AUTO Fred Lajoux touche le Graal
À 56 ans, le Monégasque réalise ce week-end son rêve de pilote le plus cher : cravacher une F1 sur les traces des héros de son enfance. Une parenthèse enchantée qu’il entend savourer à fond
PE our lui, l’heure tant attendue a sonné hier. Enfin. 16 h 50 : le jour de chauffe du Grand Prix de Monaco Historique, 11e du nom touche à sa fin. Dernières en piste, les 36 Formule 1 de la série G actionnent à leur tour le manège enchanté. Des Lotus, Tyrrell, Brabham, McLaren, Ligier, Williams, Shadow ayant forgé la légende jadis, aux confins des années 70 et 80... Des Arrows, aussi, dont celle domptée par Frédéric Lajoux, le seul et unique porte-drapeau monégasque en lice. À 56 ans, ce pilote touche-à-tout, lauréat du volant Motul 1989, qui a ensuite enchaîné les expériences diverses et variées au fil d’une longue trajectoire (Formule Ford, Clio Cup, championnat de France GT, Diester Racing Cup, Nascar Euroseries), concrétise sa quête du Graal.
Quand ‘‘Bébel’’ provoque l’étincelle
« Maintenant, on peut dire que la boucle est bouclée », confie-t-il avec un sourire taille banane accroché aux lèvres. « Je me rappelle comme si c’était hier de ce Grand Prix de Monaco 1972 remporté par Jean-Pierre Beltoise sous un déluge dantesque. À l’époque, grâce à une copine de ma mère, femme de chambre à l’hôtel Métropole, j’avais pu suivre la course depuis une terrasse surplombant la descente entre le Casino et Mirabeau. Spectacle hallucinant, coup de foudre instantané. L’étincelle s’est produite là, gamin, à 10 ans à peine Ensuite, j’ai beaucoup couru : plus de trois décennies de compétition tous azimuts. Côté boulot, entre autres activités, je louais des balcons VIP pour le Grand Prix F1. Et clin d’oeil du destin, j’ai longtemps accompagné les carrières des fils de Bébel en sport auto (Julien et Anthony Beltoise, ndlr). Restait donc à réaliser le rêve ultime. » Cravacher la cavalerie d’une F1 sur le mythique tourniquet serpentant son jardin d’enfant... Comme décrocher la lune. L’étoile semblait inaccessible. Après deux participations au Grand Prix de Monaco « vintage » dans les rangs des F3 Classic (2012, 2014), l’ascenseur a pourtant ouvert ses portes. « Avec mes partenaires, nos recherches se sont d’abord heurtées à des prix déraisonnables. Mais il y a deux ans, nous avons finalement trouvé notre bonheur en Angleterre, du côté de Sheffield. » Parée de sa robe d’époque, « of course », cette Arrows A1 millésime 1978 s’était illustrée notamment aux mains de Riccardo Patrese lors du Grand Prix de clôture, il y a quarante ans, au Canada : 4e derrière deux Ferrari (Gilles Villeneuve 1er, Carlos Reutemann 3e) et la Wolf-Ford de Jody Scheckter.
Son objectif : « Ne pas avoir de regret »
L’an dernier, sa nouvelle vie démarre en fanfare. Alors que le Grand Prix de France Historique ressuscité à Magny-Cours doit faire office de séance d’essais grandeur nature, Fred Lajoux rivalise d’emblée avec les meilleures gâchettes du FIA Masters Historic Formula One Championship. Résultat : 2e chrono des qualifications, 3e place de la course 1, s’il vous plaît ! « Difficile d’imaginer une meilleure entrée en matière face à tous ces spécialistes très expérimentés », poursuit-il. « Lors de la seule et unique course suivante, au Nürburgring, des soucis de moteur m’ont hélas mis quelques bâtons dans les roues. Décision fut alors prise de privilégier les séances d’essais dans la perspective de l’échéance majuscule. » Une exquise plongée dans le passé à domicile, entre ciel et mer, pour laquelle aucun détail n’aura été négligé. « On voulait l’aborder en étant prêt à 150 %. Même si tout peut toujours se produire lors d’un week-end de course, pas question de risquer la panne bête. Les organes sensibles ont donc été changés. Arbres de transmission, couple conique... L’auto vient de perdre 35 kilos cet hiver. Le bonhomme a également un peu fondu. Vélo, musculation, gainage... et j’ai arrêté de manger n’importe quoi. » Place maintenant au challenge absolu. Un voyage dans le temps en mode F1 peut-être unique qu’il entend savourer à sa juste valeur. « Malgré le danger, le risque, omniprésents, j’aurai aimé courir à cette époque. Aujourd’hui , le pilote doit gérer une multitude de procédures, de boutons. Il y a une dimension intellectuelle prépondérante. Autrefois, la mentalité, l’ambiance étaient différentes. Il s’agissait d’un vrai défi physique qui durait 80 tours ici. Incroyable! D’ailleurs, j’imagine mal dans quel état ils devaient être au bout de l’effort. » La chevauchée fantastique de la série G, elle, ne comptera que 18 boucles demain (départ à 16h50). Courte mais intense, à coup sûr. Où l’Arrows frappée du numéro 29 devrait pouvoir mettre son grain de sel aux avantpostes. « D’abord, il faudra bien négocier le tournant des qualifications (aujourd’hui à 17h05). Gare au trafic ! Ensuite, la course décidera. Évidemment, vu le plateau rassemblant 6 ou 7 prétendants sérieux à la victoire, une place dans le top 5 me comblerait. Sur le papier, c’est possible. Même un podium. Mais à vrai dire, peu importe le résultat. Cette épreuve à part, je veux la vivre sans pression. Pas de prise de tête. Mon objectif numéro 1 : ne pas commettre d’erreur, ne pas avoir de regret. » Histoire de suivre les traces de « Bébel » jusqu’au bout du plus fou de ses rêves de gosse...