressés par les problèmes d’environnement et ce que nous laisserons à nos enfants. Il faut considérer que nous sommes tous égaux.
Votre potentiel est aussi dans les secteurs de pointe...
Airbus est implanté chez nous. Notre position sur le bassin méditerranéen lui permet d’être livré en un temps record. C’est aussi vrai dans le textile avec des produits de mode en petites séries. Cette proximité est stratégique.
Vous avez changé d’axe de « Comme en France, nous en avons beaucoup souffert. Nous sommes un pays pacifique qui vit du tourisme, qui cherche toujours le dialogue. Malheureusement, la Libye a été saccagée et nous sommes voisins par la frontière. Ces attentats ont visé la stabilité de la Tunisie et le nerf de notre économie qu’est le tourisme. Nous avons passé plusieurs années de tensions, nous peinons encore. Maintenant ça reprend, mais nous Frantz Lancet, restons vigilants. Personne ne peut Pôle Emploi Var. être sûr de ce qu’il peut arriver. Ce qui m’a fait mal quand les attentats se sont produits, c’est que, pour un pays qui cherche la démocratie, nous n’avons pas trouvé de soutien international. Enfin, c’est aussi à nous de faire des choses pour monter en gamme et ne plus compter que sur le low-cost et le tourisme de masse. »
développement...
Il est vrai. Nous sommes par exemple le premier exportateur d’huile d’olive au monde. Nous le faisions jusqu’ici en vrac et les consommateurs goûtaient nos produits sous emballages espagnols ou italiens. De plus en plus d’entreprises familiales investissent dans les emballages pour vendre désormais des produits finis. C’est aussi vrai dans les secteurs technologiques où notre jeunesse est très compétente et encore moins chère.
Pensez-vous qu’il y a un regard occidental à changer ?
Certainement. Sans offenser qui que ce soit, les gens qui viennent en Afrique viennent chercher les richesses minières et les dirigeants ne mettent pas en place de programmes de développement poussés. Pour nous finalement, l’absence de ressources pétrolières est peutêtre une chance. Il nous a fallu développer des ressources ailleurs, miser sur autre chose.
Quid de vos relations avec la Libye ?
Elles seront un atout indéniable pour celui qui voudra travailler à sa reconstruction. Malgré ce que l’on dit, je suis convaincue qu’il y aura une fin à la guerre et que la reconstruction de la Libye ne pourra jamais être faite sans la Tunisie. Nous avons beaucoup en commun, la langue, les habitudes de vie, nous avons des liens forts avec le peuple, ce qui est différent du régime. Nous sommes à une place stratégique pour celui qui veut découvrir l’Afrique. Au-delà de la Libye.
Que faut-il pour plus de partenariats, pour développer l’esprit méditerranéen sur chacune de ses rives ?
« Il y a trois facteurs majeurs pour décider un investisseur à faire des affaires à l’étranger : la sécurité, l’environnement des affaires avec une stabilité législative et fiscale, et l’égalité devant de la justice. Si nous savons garantir ces trois facteurs, les partenariats ne peuvent que s’accélérer. Et nous avons les trois. Bien sûr à l’investisseur d’imposer la loi dans son entreprise et de la faire respecter. »
Que reste-t-il à faire ?
« Éliminer les frontières. Il y a des atouts chez nous, des atouts chez vous. Il y a de la place pour tout le monde. Il faut que la perception de nos entrepreneurs et de nos produits évoluent. Il faut une ouverture d’esprit, accepter l’autre indépendamment de sa nationalité, de ses convictions, de sa couleur. »