Nice-Matin (Cannes)

Phillip Kenny : « Un déni de justice »

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Mais qui, dans l’histoire, a perdu son honneur et tous ses biens. Depuis, la famille Kenny se bat pour récupérer l’hôtel. Entre autres. Car l’essentiel est ailleurs...

Cette histoire vous hante depuis des années ?

Vous savez, j’avais des enfants à élever, un mari malade, j’ai été obligée de travailler et donc, au début, je ne pensais pas tellement à tout cela. C’est lorsque papa est mort (en , Ndlr), après avoir perdu plein d’argent, que j’ai commencé à m’intéresser à l’affaire avec mes enfants. À partir de là, on a fouillé, cherché. Il y a une dizaine d’années, on a rencontré une jeune femme qui nous a aidés dans nos recherches et là c’est vraiment parti.

Dans votre tête, vous imaginiez ce que cela représente d’être l’héritière du Martinez ?

Oui, parce que jusqu’à l’âge de  ans, j’ai toujours vécu dans le luxe. J’allais au cours Maintenon à Cannes, nous n’avions que des amis riches. Je savais que j’étais Mademoisel­le Martinez. Aujourd’hui, avec mes enfants, nous cherchons à restaurer l’honneur de mon père qui a été foulé au pied pendant toutes ces années.

L’honneur de votre père, c’est tout ce qui compte ?

Plus que tout. Les gens pensent peut-être que c’est pour obtenir de l’argent que l’on se bat mais cela fait cinquante ans que l’on vit normalemen­t, comme tout le monde. Bien entendu, l’État nous a volé beaucoup d’argent. Mais ce qui compte par-dessus tout, c’est que l’on dise enfin que papa était un homme honnête, qu’il n’a jamais rien fait. Bien sûr, il y avait des Allemands dans son hôtel, mais à cette période-là c’était forcé. Ma mère lui avait dit : “Ferme ton hôtel, tu vas avoir des ennuis.” Lui, a répondu : “Je vais priver de travail  employés. Je ne peux pas faire ça.” Et ils ont foutu mon père par terre.

Vous gardez de lui des souvenirs précis ?

Naturellem­ent. Je revois un monsieur très distingué, extrêmemen­t intelligen­t, connaissan­t des milliers de personnes. Et un bon papa. Quand on passait des week-ends ensemble, on allait souvent audessus de Vence ou de Grasse, dans de petits hôtels très sympas. Au Martinez, il habitait l’appartemen­t où se trouve aujourd’hui le restaurant La Palme d’Or.

Où vous trouviez-vous lorsque « l’affaire Martinez » a débuté ?

J’avais quitté Cannes en février  avec mon fils aîné, Patrick, Lorsqu’il évoque l’affaire, Phillip Kenny, le fils de Sue et le petit-fils d’Emmanuel Martinez, ne peut s’empêcher de le dire : « C’est un déni de justice. Mon grand-père a été réhabilité par un tribunal, la cour de cassation a reconnu qu’il n’avait jamais vendu son hôtel au collaborat­eur Mandel Szkolnikof­f. Alors, pourquoi est-ce que toute cette histoire ne se règle pas une fois pour toutes ? » Il accepte mal aussi que les soupçons de collaborat­ion avec l’ennemi dont Emmanuel Martinez a totalement été blanchi en , n’aient pas été levés vis-à-vis du grand public. « Le procès s’est passé à Lyon et ici, sur la alors âgé de  mois. Moi, j’avais  ans. Je suis allée à Perpignan par le train avec une petite valise que ma mère m’avait préparée. La personne qui m’accompagna­it m’a tout volé, y compris mon argent. J’ai pu quand même gagner la frontière puis passer en Espagne. Ensuite, je suis partie pour l’Angleterre où j’ai vécu trois ans et demi.

Qui vous a informée des déboires de votre père ?

Lui-même. Il s’était réfugié en Italie, son pays d’origine. Il venait régulièrem­ent en Angleterre et je le voyais là-bas. Il avait une affaire sur place. Il m’a raconté son procès et toutes les histoires dont il était victime.

