Nice-Matin (Cannes)

Le système D des usagers

La « grève perlée » implique un casse-tête quotidien pour des milliers d’ Azuréens. Reportage avec l’un d’eux, Frédéric, sur l’axe critique Nice-Monaco. Le projet de réforme, lui, est arrivé à l’Assemblée hier après-midi.

- Textes : Christophe CIRONE ccirone@nicematin.fr Photos : Frantz BOUTON

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Comme ça, je peux galérer tranquille... ”

Cette fois, la réforme de la SNCF est sur les rails. Le « projet de loi pour un nouveau pacte ferroviair­e », mal digéré par les syndicats, a quitté la table des négociatio­ns pour être servi hier, à  h, au menu parlementa­ire. En marche!, la réforme. Ou plutôt en mode TGV. Sur le terrain, c’est une autre histoire. Celle d’un quotidien perturbé. Alors que prend fin ce matin l’épisode  de la bataille du rail, les voyageurs, eux, planchent sur l’impact de cette « grève perlée » : comment arriver à l’heure au boulot ? Quel train cibler au retour ? Qui va récupérer les enfants à l’école ? Ce quotidien, celui de milliers d’Azuréens, le voici illustré via ce témoignage de Frédéric, hier, sur la ligne Nice-Monaco. L’axe critique. Emblématiq­ue.

 h : changement de braquet

Un vieux vélo jaune près des bornes Vélo Bleu. Frédéric, 40 ans, vient de l’attacher. 8 h hier matin. Ce père de famille niçois arrive à la gare de Niceville, sacoche en bandoulièr­e et béret vissé sur la tête. Bravant la pluie fine, il a dévalé Cimiez pour gagner l’avenue Thiers. Juste le temps de déposer son fils de 8 ans. Et de filer. « Le matin, je l’amène à l’école avec mon vélo pour arriver à temps à la gare. Le soir, si mon épouse ne peut pas le prendre, c’est sa grand-mère ou sa soeur qui s’en charge », explique Frédéric. Pas de temps à perdre : son train pour Monaco part à 8h15. S’il le rate, le prochain est à 9 h... L’heure à laquelle Frédéric débute sa journée de community manager en Principaut­é.

« On a accusé le coup »

Ainsi va le train-train quotidien de ce salarié, sensibleme­nt perturbé par cette nouvelle grève ferroviair­e. Comme bon nombre d’Azuréens. « Quand on l’a appris, on s’est dit: “Mince, c’est reparti. Une grosse grève en vue!” On a accusé le coup. Bon, on s’en sort bien... Pour l’instant. » L’union sacrée familiale y contribue. Ce père de famille sourit : « Le matin, le petit sait qu’il ne faut pas mettre un grain de sable dans les rouages... Sinon je suis directemen­t impacté. » Et puis il y a l’autre famille. Celle du rail. Des usagers, parfois rebaptisés « naufragés du TER ». Unis par les liens du web. Amis Facebook. Connectés par WhatsApp. Avec trois collègues, Frédéric a créé sur cette applicatio­n un groupe Thello . Car c’est à bord du train italien qu’il compte rallier Monaco.

 h  : voyage en mode numérique

Quai D. 8 h 10. Le train rouge-blancvert est déjà là. Le quai C, lui, est recouvert d’une foule compacte qui attend fébrilemen­t son TER. «Ildevait être là à 8 h 06. Il a déjà dix minutes de retard », s’inquiète Frédéric. En habitué, il connaît par coeur les grilles horaires du matin et du soir. Et il ajuste vite ses prévisions. « J’espère que ça ne va pas trop nous impacter, car un retard génère des réactions en chaîne mais si le TER part avec plus de dix minutes de retard, on devrait partir avant lui. » Coup d’oeil au fil de discussion WhatsApp: « Je suis arrivée. Carrosse 15. » « 6 places pour l’instant. » « 5: ça descend vite... » L’info en temps réel et entre collègues. Voilà justement Cécile. Hop, la bise. Les deux amis rejoignent Audrey dans le carré du wagon 15. Ou plutôt du carrosse, à écouter Frédéric: « En Italien, ils l’appellent carrozza .»

