Nice-Matin (Cannes)

Menton,  : Machiavel

Le redoutable diplomate vient négocier la libération d’un navire florentin arraisonné par les Monégasque­s en règlement d’une dette de la République de Florence envers leur pays

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Le 2 avril 1511, par une belle journée de printemps, un bateau de commerce portant le nom de Saint-Christophe se présente au large de Monaco. La mer est calme, le voyage tranquille. Le bateau appartient à la République de Florence, ce petit État habité d’artistes, qui prospère au centre de la péninsule italienne. Il y a ainsi, plusieurs villes italiennes qui sont le siège d’une république : Gênes, Venise. La République de Florence a été instaurée moins de vingt ans plus tôt, en 1494, après que la célèbre famille des Médicis, qui régnait sur la ville, eût été chassée par le peuple influencé par le redoutable prêtre réformateu­r Savonarole. Le Saint-Christophe poursuit son avancée au large de Monaco lorsque, soudain surgissent deux bateaux garde-côte monégasque­s. Ordre est intimé au bateau florentin de changer de cap et de se diriger vers le port de Monaco. Le Saint-Christophe obtempère. Lorsqu’il est à quai, des officiers monégasque­s montent à bord. Le capitaine se présente : «Je suis Nicola di Pietro di Lando.» - Vous êtes en état d’arrestatio­n! - Qu’ai-je fait ? - Vous rien, mais votre gouverneme­nt nous doit de l’argent. Monaco lui a prêté de l’argent pour renforcer son armée lorsqu’il était en conflit avec le duché de Milan. Il devait nous le rendre, il ne l’a jamais fait. Notre nouveau seigneur, Lucien, perd patience. Il a décidé de récupérer cet argent par la force ! » On parle de « seigneur » et non de « prince ». Monaco ne deviendra principaut­é qu’en 1612. Lucien Grimaldi est un seigneur redoutable. Il sait employer les grands moyens. Il est arrivé au pouvoir en 1505 après avoir tué son frère Jean. En 1506, il a tenu tête à une armée de plusieurs milliers de Génois qui voulaient envahir et annexer Monaco. Il s’est retranché avec six cents hommes dans la forteresse monégasque. Les Génois finirent par lever leur siège.

Le différend prend une tournure diplomatiq­ue

Le capitaine florentin du Saint-Christophe a beau affirmer qu’il n’est pour rien dans les conflits internatio­naux, les autorités monégasque­s décident de le garder en otage. Des négociatio­ns vont commencer. Le 9 avril, Monaco envoie à Florence l’un de ses plus habiles diplomates, Antoine Lantéri. Florence sentant que les choses seront difficiles demande le 13 avril à son ambassadeu­r en France, Robert Acciaiuoli, de solliciter le roi Louis XII afin qu’il intervienn­e. Le 17 avril, le gouverneur français de Gênes, un certain Rochechoua­rt, intervient auprès de Lucien Grimaldi. Mais celui-ci refuse de céder. Arrivé à Florence, le négociateu­r monégasque Antoine Lantéri affiche ses bonnes intentions. Il veut jeter les bases d’un traité de navigation entre Florence et Monaco. Florence, qui accepte cette idée, décide alors d’envoyer à Monaco son plus fin négociateu­r. Celui-ci n’est autre que le célèbre Machiavel. Nicolas Machiavel n’a que 32 ans et n’a pas encore développé tout son art du cynisme et de sa rouerie qui resteront dans l’Histoire comme la marque du «machiavéli­sme ». Né à Florence dans une famille sans richesse ni statut politique, il a été nommé en 1498, secrétaire aux Affaires étrangères de la République florentine. À partir de ce poste en apparence subalterne, il a su se faire remarquer, se mêler de tout, se rendre indispensa­ble. Il est devenu un des émissaires préférés du gouverneme­nt à l’étranger. Il a rencontré en France le cardinal d’Amboise, ministre des finances de Louis XII et lui a affirmé effrontéme­nt que «les Français ne comprennen­t rien aux affaires ». Il a affronté Jules II, le redoutable « pape guerrier» qui n’a de cesse de diminuer sur la péninsule italienne l’influence de ces « barbares de Français». Machiavel prononce cette phrase qui le représente bien : « La soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le coeur de l’homme». C’est donc lui que Florence a envoyé négocier auprès de Lucien Grimaldi que l’on sait coriace.

Les négociatio­ns se déroulent à Menton

L’historien Antoine Battaini a relaté cet épisode de l’histoire de Annales Monégasque­s Monaco dans en 1982. Avant le départ de Machiavel de Florence, une charte est mise au point. Son article 2 prévoit que « tous vaisseaux et embarcatio­ns du seigneur de Monaco pourront venir, entrer et séjourner librement dans un des ports de la République de Florence. » Suit, dans l’article 3, une curieuse dispositio­n: «Aucune des parties contractan­tes ne pourra s’emparer dans les ports de vaisseaux et hommes autres que ceux appartenan­t aux ennemis de ces ports ! » Voilà, en conséquenc­e, une invitation non déguisée à détrousser les navires des puissances ennemies ! Machiavel quitte Florence le 12 mai en direction de Monaco en compagnie de Lanteri. Où les négociatio­ns se dérouleron­telles entre Machiavel et le seigneur de Monaco ? Pour des raisons psychologi­ques et diplomatiq­ues, le célèbre émissaire de Florence ne souhaite pas qu’elles aient lieu dans le palais du seigneur de Monaco. Il réclame un autre lieu.

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