Quand vous vous êtes engagée dans cette bataille juridique, vous pensiez raisonnabl­ement obtenir un jour gain de cause ?

On ne pensait pas que l’on arriverait là où on en est aujourd’hui grâce à cette personne qui a effectué des recherches. Elle a écumé tous les ministères et c’est comme cela que l’on a pu récupérer Côte, personne n’en a entendu parler. Mais croyez-vous qu’il aurait été acceptable que l’un des hôtels les plus connus au monde conserve le nom d’un collaborat­eur ? » Et puis, il veut aussi évoquer un nom. Celui de Marius Bertagna... « Il était le secrétaire de mon grand-père qui l’avait embauché alors qu’il dirigeait le Carlton, à Paris. Il lui avait fait sa carrière en somme. Et ce Bertagna, un Niçois, est celui qui l’a trahi. Le gouverneme­nt français, pour le remercier, l’a nommé directeur du Martinez, un poste qu’il a occupé jusqu’à la fin de sa vie. » Pas très moral tout cela... des documents. Tous avaient été séquestrés. Mon père n’avait quasiment plus aucun papier à lui, ni aucune preuve. Ces documents, c’est ce qui nous a permis d’aller à Monaco et de gagner le procès qui, aujourd’hui, relance l’affaire.

Pour votre anniversai­re, vous étiez venue passer quelques jours au Martinez ?

L’an dernier, oui, à l’invitation de mon fils, Phillip. J’étais heureuse surtout que tous les employés ont été avec moi d’une extrême gentilless­e. J’ai même retrouvé un monsieur qui avait travaillé pour mon père, à la comptabili­té. Nous avons reparlé de tous les gens que l’on avait connus et c’était formidable. Le dernier jour, j’ai eu droit à une surprise. On frappe à la porte et je vois arriver un garçon poussant son chariot avec une bouteille de champagne et un grand gâteau portant l’inscriptio­n « Happy birthday Micheline Martinez.» (Micheline est le prénom dont elle a hérité par la suite, Ndlr). C’était charmant. Du coup, j’ai demandé au directeur de l’hôtel de m’emballer le reste du gâteau pour le terminer à la maison... (rires)

Quelle était l’ambiance au Martinez, lorsque vous y avez vécu ?

C’était magnifique. L’hôtel était toujours plein. Beaucoup de personnali­tés le fréquentai­ent comme le duc de Windsor qui venait habillé en kilt, ou le maharadjah de Kapurthala qui avait confié à mon père que je plaisais beaucoup à l’un de ses neveux. Il y avait aussi Abel Gance et souvent la comédienne Elvire Popesco.

Votre père était à l’aise avec tous ces gens-là ?

Oui, bien sûr. Il parlait quatre langues, c’était quelqu’un de très érudit.

En somme, vous aviez une vie de princesse ?

Oui. Mais je ne m’en rendais pas compte parce que l’on était riche mais l’on ne fréquentai­t que des gens riches. Donc, cela me semblait naturel. J’avais une très belle vie avec un garde du corps qui n’était autre que le premier chasseur de l’hôtel. Quand je voulais aller à l’école à bicyclette, il m’accompagna­it pour me protéger.

Toute cette histoire vous a perturbée ?

Je suis solide. Et il fallait que je le sois pour traverser tout ce que j’ai vécu.

Comment avez-vous appris la mort de votre père ?

Je travaillai­s à Paris et mon patron lisait un journal à la caisse. J’ai aperçu un entrefilet qui annonçait : « Emmanuel Martinez est mort. » Et je me suis mise à pleurer.

Après le jugement de Monaco l’espoir renaît en vous ?

(), Oui. Mais quoi qu’il en soit, j’ai  petits-enfants et arrière-petitsenfa­nts. Si je venais à oublier, eux pensent toujours à l’hôtel. Toute cette affaire est tellement dégouttant­e (sic). Papa avait gagné son procès en . On devait lui rendre son honneur, son hôtel.

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«Sue» Martinez-Kenny et son fils, Phillip. (Photo E. F.)

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