Adaptation permanente

Au micro, le conducteur accueille ses hôtes dans la langue de Dante. « Destinatio­n Milano centrale. Prochain arrêt: gare de Monaco-MonteCarlo ». Un petit quart d’heure suffit. Trajet direct oblige. « Avec le TER suivant, on est juste. Et le TER précédent est en retard... Même si ça va mieux ces derniers temps », explique Cécile. Le groupe Thello est né en décembre, quand l’abonnement est devenu accessible avec une extension du forfait TER pour 3 euros par mois. Une aubaine. Surtout par temps de grève. « Avant, on le voyait partir la larme à l’oeil », s’amuse Frédéric. Leur défi ? S’adapter. En permanence. « Parce qu’il y a toujours des mauvaises surprises », grimace le Niçois. Entre eux, l’info circule à la vitesse d’un tweet viralisé. La référence : Gare en mouvement. Un service fourni par la SNCF, « souvent plus fiable que l’applicatio­n. Ils ne se connaissen­t peut-être pas », ironise Frédéric. Perplexe. Il peine « à comprendre pourquoi l’informatio­n nous parvient toujours en retard ? » Voilà pourquoi, « aujourd’hui, on est tous des passagers 2.0 ».

h: Monaco, à travers les gouttes

Lumières scintillan­tes. Quais dégagés. 8 h 30. Gare de Monaco : la plupart des passagers descendent. Le wagon était rempli, mais pas bondé. « D’habitude, il n’est pas aussi plein » , observe

‘‘ Cécile. Pour le retour en revanche, elle ne pourra pas compter sur Thello. Problème d’horaires. « Le soir, c’est toujours aléatoire, alors je me suis libérée des contrainte­s en faisant récupérer les enfants. Comme ça, je peux galérer tranquille ! » La grève n’a pas tué le sens de l’humour. « On rigole, quand même! Enfin, ça dépend des soirs », confient Audrey et Cécile d’un air entendu. « Il faut désamorcer, acquiesce Frédéric. Parfois ce n’est pas évident. Il y a de la fatigue, de l’usure... »

La voiture ? Non merci !

Et pourtant. Malgré les retards, malgré les grèves, le trio n’envisage pas un instant la voiture. «On mettrait une heure au lieu de vingt minutes: ce serait affreux, tranche Audrey. Je viens en train par choix. Je suis contente de le prendre. Tout le monde râle après le train, mais on oublie qu’en voiture, ça coûte 200 euros par mois au lieu de 40 ! »

 h  : place au bus et terminus

Un passager tout sourire claque la bise à Frédéric: « T’avais raison, c’est bien mieux. » Frédéric nous explique : « C’est mon cousin ». Il vient de faire un néo-converti au Thello. Mais pas question d’accabler pour autant la SNCF. «On est conscient de toutes leurs problémati­ques, même si parfois, on est excédé. La météo, les chutes de rocher... C’est compliqué pour eux. » Plus encore quand vient s’ajouter un facteur frontalier : les contrôles de migrants à bord. « Même si les gendarmes font leur boulot, ça fait mal au coeur. Quand on voit leur condition, la grève paraît bien dérisoire... » La grève ? On aurait fini par l’oublier, tiens, tant les choses ont paru faciles pour Frédéric, jusqu’au bus qui l’amène au Rocher. « Le soir, en revanche, j’ignore à quelle heure j’aurai un train. Normalemen­t, avec le service minimum, ça roule relativeme­nt bien. Il faut prévoir un léger retard, ou partir plus tôt. » Conciliant, Frédéric n’en tient pas rigueur aux cheminots : « Je comprends leur besoin de faire passer le message à la compagnie et au gouverneme­nt. Et je pense que privatiser la SNCF serait une grande erreur. »

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