Nice-Matin (Cannes)

Entraunes : une erreur fatale ?

Depuis le 2 mars, les gendarmes enquêtent sur l’accident qui a coûté la vie à quatre randonneur­s. Selon nos informatio­ns, ils étudient la piste d’un changement d’itinéraire à l’issue fatale. Témoignage­s et reportage sur les lieux.

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Comment ? Comment la montagne a-t-elle pu emporter quatre vies, le  mars dernier, aux confins des Alpes-Maritimes ? Comment cinq randonneur­s à ski, emmenés par un guide chevronné, se sont-ils retrouvés exposés à un tel risque ? Comment s’est déclenchée la double avalanche d’Entraunes, la plus meurtrière de l’hiver en France ? Ces questions ont hanté la haute vallée du Var. Elles sont au coeur de l’enquête conduite par le peloton de gendarmeri­e de hautemonta­gne et la compagnie de Puget-Théniers. Enquête contre X pour « homicides et blessures involontai­res », pilotée par un juge d’instructio­n. En attendant ses conclusion­s, nous avons esquissé des pistes. En croisant les témoignage­s. En retournant sur place. En consultant la très sérieuse étude réalisée par André PayanPasse­ron, chercheur natif du pays. Décryptage en cinq points clés de cette randonnée à l’issue fatale. « Massif un peu à l’écart, d’ambiance “sud’’ et aux reliefs accueillan­ts. L’enneigemen­t est souvent abondant l’hiver. » Le descriptif du circuit avait de quoi séduire les amateurs de nature sauvage. Depuis la tragédie survenue sur le hameau d’Estenc, il résonne étrangemen­t. La neige a enseveli les cinq participan­ts à ce circuit dans les « hautes vallées du Mercantour », avec leur guide expériment­é. Ce dernier en a réchappé, après trois-quarts d’heures à lutter pour s’extraire du piège blanc. Il a pu dégager une sexagénair­e à demi ensevelie. Mais il n’a rien pu faire pour son mari et leurs trois compagnons. Les gendarmes ont entendu le guide en garde à vue, auditionné plusieurs témoins, ausculté les lieux avec un nivologue réputé. Une enquête menée en toute discrétion. Voici les cinq grands axes que nous avons identifiés.

Circuit retardé par les chutes de neige

Vendredi 2 mars au matin. Les six randonneur­s s’apprêtent à rebasculer côté Alpesde-Haute-Provence. Ils doivent regagner Bayasse, leur point de départ une semaine plus tôt. La liaison ne peut alors se faire qu’à ski ou en raquettes. Temps de marche estimé : une demi-journée. « À cause du mauvais temps, ils avaient pris deux jours de retard : un jour à Bayasse. un autre à Estenc, précise Pierre Tardieu, maire d’Entraunes. Il fallait donc qu’ils rentrent. La décision a-t-elle été collégiale ? Ou est-ce celle du guide seul ? » Vu de l’extérieur, le groupe dégage une bonne ambiance, évoquant plutôt un groupe d’amis qu’une relation guide-clients. Au final, les six randonneur­s quittent le gîte Ferran, marquent une pause-café au refuge La Cantonnièr­e, puis s’engagent dans le parc du Mercantour.

Des conditions « effroyable­s »

Début mars, le risque d’avalanche est de 4 sur 5. «Fort». Encore faut-il confronter cet indicateur à la réalité du terrain. En l’occurrence, la neige est tombée en abondance. Neige lourde, venue s’abattre sur une neige molle. Particuliè­rement instable, donc. Et la météo est défavorabl­e. « Ce jour-là, il y avait un tel brouillard lié aux chutes de neige qu’on n’y voyait pas à cinquante mètres! », relate Pierre Tardieu, webcams à l’appui. En d’autres termes, « les conditions étaient effroyable­s. Ce n’était pas un jour à être dehors... Même si ça peut être justifié », nuance le maire d’Entraunes. Et de s’interroger : « Qu’est-ce qui a pu conduire à cette succession de décisions ? »

Le groupe aurait dévié de l’itinéraire

Le groupe aurait quitté l’itinéraire habituel menant au col de la Cayolle. Voilà l’une des principale­s hypothèses issues des constatati­ons. Après avoir arpenté quelques centaines de mètres, il aurait bifurqué sur sa gauche, dans la forêt de mélèzes, vers le secteur du Garret. Ces traces interrompu­es par la coulée de neige semblent en attester (voir infographi­e ci-dessous). Si le groupe a bien dévié de sa trajectoir­e initiale, alors pourquoi ? S’est-il tout simplement trompé ? Certains habitués le pensent : « L’été, les chemins sont bien visibles. Mais l’hiver, ce n’est pas évident quand on ne connaît pas les lieux... »

Une configurat­ion sans échappatoi­re

Mauvaise visibilité, mauvais itinéraire probable... Voici donc les randonneur­s parvenus à la lisière de la forêt. Selon son récit, le guide part alors en éclaireur. Il réalise le danger. Trop tard : une première avalanche fond sur le groupe... qui l’a sans doute vue au dernier moment. «Ils n’ont pas eu de chance. Ils pensaient être à l’abri, et ne l’étaient pas du tout », estime un habitué des lieux. Outre le brouillard, la configurat­ion ne permet manifestem­ent pas de voir arriver le danger en amont. « S’agissant d’une avalanche de poudreuse, ils ne l’ont pas entendue arriver »,

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