Une bombe écologique
200 000 personnes buvant l’eau potable de la Roya sont menacées par le scandale du chantier «oublié» du tunnel de Tende bis. Le procureur de Nice se dit prêt à ouvrir une enquête
Le scandale des anhydrites n’est rien de moins qu’une bombe écologique en puissance. Il menace l’eau potable de la vallée de la Roya. Soit 200 000 personnes qui consomment quotidiennement l’eau du robinet à Menton, Vintimille et une partie de Monaco. Enquête et explications. Des dizaines et des dizaines de tonnes de gypse et d’anhydrite sont illégalement entreposées depuis dix mois à l’air libre sur le chantier de percement du tunnel de Tende bis. Un chantier mené par le géant du BTP italien Fincosit et arrêté depuis la révélation, il y a un an tout juste, d’un scandale «XXL», avec le vol de 200 tonnes de matériaux (voir encadré). Ces gravats classés, extraits du percement du futur tunnel devaient être traités avec précaution, dans une carrière spécialisée. Placés à l’air libre, leur décomposition est accélérée, indique Alain-Jean Vernet, expert géologue niçois reconnu sur le sujet (lire cicontre), qui a déjà travaillé sur les conséquences de pollutions dans la Roya sur l’eau potable. Le risque, explique-t-il, c’est que ces matériaux qui n’ont rien d’inerte se déversent dans les vallons et ne les contaminent. Nice-Matin a pu le constater (lire page suivante), l’eau de pluie a raviné les tas, ruisselant dans les vallons de Canelle et de la «Ca» qui, à cent mètres de là, alimentent la Roya. Au bout : 200000 personnes boivent cette eau quotidiennement, à Menton, Vintimille et une partie de Monaco. Une véritable bombe écologique qui couve. Elle menace la potabilité de l’eau, donc la population, mais aussi la faune et la flore. Depuis quatre ans, dès avant la construction du tunnel, une association, «Roya Expansion nature» avait alerté la préfecture sur le sujet du traitement des anhydrites. Elle a pourtant été déboutée au tribunal. Le maire de Tende a écrit la semaine dernière au préfet des Alpes-Maritimes, GeorgesFrançois Leclerc, sur ce sujet. L’élu alerte et évoque une «catastrophe au point de vue environnemental et écologique». Il dénonce le déversement des dépôts d’anhydrites dans la rivière. Il entend porter plainte contre la société des routes italienne (l’ANAS, maître d’ouvrage). Le maire de Limone monte désormais au créneau (lire page suivante). Contacté par Nice-Matin ,le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre, indique prendre ce dossier environnemental au sérieux. Il se dit prêt à ouvrir une enquête s’il est saisi par une autorité. L’autre volet, celui du vol de matériaux, est sous enquête depuis un an par les justices italienne et française. Le «gypse», ou pierre à plâtre, et l’anhydrite, sont des minéraux fréquents dans les couches géologiques de la région. Ils forment des couches parfois très épaisses. Exploités depuis l’antiquité sur le pourtour Méditerranée, ils rentrent essentiellement dans la fabrication des différentes sortes de plâtre. Gypse et anhydrite ne sont a priori pas dangereux, sauf au contact d’eaux de ruissellement comme la pluie, et de mélange à l’eau potable.
Dans sa directive 75/442/CEE, et notamment dans ses articles 3 et 4, l’Union européenne indique que les États membres doivent s’assurer que les exploitants des industries extractives prennent toutes les mesures nécessaires «pour prévenir ou réduire autant que possible les effets négatifs, avérés ou potentiels, de la gestion des déchets des industries extractives sur l’environnement ou sur la santé des personnes». Ce qui n’est pas le cas ici. Dans une circulaire du 22 août 2011, le ministère de la transition écologique et solidaire indique que «les déchets qui contiennent du gypse et de l’anhydrite ne sauraient être considérés comme des déchets inertes, compte tenu de leur forte teneur en sulfate (...). Leur stockage doit donc faire l’objet d’une autorisation au titre de la rubrique 2720 des installations classées».